Chapitre 5 : Tokyo, bienvenue à Disneyland


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Asia » Japan » Tokyo » Shinjuku
August 20th 2015
Published: September 6th 2015
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Tout au fond de ma capsule, je joue à cache-cache avec le sommeil qui semble m’éviter ce soir. J’en profite pour m’atteler à mon article sur le Japon, ou plutôt ce que j’en ai vu, c’est-à-dire essentiellement Tokyo.

Synthétiser mon expérience dans une telle ville avec des mots est assez difficile…

« Disneyland ». Voilà la première chose qui m’est venue à l’esprit quand je suis arrivé à Tokyo, et j’avoue que ça donne une idée assez proche de ce que j’ai pu y ressentir pendant dix jours.

L’impression d’être dans un monde différent. Un monde sans commune mesure, un monde aux dimensions impensables. Un monde à la fois merveilleux avec de grandes tours, des bâtiments aux formes insolites, mais surtout un monde peuplé de gens étranges, parlant et écrivant dans une langue bizarre, et suivant des codes incompréhensibles.

Tokyo est par sa taille la plus grande métropole du monde, et sa superficie dépasse même celle de pays comme Chypre ou le Liban. La ville en elle-même compte 13.4 millions d’habitants, et son agglomération en englobe plus de 37 millions. Dit autrement, il y a plus de Tokyoïtes que de Canadiens. Cela pose déjà un peu le contexte. Maintenant dans ce cadre qui ne possède aucune comparaison, imaginez-vous évoluer et vivre votre vie de tous les jours. Vous commencerez votre journée en prenant un café dans un des 259 Starbucks, avant d’aller travailler. Pour votre courte pause du midi, vous pourrez aller déjeuner dans un des 88 000 restaurants. Puis vous rentrerez chez vous en conduisant l’une des 3.3 millions de voitures qui arpentent la ville, à moins que vous ne préfériez emprunter le métro pour descendre à l’une de ses 503 stations.

Personnellement, je vous conseille de marcher. Arpentez les rues bondées de Shibuya, évadez-vous parmi les temples biscornus d’Asakusa, laissez-vous dominer par les futuristes Skytree et Tokyo Tower, déambulez entre les bars des minuscules ruelles de Golden Gai. Quand vous finirez enfin votre périple, pour regagner votre futon dans votre suite présidentielle ou votre capsule étroite, vous fermerez les yeux pour trouver le sommeil. Mais derrière vos paupières closes, les visions de ce monde de lumières, de couleurs, de vertige et d’excès continueront de palpiter.

Comme vous commencez à le comprendre, c’est avec des yeux d’enfants que j’ai découvert Tokyo. Mais pour tout dire, le spectacle réside tout autant dans les gens que dans la ville. Pour simplifier, je m’étendrai sur deux catégories qui m’ont marqué. La première, ce sont les businessmen. Ils sont tellement nombreux, et tellement tous en uniforme (pantalon de costume, chemise blanche, pas de cravate) que l’on dirait parfois une armée ou une secte. Ils sillonnent les rues de Tokyo de leur pas affairé, arborant fièrement leur petite mallette distinctive, et sont parfois imités par des femmes (beaucoup moins nombreuses) en tailleur bleu foncé. En heure de pointe dans le métro, ou autour des quartiers d’affaires, c’est assez impressionnant de les voir sortir par centaines. La seconde catégorie est celle des filles. Oui rien que ça, je me permets de généraliser à ce point-là. A part de très vieilles femmes, toutes les filles que j’ai vues à Tokyo étaient maquillées et bien apprêtées. Le fond de teint, le rouge à lèvres plus ou moins discret, les longs cils, les cheveux teints, rien ne manque. On commence ensuite à avoir quelques variantes : sur une échelle allant du kimono au cosplay, certaines choisiront la petite jupe et les chaussettes hautes, alors que d’autres préfèreront un haut plus moulant avec des talons. Bon… bien entendu, j’exagère et dépeins des millions d’individualités en quelques lignes, mais j’avais vraiment l’impression qu’elles suivaient quasiment tous un voire quelques modèles très similaires.

Ces gens étranges semblent appartenir avec un monde non moins étrange, qui fonctionne selon des règles souvent étonnantes voire incompréhensibles. A Disneyland, les habitants retirent leurs chaussures à peu près partout où ils entrent, s’inclinent très bas et à de nombreuses reprises pour se saluer ou se remercier, écrivent et parlent dans une langue aux signes et aux tonalités inconnues, et nombreux sont ceux qui arborent des costumes aux couleurs vives. Dans les supermarchés, 90% des rayons sont dédiés soit aux cosmétiques, soit aux médicaments, ne laissant qu’un demi-rayon pour la nourriture, où les plats sont déjà préparés dans des barquettes. Dans ce monde merveilleux où les prix sont aussi hauts que les gratte-ciels, tout semble déréglé : la plupart des magasins sont ouverts 24/24, et les gens terminent à des heures impensables pour finir leur travail. On a pu remarquer ça en observant les gens dans le métro le soir, véritables zombies en chemise blanche, les traits tirés, les cernes creusés, la tête endormie ballotant de gauche à droite au rythme des stations.

Pour autant, dans cette fourmilière bouillonnante, l’ordre est de mise. A Disneyland, les habitants sont extrêmement disciplinés et suivent les règles à la lettre. Les rues auront beau être vides de voitures, les gens ne traverseront pas avant que le feu ne passe au vert, que cela prenne cinq secondes ou cinq minutes. Les stations de métro auront beau être bondées, ils attendront en files impeccables absolument nettes et parallèles leur tour pour pouvoir entrer dans le métro. Pas un klaxon ne retentit dans les rues de cette mégapole, et la circulation automobile comme piétonne est respectée à la lettre.

Un autre aspect qui m’a marqué est que, dans la ruche Disneyland où bourdonnent des millions d’abeilles, les gens sont seuls. Dans la rue, on ne voit quasiment aucun couple, aucune famille, aucun groupe d’amis. Seulement des millions d’individualités se rendant à leur destination d’un pas rapide et affairé. Je me souviens avoir observé une fille distribuant des prospectus depuis la fenêtre d’un restau en savourant mon ramen. A chaque personne qui passait devant elle, la demoiselle s’inclinait bien bas, et d’un geste respectueux lui tendait le prospectus. Pendant les vingt minutes où je l’ai observé, elle a dû reproduire ce scénario des centaines de fois, sans pourtant écouler aucun prospectus. Les passants la dépassent, complètement invisible, sans lui jeter un seul regard.

Le spectacle est également frappant dans le métro où règne un silence assez impressionnant : les zombies somnolent ou sont scotchés sur leur portable. Tout semble fait pour éviter les contacts humains. Dans les restaurants, on doit souvent passer par une machine pour effectuer sa commande, et même dans les nombreuses salles de jeux d’arcades, les gens, hypnotisés par leur écran, préfèrent jouer seuls que de se récréer avec leurs amis. La seule action collective que l’on a pu observer était une manifestation protestant contre la politique du Président Abe voulant changer la Constitution afin de militariser le Japon.

C’est donc pendant une dizaine de jours que nous avons évolué dans Disneyland. Dans les dédales de cette ville tentaculaire, nous nous sommes frottés à cet environnement, avec un mélange d’ébahissement, d’amusement et de consternation. Nous avons passé des heures dans le métro à nous faire snober par des Japonais pétrifiés à l’idée de s’assoir à côté de nous, nous sommes oubliés dans les foules de Shibuya, avons découvert des salles souterraines immenses de studio photo principalement pour jeunes filles à Harajuku, avons quitté la multitude pour un instant de plénitude dans le parc d’Asakusa où les cerisiers cachaient l’immense Skytree. Nous avons parcouru les allées sans fin du cimetière Yanaka, nous sommes fait touché le téton par un maquereau bien entreprenant à Ueno, avons dépensé plus de temps et d’argent que ce que l’on aurait voulu au Sega Game Center, avons admiré les gratte-ciel disparaitre dans les nuages devant le château d’Edo, et avons dormi dans une capsule à Shinjuku.

Nous avions initialement prévu d’aller passer quelques jours à Kyoto, mais pour des raisons budgétaires, nous lui avons finalement préféré Kamakura, « petite » ville zen pas trop loin de Tokyo et au bord de la mer. C’est à Kamakura que j’ai réalisé que l’aspect Disneyland ne pouvait s’appliquer au Japon dans son ensemble, mais juste à l’hyperactivité tokyoïte. La ville compte cinq temples zen, et est coincée entre la forêt et la mer, ce qui en fait une destination très agréable à parcourir et où il fait bon vivre. Après quelques baignades, ballades, bambous, et bouddhas, nous avons finalement regagné Tokyo l’effervescente pour un dernier ramen avant de prendre l’avion pour ma Pékin bien-aimée qui m’attendait.

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