Oussouye, Casamance (Le Roi des Floups)


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Africa » Senegal » Lower Casamance » Ziguinchor
March 17th 2018
Published: March 20th 2018
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13-14 mars



"Je suis allé en Casamance, j'en rêvais depuis longtemps à cause du mot romance" André Malraux



Séparée du reste du Sénégal, la Casamance se trouve enclavée entre la Gambie au nord et la Guinée-Bissau au sud.

À partir de Dakar, s’y rendre en taxi-brousse ou en autocar semble être une désagréable aventure de patience, causée principalement par une interminable attente (paraît- il) au poste frontalier de la Gambie.

L'option préférée des voyageurs demeure donc le traversier qui, deux à trois fois par semaine, quitte Dakar pour rejoindre Ziguinchor (en Casamance) en une quinzaine d'heures de traversée sur l’Atlantique.

Ayant prévu le coup depuis plus d'une semaine, j'ai (heureusement) un billet de croisière entre les mains, ce qui m'empêchera d'effectuer les suffocantes étapes de route terrestre jusqu'à Ziguinchor.


Comme planifié, je m'installe dans l'édifice flottant, vaisseau maritime reliant la capitale sénégalaise à la verte Casamance tout au sud du Pays.

Je m'y retrouve avec beaucoup de toubabs (les blancs) mais aussi avec des locaux qui, pour la plupart, vivent cette traversée comme un événement marquant de leur vie. Perché sur la poupe, je vois l'important port de Dakar s'éloigner derrière nous.

Il est 20 h 00 et le bar sur le pont ensoleille bientôt la nuit tombante d'un bronzant mbalax nerveux. J’en profite pour respirer à plein poumon l’air frais de l’Atlantique tout en regardant le ciel rapidement s’illuminer au-dessus de nous. L’eau noire, épaisse comme de l’encre, n’accorde par contre aucun reflet aux étoiles.

Avalés par l’obscurité, les derniers points de lumières de la capitale ont maintenant disparu au loin. Étrangement, j’ai depuis l’impression d’être immobile sur l’océan : l’onde mélassée semble nous retenir d’avancer. Pourtant, derrière le vaisseau, la puissante hélice malaxe clairement toujours l’espace.



Sans presse, je gagne ma couchette, dans ce dortoir à 8 lits où déjà, une poignée d'enfants tressés s’y trouvent, branchée sur une unique tablette électronique qui joue fort un épisode de Kirikou. Perché sur l’une des couches du haut, discret, je m’ouvre un recueil des contes d’Andersen pour étirer le temps.

Bientôt, un homme noir comme de la suie apparaît dans le dortoir. Ce dernier entre et sorts sans cesse de la cabine, cadencé par sa dépendance chronométrée de fumeur insatiable. Lorsqu’il cessera enfin ses sorties pour venir s’endormir sur sa couchette, l’homme goudronné actionnera des ronflements accablants et certainement tout aussi cadencés que son habitude à se griller des cigarettes sur le pont.

Je me gobe deux Gravols, davantage pour ses effets secondaires de somnolence que pour sa force à stopper le mal de cœur.

Et puis je m’enfonce des bouchons aux creux des oreilles aussi.

Heureusement, la recette semblera fonctionner : je finirai bien vite par m’endormir.

Malgré mon bruyant voisinage, la traversée passera étonnamment vite, bercé par les flots nocturnes de l’Atlantique.

Avoir eu un biberon, j'aurais certainement biberonné.

...

Il est 11 h 20 du matin et le traversier accoste au quai de Ziguinchor. Depuis notre entrée sur le fleuve Casamance, des dauphins nous escortaient comme quelques fois les gamins l'ont fait à l'entrée des villages. Le Sénégal est fait de pêcheurs, d'agriculteurs et d'enfants qui rient.



Dans un capharnaüm digne d'un marché aux puces, j'agrippe au passage ma maison à bretelles dans le lot et fait mon apparition comme ça, sur Ziguinchor.

La végétation est luxuriante sur la Casamance. Les baobabs quasi-absents ici ont été remplacés par des séries de palmiers, et la sécheresse par des rayures de forêts encadrant des rizières présentement en jachère. Le sud est loin de ressembler aux désertiques régions nordiques du Sénégal. Géographiquement, la Casamance serait davantage le rez-de-chaussée du Pays, mais ici, la région est surnommée le « grenier du Sénégal ». Je confirme donc : la Casamance est un immense jardin irrigué.



Aussi loufoque que ça semble paraître, je m'étais fixé un étrange objectif à atteindre en Casamance. Je m'étais renseigné un peu avant mon départ du Québec et puis encore davantage depuis mon arrivée Sénégal. C'est qu'en Casamance, dans le paisible village d’Oussouye, situé à une heure de route de Ziguinchor, se trouve supposément un Roi : Sibiloumbaye Diédhiou, Roi des Floups. Chef spirituel de la communauté des Jola, le Roi a une influence considérable sur son village. Proche collaborateur du Dieu Ata Emit (littéralement « à celui qu’appartient l’Univers »), le marabout reçoit les offrandes, prie et apaise la puissance divine à l'aide de rituels et de sacrifices (... pas humain les sacrifices, Dieu merci.)

Mais ne rencontre pas le Roi qui veut, surtout pas les toubabs. Voilà donc le plan que j’avais en tête à mon arrivée en Casamance : je dois trouver un moyen de pouvoir rencontrer ce fameux Roi des Floups.




Arrivant de Ziguinchor, je débarque de mon taxi-brousse à un terrain vague et ensablé, tout juste à l’entrée de la commune d’Oussouye.

Quelques taxis y sont postés sous le soleil tapageur d’après-midi.

Après entente, je prends place dans l’un des véhicules et entre dans le village endormi d’Oussouye, en direction d’un campement que j’avais réservé à l’avance par Internet.

Ma ferme intention de serrer la pince du Roi des Floups me roulait en tête depuis que j’avais quitté Ziguinchor.

Je devais trouver une raison pour qu’il accepte de me rencontrer. Et c’est alors que m’apparus cette idée : j’ai dans mon sac à dos, un sac plein de crayons que je prévoyais remettre aux plus démunis rencontrés ici et là au Sénégal. Je pourrais certainement en faire offrande au Roi maintenant, qui alors accepterait peut-être de me recevoir dans son palais.

Le plan semble infaillible : le Roi ne pourra pas refuser le cadeau d’un voyageur venu de si loin.

Demain donc, avec l’aide des tenants de mon campement, je chercherai un moyen d’actionner mon plan et d’espérer une rencontre avec l’intriguant marabout d’Oussouye.



Enfoncé sur la banquette arrière du taxi, je jongle avec ces idées alors que mes pensées soudainement se mettent à déborder.



« Vous connaissez le Roi des Floups ? que je lance instinctivement à mon chauffeur, comme si je n’avais pas pu retenir mes tenantes réflexions de se verbaliser.



- Le Roi? Mais bien sûr, me répond-il fièrement, tout le monde ici connaît le Roi des Floups.



- Et dites-moi, vous pensez que je pourrais le rencontrer ? »



Silence.



Le chauffeur lève alors les yeux et, dans le rétroviseur, je vois ses sourcils se froncer en ma direction.
J’ajoute : « ... J’ai amené un sac plein de crayons du Canada... et j'aimerais le remettre au Roi des Floups... »

Le regard dans le miroir disparaît, retournant dès lors sur la route.

Silence à nouveau.

Je rajoute alors davantage de glaçage à ma manigance : « ...Tous les membres de ma famille ont contribué vous savez... (mensonge)... ma mère, mon frère, ma sœur m’ont remis des crayons à remettre au Roi des Floups. Et j'ai maintenant un sac plein de crayons à lui offrir. »

Le chauffeur de taxi me regarde à nouveau dans le rétroviseur, peut-être attendri cette fois, alors que je sors de mon sac à dos une poche effectivement bien remplit de crayons.

Et puis je sucre encore davantage mon stratagème : « ...Ma mère m’a donné ce gros feutre rouge là, ma sœur ces quelques stylo-billes et mon frère cette poignée de crayons à colorier... »



- Hmm, qu'il me répond alors, en ramenant de nouveau ses yeux noirs sur la route. Je vais voir ce que je peux faire. Je pourrais peut-être vous le faire rencontrer.



Surpris de la tournure des événements, je remets donc le sac de crayons au fond de mon sac à dos en tentant de retenir mon soudain enthousiasme.

Le taximan devient alors rapidement songeur : « Je dois prévenir la Reine des Floups... pense-t-il à voix haute, regard droit devant lui, je dois immédiatement prévenir la Reine des Floups »





Bien vite, nous arrivons à un bâtiment allongé, sans flafla, aux murs roux et tapotés de terre cuite situé derrière la rue principale. L’endroit ne ressemble en rien à un palais royal. Le Taximan et moi-même débarquons du véhicule et nous y entrons sans cogner.

Dans la cours intérieure de la demeure, une vieille femme lave des torchons, courbée dans une bassine, tandis que deux autres chauffent un goudron quelconque sur une bonbonne de propane. En entrant, le chauffeur lance dans les airs quelques mots en diola.
La lessiveuse lui répond. Moi je suis derrière, souriant comme un chaudron, essayant de deviner ce qui se dit.

« Hmm, que me fait le Taximan. La Reine des Floups est malheureusement absente, c’est bien dommage. Mais bon, la Princesse est là.



- La Princesse des Floups? que je m’exclame alors soudainement.



- Oui, qu’il me confirme. Elle est juste là, sous la toiture de ce balcon. »



Devant moi, dans l’ombre, se trouve une gamine d'à peu près 7 ans qui dessine sur le sol terreux un soleil avec une branche de bois.

La petite lève alors les yeux et m’observe, cachée dans sa jupe sale de Cendrillon.

Bizarrement, son museau morveux, activé par des allergies, renifle en se trémoussant comme le ferait peut-être celui d'une musaraigne.

Je salue donc la Princesse des Floups comme je peux, en me penchant, levant ma casquette comme dans un film (je n'ai pas l'habitude avec la Royauté.)



Le taximan lui sort quelques mots, pour la faire sourire peut-être, je ne sais pas.

C'est alors que la Princesse, d'un bond, m'agrippe la main et m’entraîne sans attendre vers la sortie de l'humble palace.

« Je lui ai dit que tu avais un sac de crayons pour le Roi des Floups, que m'explique le Taximan en nous suivant. Elle va te présenter à son père qui demeure tout près... dans la forêt sacrée. »



Alors me voilà donc, main dans la main avec l'honorable Princesse des Floups, tiré dans les rues d’Oussouye jusqu’à rejoindre la forêt sacrée, à quelque part de l’autre côté de la route principale. Le chauffeur de taxi nous accompagne, derrière, mains dans les poches.

À défaut d’avoir eu l’approbation de la Reine, je serai maintenant présenté au Roi par sa fille.

Dans mon sac à dos, j’ai le sac de crayons bien au frais, mûr à être remis à sa majesté des Floups.

La Princesse s’excite: clairement, mon offrande ira dans la sacoche de Cendrillon.

...



S'étirant dans un boisé tout près, un sentier ensablé s’allonge en disparaissant en courbe sous de longs palmiers poussiéreux.

Le Taximan m’invite à me déchausser alors que la Princesse, déjà pieds nus, s’impatiente : on ne pénètre jamais dans la forêt sacrée encore en chaussures.

À pas feutrés, j’entre enfin dans le boisé, empreignant du talon aux orteils le sable refroidit qui se déploie en une allée royale ombragée au travers des troncs fixés en sentinelles.



Quelques enjambées seulement suffisent pour retrouver l’éclaircie où se révèle enfin l’imposant Roi des Floups au pied d'un arbre à palabres, accroupit sur un minuscule tabouret en bois, genoux tirés jusqu’au menton.

Sans soulier (le Roi doit gouverner à jamais sans ses souliers) et couvert d'une toge rouge vif d’inquisiteur, il est là à écouter patiemment ses sous-fifres qui papotent.
Sous sa couronne de feutrine écarlate, le Roi s'appuie adroitement sur un sceptre de paille, statufié et muet comme un poisson sur son petit bout de banc.

« Man Kasumay » (que la paix soit sur toi) lui dis-je à notre arrivée, en trébuchant sur mon accent grave (le chauffeur m'avait vaguement dit au départ comment aborder le marabout.)

« Kasumaye Kép » (que la paix soit sur toi aussi) qu'il me répond dès lors, atone, les yeux relevés vers nous.

Empressée, la petite Princesse rejoint alors son père et lui glisse secrètement quelques mots à l’oreille.

Le Taximan aussi s’en approche, lui chantant aussi quelques mots en diola.

Et moi je suis là, chaudron une fois de plus, derrière et nerveux pour je ne sais trop quelle raison. Cet homme a beaucoup de pouvoir sur sa tribu. Quel faux-pas dois-je éviter de faire devant de la royauté qui égorge des poulets pour apaiser les génies maléfiques ?



D’un coup, Sa Majesté, la Princesse et le Taximan se retournent alors et me regardent tous en choeur.
Il y a un court mais certainement lourd silence qui s’installe.
Le chauffeur me fait alors un discret signe de tête : ce serait maintenant mon temps d'entrer en scène.

« J'ai un sac de crayons pour le Roi des Floups » que je lance en récital comme un gamin du primaire en oral, seul devant la classe.

Le Roi acquiesce de la tête, et puis se retourne vers le chauffeur en le remerciant (sa majesté parle toujours aux touristes par l'intermédiaire d'un de ses valets).

« Le Roi te remercie » me dit le Taximan.

Je m’agenouille donc dans le sable, ouvrant lentement mon sac à dos, et je sors l’offrande sous le regard ébahi de la Princesse. La petite, toujours aux côtés de son père, jubile en tapant nerveusement du pied.



Le Roi se lève alors de son humble trône, main sur les reins, en proférant un hmmmmfffff comme une incantation. Je me relève aussi.

« Son Altesse royale se lève. Une photo est accordée » que proclame haut et fort le Taximan.

Rapidement, je remets mon appareil-photo au chauffeur, avant de me rapprocher enfin de la toge silencieuse.

J’étire le bras en lui tendant la main en douceur comme si je m'apprêtais à flatter un cheval sauvage.

Il y a contact : le Roi des Floups m’attrape et me serre la pince.

Dans l’éclaircie, un déclic se fait : une photo est prise. Cendrillon, sac de crayons entre les mains, se retourne et me sourit triomphalement, sans dire un mot.

« Merci vénérable Roi des Floups » que je lui énonce alors en reculant, articulant les syllabes à chacun de mes pas, tête baissée comme si je me trouvais devant César.

Le Taximan formule quelques mots de politesse avant de partir aussi et, maintenant désengagé, me suit vers la sortie.

La Princesse, toujours fixée à côté de son père, s’illumine en comptant ses crayons.

Le Roi, lui, finira certainement par se rasseoir.





Nous sortons alors du boisé et, après s’être rechaussé, nous retournons tous les deux vers le taxi. Le chauffeur demeure silencieux : il est certainement moins impressionné par cette aventure que je le suis présentement.



Maintenant en route vers mon campement, fondu sur le banc arrière du véhicule, je regarde la photo encore tiède de ma rencontre avec le Roi des Floups. Certainement étonné d’avoir si rapidement atteint mon objectif, je tourne les yeux vers le royaume d’Oussouye qui se défile par la fenêtre du taxi comme sur une projection de cinématographe.

Les villageois me regardent passer en souriant.
Je leur souris aussi.

Déjà, j’ai l’impression de les connaître un peu plus.



La vie me fait gravement rire parfois.

Etienne X



Note à Moi-Même:

Trouvé dans les menus du Sénégal:

1- Brière

2- Jus Ginginbre

3- Homelettes

4- Beafteckes

5- Les Pattes (la section des pâtes, on s'entend....)

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