Kiev, Ukraine (Київ) (ou Les Chevaliers de l'Âme)


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January 7th 2020
Published: January 7th 2020
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4 janvier

Tranquillement, mon décalage horaire se réajuste et m'ouvre les yeux à l'heure honorable de 7h15 ce matin.

Six des huit lits sont vacants dans le dortoir: le corps sous le linceul de l'autre couchette semble endormi depuis mon débarquement sur Kiev, c'est-à-dire depuis plus de 36 heures.

Comme un vampire, ce dernier semblera se réveiller que pour revivre des nuits blanches sur la capitale ukrainienne jour après jour.



Le ciel s'ambre difficilement avant 8h00am en cette saison.

¨ Why so early? ¨ que me demande Viktoria l'hôtesse, les yeux à demi levés de derrière l'horizon de son comptoir.

¨ I want to go to Lavra ¨ que je lui répond.

¨ Ohhhhhh Lavrrrra. Lavrrrra beautiful in summer. Flowerrrrs everrrrywherrrre ¨ qu'elle me relance, regard brillant, en se dessinant un croquis de sourire.

¨ And in winter? ¨ que je lui demande.

¨ Winter Ok ¨ qu'elle me répond alors sèchement, réévaluant à la baisse son niveau d'excitation.

Bref, j'imagine que sans neige ni verdure, le monastère de Kyevo-Pecherska Lavra se présentera comme il peut, vêtu de ses habits glauques et gris de funérailles.



Mon guide en papier me le mentionne: ¨ (...) the monastery's cluster of gold-domed churches is a feast for the eyes ¨.
Il ne m'en faudra pas davantage pour que j'ose l'expédition en matinée, m'efforçant ainsi de (peut-être) éviter les foules d'après-midi.



8h00am.

J'agrippe un latté et un croissant à la dinde ( ¨ big chicken ¨ que m'a traduit la caissière: je conclue donc que c'est à la dinde ce sandwich) puis je me lance sous la ville, dans le grand silence du Metro matinal en ce dernier samedi avant le Noël ukrainien.

Quelques stations suffiront à relier mon auberge à la sortie Arsenalna, tout près de la rivière Dnipro, là ou se trouve le vaste complexe orthodoxe de Lavra, le plus sacré des sites religieux en Ukraine.

J'arrive à l'entrée du monastère accompagné de quelques bouts de femme en dévotion.

Il y a certainement du pèlerinage dans les alentours.



L'absence de touristes à cette heure détonne sur Lavra.

Les ukrainiennes, peu surprise par la grandiloquence des casques dorés de ses églises, pressent le pas et misent sur la porte en bois d'un imposant bâtiment bulbeux au fond de la cours.

J'accélère le pas et entre aussi dans cette église, curieux certes mais aussi, avec l'espoir de me réchauffer quelque peu.



Une messe a lieu dans l'endroit.

Debout, les fidèles (majoritairement des femmes) font leur signe de croix, visages arrondis par des châles lacés serrés sous leur menton comme des chapeaux de fête.

Parfois, elles se courbent en angle, fixant le sol marbré, ou bien s'agenouillent carrément sous le poids de leurs prières.

Certaines allument des chandelles longues comme des cure-pipes, puis d'autres embrassent des grands visages ternes et auréolés sous du vitrage graissé par des traces de doigts.

Austères dans la nef, des barbes orageuses sous des toges aussi sombres que leur regard balancent un encensoir ou bien présentent à bout de bras un brillant grimoire en or.

Au dessus de nous, un faisceau d'ensoleillement dévoile une fresque pourpre dans la coupole, là où un grave Jésus encerclé d'anges fixe ses disciples du fond violacé de son firmament.

Des chants de baryton résonnent en écho dans l'église et couvrent les psaumes murmurés des fidèles.

Je ne sais pas si ces voix revivent jour après jour en un pré-enregistrement ou si une chorale s'active présentement de derrière la cloison interdite de la sacristie.

De toute évidence, derrière leur face en broussaille de Raspoutine, les moines ont certainement des cordes vocales rauques et caverneuses.

Adossé contre un mur près de la porte, j'espère maintenant me faufiler hors de l'église au bon moment, sans trop attirer l'attention des dévots en prière.

Il ne faudrait certainement pas couper le murmure d'un verset en ukrainien incanté par l'une des sinistres barbes de la nef.

Entre deux ponctuations, j'ose enfin ma sortie. J'atteint la poignée et, alors que la lourde porte s'ouvre, les pentures du massif portail se mettent à déchirer le silence de la messe… kwiiiiick… comme un ongle sur un tableau d'école.

Et puis au même moment, une bourrasque de l'extérieur vient éteindre les flammes des estrades de cierges du vestibule. Wooooof.

Mon départ de l'église est finalement remarquable.

En espérant que le diable n'en a pas profité du même souffle pour s'y introduire.



La température ne s'est pas réchauffée sur Kiev. Balayé par des vents qui éteignent les bougies, Lavra n'a toujours pas davantage de touriste sur son site.



Au sortir de l'église, une pente pavée en casse-tête nous relie à une série de bâtiments clos et des jardins en jachère tout en bas du complexe.

Déjà, des pèlerins et des vieux mages s'y dirigent pour explorer les mystiques et réputées cavernes de Lavra.

J'accélère le pas une fois de plus, dépasse une série d'ancêtres et puis entre dans une toute petite boutique d'icônes orthodoxes dont se délectent les plus croyantes familles ukrainiennes.



Dans l'arrière-boutique, un passage artériel laisse secrètement passer les visiteurs muets au travers de la plaie d'un mur.

J'achète une mince chandelle pour pouvoir y voir plus clair et je m'injecte aussi dans le tunnel sombre et haletant sous le monastère pulmoné de Lavra.





Je longe les murs, frôlant le plafond sans jamais pourtant devoir me pencher.

La flamme qui ballerine au bout de la cire de ma lumière dessine de monstrueuses ombres autour de moi.

Certaines mouvantes silhouettes me devancent tandis que d'autres s'étirent derrière moi comme soufflées par la respiration des pierres.



Déposés dans des encoches, des cercueils de verre font bien vite leur apparition dans les murs funéraires, cercueils au dessus desquels sont suspendus des chandeliers multipliant les ombrages dans la caverne.

Au travers des vitres, des momies couvertes de draperies minutieusement crochetées, scintillant d'orfèvrerie et de filages argentés prennent corps.

Parfois, un pied mariton (Madelon) ou une main séchée s'échappe du drap contour, rabougrit et recroquevillés presqu'à devenir du prosciutto.

Dans un cul-de-sac, un déshumidificateur assèche les cadavres momifiés comme on sècherait peut-être le poisson.



Les tunnels s'emplissent rapidement de visiteurs et de dévots qui bécotent le verre des cercueils en incantant les vieux sorciers du passé.

Une jeune-vieille guide un groupe de touristes anglophones alors qu'elle murmure d'incompréhensibles informations sur les moines adulés dans leur boîte.

Emballée, son visage se retrouve si serré par son foulard qu'elle n'arrive plus à démordre sa prononciation.

Ses mots se ventriloquent alors qu'elle parle comme elle a l'habitude de susurrer ses prières.

''Shshshshshsh.... Soul Fighters.... shshshshshsh''



Je conclue donc: les Moines de Lavra sont comme des Chevaliers de l'Âme.



Etienne X



Notes à Moi-Même:





1- C'est pas si mauvais de la soupe aux patates.

2- Le record du plus petit livre au monde est relié par un fil d'araignée.

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