Pointe Saint-Georges, Casamance (ou Les Sorciers de l'Occident)


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March 20th 2018
Published: March 22nd 2018
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16-17-18 mars

"Follow the leader leader leader

Follow the leader" The Soca Boys



Installé au campement Emanaye d'Oussouye, j'attend sous mon voile en moustiquaire que le 6AM s'illumine sur mon cadran portatif.

Des chiens hurlent à la lune depuis au moins 1 heure.

Hier soir, l'une de ces bêtes errantes s'en ait prit à l'un de nombreux chevreaux qui peuplent les alentours.

J'ai entendu dans les champs l'effroi de la chèvre,

avant que l'agriculteur accoure à sa rescousse et la sauve in extremis des dents du carnivore affamé.

J'ai vu beaucoup de chèvres au Sénégal depuis mon arrivée, mais très peu de chiens.

(à part Praline bien sûr, le vieux toutou de Martine).

Les chiens ici servent habituellement aux bergers et gardent le troupeau.

De toute évidence, celui-là n'a pas passé son test d'admission.



Le cadran sonne finalement 6 heure, et d'un bond, je sors de mon abris, la peau gommée de sueur.

Derrière un rideau, une douche fuyante a humidifiée l'air de ma cabine depuis mon arrivée à Oussouye.

J'ai passé la nuit à cuire à la marguerite.

Je suis, ce matin, un légume vapeur.



Fanny et Antoine me rejoignent à la salle à manger extérieure de chez Elizabeth, la propriétaire du campement Emanaye.

Le couple (elle française, lui suisse) et moi-même avons planifiée une excursion exigeant de se lever aux petites heures, question d'éviter l'écrasante chaleur de l'après-midi.

Le plan est de se rendre à Mlomp en taxi, pas très loin d'Oussouye, pour ensuite se lancer dans un 3 heures de marche pour rejoindre le petit village reclus de Pointe Saint-Georges, effacé le long de la côte du fleuve Casamance.

Outre de très rares 4x4 trop motivés et les pirogues motorisées passant par le fleuve et les bolongs (canaux naturels), aucun véhicule ne peut y accéder.



Pataugeant devant le village de Point Saint-Georges, quelques lamantins supposément s'y trouvent.

Voilà donc la raison principale de notre excursion: voir de la vache marine dans son état naturel.



L'aventure devrait être authentique à souhait, mais tout de même, quelque peu complexe à organiser.

D'abord parce que la route pédestre menant au village n'est aucunement balisée

(et de se perdre dans la brousse n'est certainement pas la meilleure des idée)

et puis aussi, parce que le retour à Oussouye exigera certainement quelques jongleries et pas mal d'argent dépensé en pirogues.

C'est que le village espéré n'est pas très accessible à partir d'une route asphaltée, vous l'aurez compris.

Mais qui n'ose rien n'a rien dit-on, et la décision fût prise d'un commun accord:

nous irons de ce pas retrouver les lamantins de Pointe Saint-Georges.

...



Après le bout de pain à la marmelade et le café instantané qu'on nous a servit comme petit-déjeuner, nous voilà tous les trois fin prêt à quitter le campement dans la pénombre matinale d'Oussouye.

Le taxi se trouve déjà là, devant la porte, ronronnant dans la poussière de l'entrée.

Alors qu'en baillant, j'ouvre la grinçante portière avant du véhicule, un agriculteur en camisole sale passe devant nous comme un train au charbon.

En furie, l'homme est armé d'une carabine.

"Il va chasser la bécasse?" que je demande au taximan en me débrouillant la vue.

"Oui oui" qu'il me répond en suivant le chasseur des yeux.

Le taximan n'est pas tant surpris: il y a beaucoup de chasse qui se fait dans les environs.



(J'ai mangé de la biche au souper hier soir justement. Je me rappelle avoir demandé au serveur:

"Qui a chassé la biche?" à ma première bouchée, sur quoi il m'a répondu en sourcillant:

"les chasseurs", ce qui faisait évidement beaucoup de sens).



En colère noire, l'agriculteur armé ne dérougit pas.

S'arrêtant à deux enjambées du taxi, l'homme met soudainement en joue une horde de chiens errants qui, jusqu'à présent, suivait eux aussi du regard la camisole fâchée dans la pénombre.



Et puis BANG, il fait feu, comme ça, plombant la sieste des canidés.

Écho de tonnerre, fumée et poudre à canon sur Oussouye.

Le hurlement des chiens s'entendra, cette fois, pas mal moins longtemps que durant la nuit tout juste terminée.

En panique, la horde canine se disperse alors d'un coup, dans la confusion et l'agonie, comme un vase de verre qui éclate sur le sol.

Kaï kaï kaï !

Il y aura des blessés, et certains aussi y laisseront leur peau.



Je pense au chevreau sauvé in extremis des crocs du chien errant d'hier.

C'est la loi du talion au Sénégal, et la chèvre aura toujours le dessus sur le chien.

...



Le taximan nous dépose bientôt sur le bas-côté de la route, devant un cabanon à la toiture de paille où une femme drapée d'aubergine balaye de son entrée une fine couche de sable infinie.

On paye et remercie le chauffeur sous le regard curieux de la mégère.



Un chemin sablonneux s'injecte ici, au travers de quelques huttes encerclées par des chèvres et des porcs triant une masse d'ordures colorées pour se nourrir.

"Par là" que nous pointe le taximan.

"Par là Pointe Saint-Georges".



À partir de ce moment, nous devrons sans cesse demander notre route: les passages ensablés traversant Mlomp s'articulent comme des lignes de la main.

Heureusement, à cette heure-ci (il est 7h30AM), les écoliers s'enlignent joyeusement vers leur salle de classe.

"De quel côté Pointe Saint-Georges?"

"Par là" que nous indique les plus vieux

tandis que les plus jeunes, eux, se limitent à nous balancer des "toubabs toubabs" en riant.



Souvent, des fromagers grandiloquents, hauts comme des tours, longent le chemin qu'on emprunte.

C'est le calme plat dans le village éparpillé.

Déjà, les véhicules motorisés n'y ont plus accès.



Quelques oiseaux piaillent: des perruches émeraudes et des canaris matinaux.

Parfois, des sénégalaises passent et nous dépassent en portant des calebasses ou des lots de branches équilibrés sur leur tête.

"Pointe Saint-Georges par là" qu'elles arrivent à nous pointer sans cligner des yeux.



"Suivez cette femme, que nous dit l'une d'entre elles, elle s'en va voir le dentiste à Pointe Saint-Georges"...

C'est qu'un groupe de médecins bénévoles doivent y passer la journée aujourd'hui.

Elizabeth, la propriétaire du campement Emanaye, nous l'avait mentionné à notre départ ce matin.

Mon plan de retour sera donc de partager la pirogue des docteurs en fin de journée pour retrouver Oussouye.

(Fanny et Antoine prévoient, eux, de dormir une nuit à Pointe Saint-Georges).



On se met donc à suivre comme on peut la vieille dame de quatre fois mon âge (peut-être), elle qui a planifiée de se départir enfin de sa dernière dent noircie par ses décennies d'abus de sucreries.



Le village de Mlomp se retrouve bien vite derrière nous, le paysage nous dévoilant maintenant de larges rizières asséchées

et des canaux resserrés par des mangroves au dessus desquels traversent des passerelles instables en lattes de bois inégales.

La centenaire marche bien vite devant nous.

Le décor ne l'impressionne plus, elle qui a passé le dernier siècle dans une circonférence d'un peu moins de 10km².



Un champ de foin fait bientôt surface, une brousse idéale aux antilopes et aux lions (à une autre époque peut-être).

Des zébus broutent au loin, sous le dardant soleil qui cherche à rejoindre son zénith.

Pointe Saint-Georges approche: une tour de communication y est clouée comme un phare, et là-voilà maintenant visible derrière un boisée.



Quelques pas de plus... et puis on aperçoit finalement un bâtiment rectangulaire (probablement une école) à un carrefour en fourche au milieu d'un champs.

C'est ici que notre guide devra nous quitter.

Je remet à la vieille dame édentée quelques écus pour la remercier.

Elle me sourit.

À part le dentiste, je serai certainement le dernier à pouvoir le témoigner: l'unique dent de cette femme devra se faire déloger.

...



Le village de Pointe Saint-Georges fait la sieste.

Rien n'y bouge, à part la basse-cours en liberté.

Quelques fois, des agriculteurs et des pêcheurs se font visibles, assis là sous les palabres avec les poulets

ou tirant mollassement un seau d'eau terreuse hors du puits central en soupirant.

Jamais Pointe Saint-Georges ne se réveillera de sa sieste.



Sur la plage infestée de crabes, un mirador a été installé devant le fleuve Casamance.

Sous la houle, on peut parfois apercevoir les lamantins s'étirant la bouche pour respirer,

glissant le dos hors de l'eau, comme une maladroite danse nuptiale au ralentit.

C'est ici que les grosses vaches aquatiques ont prit l'habitude de paître.

Une source d'eau douce sous-marine les attire ici paraît-il.

Voilà tout.

...



C'est la fin d'après-midi et je vais maintenant à la rencontre des médecins installés à l'école du village pour principalement faire des bilans de santé et de la prévention.

Ils sont quinze bénévoles ici, tous français et majoritairement à la retraite: des docteurs, des dentistes et des pharmaciens faisant l'impossible pour aider ces petits villages sénégalais oubliés par la modernité.

Ce sont les sorciers de l'occident.



Hervé, le toubib en chef, m'accordera une place de passager clandestin dans sa pirogue vers Elinkine.

Heureusement, car noliser une petite embarcation privée vers une route asphaltée à partir d'ici s'élèverait à 25 000 francs CFA (+ou - 60$ canadien).

Ça leur fera donc un porteur de plus pour leur matériel et leurs bacs de médicaments.

...



Après certainement quelques miracles, les médecins et moi-même embarquons finalement dans la pirogue motorisée.

Il est 18h00.

Arrimé à la va-vite, leur matériel est lourd et fragile dans la cale.

De l'eau pénètre au compte-gouttes dans le bateau.

Il faudra écoper durant la traversée.



Incluant le capitaine, on est 17 dans la pirogue profondément callé sous l'onde houleuse du fleuve Casamance.

Il est tard pour partir pour Elinkine nous affirme le piroguier.

Le vent se lève gravement à cette heure, et la nuit noire tombera inévitablement sur nous durant la traversée.



On quitte donc Pointe Saint-Georges, sous les remerciements chaleureux et le chant des villageois.

C'est pour cette raison que les bénévoles s'aventurent si loin au Sénégal:

pour sauver le monde d'abord, mais surtout pour faire sourire les gens.



On se fait bercer par les vagues au départ.

Des dauphins nous escortent au coucher du soleil, sautant à travers d'invisibles cerceaux sous nos applaudissements.



Je souris

alors que d'un coup... le voyage se met à s'aggraver, maintenant que la nuit tire le rideau et que le fleuve enclenche ses ondes soufflées par l'Atlantique à l'horizon.

(Je ne risque rien avec des médecins).



La traversée s'envenime.

Prenant leur élan, les vagues se mettent à s'acharner sur les flancs de la pirogue, m'éclatant au visage à chaque assaut.

Trempé et frigorifié, j'agrippe le bois du bateau en me faisant blanchir les jointures.

La nuit s'abat sur nous.

Sans éclairage, nous sommes une embarcation fantôme dans la noirceur enragée.

Debout derrière le bateau surchargé, le piroguier se plisse les yeux: il doit maintenant se fier à ses instincts de navigateur.

(Je ne risque rien avec des médecins).



La traversée de 1h30 prévue s'étire, et s'étire

jusqu'à devenir un 3 heures d'inquiétude.

J'ai en tête Le Radeau de la Méduse de Géricault alors que l'eau s'infiltre hypocritement à nos pieds et vient imbiber les boîtes de pilules enfermées dans des bacs de plastique fissurés.

Les médecins de brousse ne sont pas des êtres humains normaux.

Il faut être fous pour sauver le monde.

...



La pirogue rejoint enfin le quai d'Elinkine, sous une surveillance militaire accrue.

Il y a de la rébellion en Casamance: tout mouvement est surveillé, surtout de nuit.



Je pose enfin le pied sur la terre ferme, trempé et glaisé par la berge.

Il est alors passé 21h00.

Le van des toubibs est là: il nous attendait depuis quelque temps déjà.

Les bénévoles y prennent alors un siège, optimistes, rieurs et satisfaits (ils sont fous ces médecins).

On m'accorde aussi une place, debout dans la valise, entre les pansements et les barbituriques.



En route pour Ziguinchor, Hervé et les fous passeront par Oussouye, me libérant enfin au campement Emanaye, sain, sauf et grelottant dans la noirceur.

Elizabeth la propriétaire m'y attendait, inquiète de mon retard.

"Tu as passé une belle journée?" qu'elle me demande.

"C'était de la folie ce retour" que je lui pousse en reprenant mon souffle.

"Tu ne risque rien avec des médecins" qu'elle me confirme alors, en me glissant sous le nez un thé très noir et particulièrement amer.

"Tu ne risque rien avec des médecins"...



Etienne X



Notes à Moi-Même:

1- Ne pas acheter des cosmétiques Gold Skin. Ils sont fait à base de bave d'escargots.

2- Quand j'ai demandé des légumes dans mon sandwich, je ne parlais pas nécessairement de frites.

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