DM en Ayiti


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Haiti's flag
Central America Caribbean » Haiti
June 17th 2016
Published: June 22nd 2016
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Samedi 11 juin. Ce matin, je retourne à mon petit oasis qu’est l’hôtel Cyvadier. La matinée est calme et bien prolifique côté travail. Sur l’heure du midi, un groupe de folklore haïtien s’installe. Étrange… Je comprendrai quelques minutes plus tard pourquoi. En après-midi, un immense groupe de touristes états-uniens apparaît et le charme paisible de l’endroit fait place à un chaos de prostitution culturelle à grand déploiement. Certains hommes, échaudés par les bières et le rhum haïtiens qu’ils auront voulu essayer, réessayer et essayer de nouveau, faisaient des simagrées en tournant autour du band qui semblait habitué à ce type de situation. Ce dernier délaissa rapidement le folklore haïtien pour se lancer dans des classiques pop nord-américains remixés à la manière du kompa, qui semblaient plaire davantage à la foule. Malgré cette ambiance animée, je réussis quand même à continuer de travailler. Je suis tout de même parti un peu plus tôt, aux abords de la voiture conduite par nul autre que Figaro! Il me demanda si j’avais un petit moment… intrigué, j’ai répondu par l’affirmative. Il m’a donc amené à la terre que sa famille a achetée pour y construire un magnifique hôtel, nommé Emerald, qui sera terminé dans la prochaine année. Une petite barque se laissait bercer par l’ondulation des vagues, sur une mer calme. Un autre petit oasis en devenir…! Qui sait, peut-être que ce sera ici que je viendrai me reposer et travailler calmement lors de mes prochaines escapades haïtiennes! Après un moment à contempler le paysage, nous retournons dans la voiture et nous enfonçons dans les terres en direction des montagnes. Cette fois, Figaro me projette dans le futur et me montre la terre où il souhaite bâtir sa maison et élever sa famille. Celle-ci se situe au sommet d’une petite colline, entourée d’immenses montagnes. Quelque chose me frappe presqu’immédiatement : le silence qui nous enveloppe dès que le moteur s’arrête. On n’entend alors que les chèvres bêler au pied de la colline, les voix lointaines d’enfants qui s’amusent et les bruits métalliques d’ustensiles de cuisine qui s’entrechoquent dans la petite maisonnette faite de bois et de tôle, à une centaine de mètres d’où nous nous sommes posés. Alors que Figaro retournait à la voiture pour répondre à un appel, je restai assis dans l’herbe, au sommet de la petite colline, à prendre conscience de tous mes sens que la scène émoustillait. Il y a de ces moments, des instants de grâce, où le temps semble s’arrêter pour nous permettre de prendre pleine conscience de ce qu’on vit. Ces moments sont les meilleures recharges d’énergie, de calme et de bien-être qu’il soit. Deux jeunes adolescents me rejoignirent pendant quelques minutes, curieux de me voir assis au milieu de ce grand espace vert. Ces jumeaux habitaient dans la maisonnette où leur mère était en train de préparer le repas. Finalement, je suis rembarqué dans la voiture aux côtés de Figaro, puis nous sommes partis à la recherche de viande pour un barbecue en soirée. Nous nous rendons au Koupe Dwet, un commerce sur la rue principale tenu par un Français qui s’est marié à une Haïtienne. Leur petite fille courait entre les tables de l’endroit. Je lui ai acheté 3 brochettes de bœuf et 2 saucisses de porc, salivant déjà à l’idée de déguster cette viande qui est peu commune ici. À 20h, je me rends à la fête organisée pour souligner le départ d’une des expatriées. Ce fut une superbe soirée, où j’ai pu rencontrer plusieurs autres expatriés sympathiques aux histoires tout aussi inspirantes les unes que les autres. Plusieurs ont tout laissé pour s’installer ici, rêvant d’aventures, d’un travail qui les passionnerait ou simplement de quelque chose de différent. Des Français, des hispanophones, des Haïtiens, la variété était au rendez-vous et les cultures se mélangeaient au fil des rencontres et des rires. Après quelques coupes de vin, un repas copieux où chacun partageait ses victuailles, des discussions colorées et quelques pas de danse, je suis reparti avec Élise et son conjoint. Seule tache à la soirée bien agréable : notre hôtesse qui partait dans les prochains jours s’est fait voler son téléphone cellulaire avec la carte de mémoire de son pays d’origine. On me dit que ce genre d’événement arrive très souvent dans les fêtes, même lorsqu’on invite des gens qu’on connaît chez soi. On a alors moins le réflexe de surveiller nos articles personnels. En sortant de la cour aux petites heures du matin, un avertissement d’Élise me rappela qu’on était en Haïti : « attention quand tu recules, il y a une vache! »



Dimanche 12 juin. Je me lève tôt ce matin pour pouvoir travailler avant de profiter de cette belle journée. Vers midi, Élise et Iker passent me chercher... pour faire du surf! La dernière fois que je suis embarqué sur une planche, j’étais encore adolescent. J’en garde un souvenir un peu douloureux… J’avais mis seulement le bas du swimsuit qu’on m’avait prêté. Je ne savais pas que la planche sur laquelle j’étais couché à plat ventre pour avancer dans la mer était cirée. En me poussant vigoureusement vers le haut avec mes bras pour m’asseoir sur la planche, j’ai eu droit à une séance d’épilation thoracique instantanée… Cette fois, je n’allais pas me laisser prendre. Iker m’a apporté un swimsuit. Nous sommes allés à la plage de Kabik, où les roches ont laissé place à du sable fin (beaucoup plus agréable pour les pieds!) et où le fond de la mer n’est pas parsemé d’oursins où d’autres surprises du genre. Le soleil nous dardait de ses chauds rayons donc nous nous sommes empressés d’aller à la mer. Une eau chaude, turquoise, l’air salin… que demander de mieux? Ah oui, un cours de surf par nul autre qu’Iker! Celui-ci nous a donné des conseils adaptés à notre niveau. Élise en avait déjà fait plusieurs fois et Elvira, une jeune dame espagnole administratrice de la Croix-Rouge néerlandaise et amie du couple, se débrouillait pas mal aussi. Les vagues étaient belles… J’ai tenté d’attraper les vagues au bon moment et de monter sur ma planche, encore et encore. Après plusieurs tentatives qui m’ont permis de bien nettoyer mes conduits sinusaux avec l’eau salée caribéenne, j’ai réussi à me lever à quelques reprises. Quelle sensation! Poussé par la vague à toute vitesse, je n’ai pas réussi à diriger la planche comme je le voulais, mais j’étais très content de cette expérience. Chapeau à Iker pour sa patience! Au fait, j’ai utilisé le swimsuit, mais plutôt que de suffoquer dans ce vêtement trop ajusté, j’ai décidé de risquer l’épilation à la planche de nouveau. J’ai terminé l’après-midi avec quelques poils en moins et le thorax tout rouge, mais avec un énorme sourire aux lèvres. Une fois le vent et les vagues tombées, nous avons rejoint d’autres amis expatriés à la plage. Ana (une espagnole), Corentine (une française) et Arnau (un catalan), trois expatriés extrêmement sympathiques, nous attendaient sur la plage. Ils sont partis rapidement, cependant, puisque le ciel s’était couvert et la pluie nous avait déjà trempés. Mon couple d’amis et moi avons décidé d’aller manger à Vue sur la mer, un restaurant avec – vous l’aurez deviné – une superbe vue sur la mer. Au menu : langouste, jus de fruit de la passion, riz aux fines herbes et bananes pesées. Pendant que nous dégustions ce festin, Iker me racontait comment il avait grandi à la mer, au Pays basque. Il se rendait à la mer, armé de son harpon, pour pêcher le repas du midi. Il pratique aussi la chasse/pêche en mer ici, en Haïti. Il m’a d’ailleurs expliqué comment pêcher un poulpe. Il faut d’abord le tirer au harpon, puis le ramener vers soi en tirant sur la corde liée au harpon, le laisser enrouler ses tentacules autour de son bras pour qu’il ne s’échappe pas une fois le harpon retiré, le prendre par l’arrière de la tête et revirer son crâne sens dessus dessous avant de lui arracher le cerveau. Ouf… Une chance qu’Iker a décidé de nous enseigner le surf plutôt que la chasse au poulpe…! Je me verrais mal me battre avec une bête visqueuse à plusieurs mètres sous le niveau de la mer. Nous avons aussi grandement discuté de l’humanitaire, des organisations internationales et de la situation d’Haïti, des sujets se prêtant facilement au débat d’opinions et à l’apprentissage. En début de soirée, mes amis me laissent chez moi. Malgré la fatigue, j’ai décidé d’écrire les dernières pages d’un des documents que je présenterai vendredi (aïe aïe aïe, déjà!), avant d’envoyer le tout à ma superviseure. Encore une superbe journée à profiter au maximum des merveilles qu’Haïti a à offrir.



Lundi 13 juin. Une journée sans histoire. Dans la voiture, j’ai rencontré une Québécoise nouvellement arrivée pour prêter main-forte à France, cette dame spécialiste des communications que j’avais rencontrée plus tôt. Elle devait se dédier aux communications entourant l’inauguration de l’Hôpital St-Michel de Jacmel, mais vu que celui-ci n’est pas encore prêt, qu’il y a une grève des médecins résidents et que le pays n’a plus de président, son mandat a changé. Stéphanie restera une dizaine de jours à Jacmel pour réaliser des visites terrain, armée de sa caméra et de son calepin. Pour ma part, j’ai tenté en vain d’organiser des entrevues avec des femmes ayant eu recours au système de référence pendant leur grossesse, puis j’ai fait une entrevue à la colorée Dre Rose-Francesse Pierre. Celle-ci est la coordonnatrice de l’Unité de santé internationale de l’Université de Montréal en Haïti et une femme d’influence dans la lourde politique haïtienne. J’admire sa façon de convaincre les politiciens que plusieurs croient inaccessibles pour obtenir ce qu’elle veut. Elle a le cœur à la bonne place, un fort caractère et un esprit critique bien aiguisé. J’ai pu apprécier ces qualités et sa vision macro du système de référence/contre-référence lors de l’entrevue. Mauvaise nouvelle en fin de journée : Dr Érold Joseph, ce Directeur de santé scolaire difficile à attraper en entrevue, m’a avisé qu’il ne serait pas présent à la consultation du vendredi. Rencontres de travail à l’horaire… je ne me suis pas gêné pour lui rappeler que la date du vendredi était fixée depuis près de deux mois et que sa participation à cette rencontre était essentielle, mais j’ai gardé mon sang froid pour tenter de trouver une solution. Décidément, ce projet me fait travailler amplement ma patience.



Mardi 14 juin. Matinée aux bureaux de la Croix-Rouge, comme à l’habitude. Après quelques courriels et appels, Dr Érold et moi avons statué que je présenterais les outils que je créerai à lui et Dre Byron (ma superviseure du Ministère de la santé) la veille de la consultation. En espérant que ce soit efficace! Après dîner, je me rends aux bureaux de la Direction sanitaire du sud-est afin de faire une entrevue à Dre Sanon (responsable de la santé reproductive qui m’a accompagné dans les différents établissements de santé). Lors de cette seconde visite aux bureaux de la DSSE, je fus encore une fois surpris par la nature de l’édifice abritant ces fonctionnaires. Il s’agit d’une maison à trois étages un peu délabrée, en rénovations éternelles, qui concentre la chaleur pour y faire régner une atmosphère étouffante. Du moins, on a l’assurance que ces fonctionnaires n’utilisent pas les fonds publics pour redorer leurs bureaux! En attendant Dre Sanon, j’observais deux agentes administratrices qui travaillaient sur un même poste d’ordinateur, à réviser un texte. Celle installée au clavier tapait très lentement alors que sa collègue commentait. En observant cette scène – que j’ai déjà vue au Québec également – je me mords les doigts en songeant à quel point l’efficacité de la DSSE serait décuplée si on offrait à ces vaillantes dames une formation en dactylographie ou en informatique. L’entrevue s’est bien déroulée, mes données commençant à être saturées (répétitions de mêmes thèmes, absence ou presque de thèmes émergents). Sur le chemin du retour, je fus surpris de constater qu’on empruntait un trajet différent. Le chauffeur (Barthélémy le timide) m’expliqua qu’avec la fin du mandat de Privert (le président intérimaire) et l’absence de directives quant à la suite à donner, la population haïtienne devenait plus agitée et le risque de manifestations était accru. D’ailleurs, la Croix-Rouge canadienne a haussé son niveau de sécurité, le coordonnateur principal devant approuver toute sortie en véhicule de l’enceinte de l’organisation. On annonce une grosse manifestation à Port-au-Prince jeudi… génial, c’est exactement la journée où je dois me rendre dans la capitale. Après l’après-midi de travail, je suis parti avec Désirald (un autre chauffeur, truc mnémotechnique : Désir et New York Herald) pour aller chercher Stéphanie, Élise et Anpil pour une séance d’entraînement au domicile de la Croix-Rouge espagnole. Nos trois amis qui nous ont visités à la plage dimanche nous y attendaient. Décidément, je commence à bien aimer ce groupe d’expatriés. Nous discutons de tout et de rien, mélangeant le français, l’espagnol et le créole, et surtout, nous rions à profusion. On ne se rend même plus compte que nos muscles nous font mal… après tout, rire est un bon exercice pour les abdominaux, non? Pendant ce temps, Anpil qui est maintenant une femme (taches de sang sur les vêtements à l’appui) se faisait courtiser par Bagay, le chien borgne à trois pattes et un testicule d’Arnau. Vous devinerez que courtiser est un euphémisme chez ces canins qui manquent un peu de subtilité…! De retour chez moi, je profitai du regain d’énergie pour travailler sur mon Powerpoint de présentation jusqu’aux petites heures du matin.



Mercredi 15 juin. J’arrive au bureau tôt pour travailler un peu avant de partir pour Marigot. J’ai réussi à m’organiser deux entrevues avec des patientes de cette commune. Darcy (truc mnémotechnique : dards + fancy), cet homme dans la cinquantaine au sourire bienveillant et aux habitudes de conduite parfaitement sécuritaires, a assuré le transport pendant cette heure à longer la mer. Nous sommes ralentis lorsque nous passons à travers le marché, qui envahit la rue principale de la commune de Cayes-Jacmel les mercredis et samedis. Les marchands tassent leurs produits étalés dans la rue afin qu’ils ne soient pas pulvérisés sous les roues de la voiture, alors que des centaines de personnes s’affairent devant et derrière nous, à l’instar de fourmis pressées contournant un caillou au milieu de leur trajet. Entre deux étals de denrées, une montagne de déchets où s’affairent des chiens et des cochons. Derrière les kiosques, on peut voir le canal à l’eau sale et brunâtre qui déverse les déchets… dans cette si belle mer turquoise! Voilà pourquoi la mer devient brune les jours de forte pluie. Puisqu’il n’y a pratiquement pas de système de gestion des déchets, ceux-ci s’accumulent et voguent dans les creusées bordant la route, jusqu’aux zones de déversement comme celle-ci. Parfois, on brûle les amoncellements de déchets. Il y aurait une compagnie qui ferait la collecte de déchets au centre-ville seulement, apparemment… mais il faut payer, un luxe que bien peu peuvent se permettre. Rendu à Marigot, la sage-femme Miss Wroche m’organise les entrevues avec une efficacité impressionnante. Vous vous rappellerez peut-être d’elle, dans un billet antérieur. J’avais fait les louanges de son intelligence, son esprit critique et sa capacité à synthétiser. À ces qualités s’ajoute celle de l’organisation efficace. À 9h, j’entrais dans son bureau. À 9h05, elle m’amenait la première patiente. À peine deux minutes après la fin de cette entrevue, elle m’amenait la seconde patiente. Impressionnant, particulièrement en Haïti où le temps a une élasticité légendaire. L’histoire de la première patiente était un exemple de situation où les choses s’enchaînaient bien. Bébé prématuré, visite au SONU-B de Marigot, qui n’a pas les équipements pour prendre en charge un accouchement prématuré, donc transfert à Port-au-Prince (vu la grève paralysant l’hôpital St-Michel), où elle a donné naissance à un bébé en santé. D’un point de vue technique, le hic est que les hôpitaux de niveaux de soins plus élevés ne font jamais de contre-référence. Bref, le SONU-B de Marigot ne saura jamais ce qu’il s’est passé avec la patiente dans la capitale, sauf s’ils l’appellent sur son cellulaire personnel ou si elle revient au SONU-B pour son suivi post-accouchement, ce qui n’est pas coutume. Le second cas reflétait davantage ce qui se passe habituellement, selon Miss Wroche. Cette jeune femme de 19 ans a marché pendant une heure alors qu’elle avait des douleurs abdominales, pour arriver à Marigot. Vu la prématurité du travail et un placenta abruptio (décollement précoce du placenta), on a dû la référer à St-Michel, qui n’était pas en grève à ce moment-là. L’ambulance et les soins à venir coûtaient quelque chose, donc la belle-sœur de la jeune femme en douleur a dû marcher jusque chez elle pour prendre de l’argent et demander à des voisins de cotiser, avant de revenir deux heures plus tard au SONU-B de Marigot. Après une heure de transport en ambulance, une césarienne a été pratiquée. Le bébé est demeuré 8 jours sous observation à l’hôpital. Vu le manque de lits et le manque de ressources financières de la patiente, celle-ci a reçu son congé après 4 jours et a dû attendre les 4 jours suivants sur une chaise dans un corridor de l’hôpital, ne voulant pas quitter son enfant. Quelques heures après le congé du bébé, celui-ci a commencé à cracher du sang. La mère l’a ramené en urgence à l’hôpital, où celui-ci est décédé rapidement. On n’a jamais expliqué à la mère ce qui s’était passé. Celle-ci me racontait le tout avec un détachement surprenant. Dans ce pays où 5% des femmes meurent des suites de leur grossesse ou d’un accouchement, la fatalité de la mort demeure une éventualité à considérer à ce moment où on ne devrait célébrer que la vie. Chamboulé par ce récit, je suis retourné au bureau où j’ai écrit mes impressions post-entrevue. Cet exercice me permet de mettre sur papier les sentiments, émotions et pensées que j’ai vécus pendant l’entrevue. En analysant ces écrits à tête reposée, je peux juger du niveau de subjectivité de mes observations, puisque j’y vois ce qui m’a fait réagir particulièrement, de même que l’influence qu’ont mes expériences et opinions personnelles sur ma perception de l’information reçue. C’est un exercice bien reconnu en analyse qualitative, qui permet de pallier partiellement les manques d’objectivité que certains reprochent à ce type d’analyse, le comparant à son analogue quantitatif. J’ai aussi pu terminer ma présentation Powerpoint pour le vendredi, puis je suis retourné plus tôt qu’à l’habitude à mon appartement pour pouvoir assister à la rencontre du Conseil d’administration de Médecins du Monde sur Skype. Aaah la technologie! Ça redéfinit le possible! … bien qu’il y ait plus agréable que de passer 4 heures branché à un ordinateur avec une connexion internet vacillante. Heureusement, les discussions étaient intéressantes!



Jeudi 16 juin. Retour à Port-au-Prince. Kenzy (truc mnémotechnique : candy en zozotant) passe me prendre à 6h AM et me laisse à la station d’essence Sol à la sortie de la capitale, où on fait un kiss avec une voiture des bureaux de la Croix-Rouge canadienne à Port-au-Prince. C’est donc un autre chauffeur qui assure mon transport jusqu’à mon lieu d’hébergement dans la capitale, et qui me fait la jasette en créole par le fait même. Pendant mon court séjour ici, je serai logé au guesthouse de Médecins du Monde Belgique, dans le quartier Pacot, à quelques pâtés de maison de la Pension Esther où je suis resté la dernière fois. Voilà un avantage insoupçonné d’être un administrateur de Médecins du Monde Canada : avoir accès à une petite maison avec toutes les commodités nécessaires (incluant un bain… je rêve!) pour un prix dérisoire, chez une organisation sœur. J’y rencontre brièvement quelques membres de l’équipe terrain de l’organisation, qui m’accueillent, me font visiter les lieux et me laissent m’installer. Dre Byron passe me chercher pour notre rencontre avec Dr Érold Joseph. Celui-ci m’a fait une frousse en m’appelant en matinée pour m’aviser qu’il avait des problèmes digestifs. Craignant une nouvelle annulation, je m’empressai de lui offrir une rencontre chez lui, ou à une heure plus tardive au besoin. Finalement, le rendez-vous prévu fut seulement repoussé d’une heure. J’ai leur ai présenté les outils que j’ai préparés à partir des consultations antérieures et de la littérature que j’ai parcourue. Ces outils sont un modèle organisationnel pour modifier la structure du Ministère de la santé en vue d’une plus grande intégration dans la programmation au sein même du ministère, de même qu’un cadre de collaboration intersectorielle pour faciliter la programmation intégrée d’activités menées par différents ministères, comme c’est le cas pour la santé scolaire, par exemple. J’ai aussi préparé un plan d’action pour proposer un échéancier réaliste des activités à réaliser pour appliquer ces deux outils dans la routine des ministères concernés. À mon grand étonnement, mes interlocuteurs ont été eu volubiles au moment d’émettre des critiques ou commentaires par rapport aux outils, s’attardant souvent au choix des mots plutôt que sur le contenu précis. Vu l’ampleur des propositions que j’avançais, je ne savais pas trop si j’allais me faire lancer des tomates ou des fleurs, mais il semble que mes suggestions leur aient plu. Ouf, j’étais soulagé d’apprendre que nos visions des extrants du projet concordaient. Quelques modifications mineures à faire au Powerpoint pour le lendemain et le tour est joué. Sur le chemin du retour, je vais visiter Andrée Gilbert, la nouvelle coordonnatrice terrain Haïti de Médecins du Monde Canada. Cette femme riche d’expérience et de vécu habite en Haïti depuis plus de 25 ans. Après avoir œuvré chez OXFAM, elle a été recrutée récemment par MDM Canada pour coordonner les activités de l’organisme en Haïti. Andrée m’a invité à participer à une rencontre où participaient également la coordonnatrice terrain de MDM France, un ancien ministre de la santé haïtien encore actif, le coordonnateur médical haïtien de MDM Canada et … le coordonnateur de MDM Belgique que j’ai rencontré tôt ce matin. Cette rencontre visant à planifier une consultation sur différentes thématiques de la santé sexuelle et de la reproduction (mortalité maternelle, droit à l’avortement, planification familiale, participation communautaire, etc.) fut très dynamique et intéressante. Une fois ces invités partis, Andrée m’a fait faire le tour de l’édifice. Les branches espagnole, belge, française et canadienne de Médecins du Monde travaillent toutes sous un même toit, ce qui facilite les échanges inter-délégations concernant leurs activités en Haïti. J’ai aussi rencontré les membres de l’équipe de MDM Canada, dont on entend parler lors de nos rencontres du Conseil d’administration. Lorsqu’Andrée me présentait comme administrateur, le regard de ceux-ci changeait et se dirigeait rapidement vers leur coordonnatrice, jusqu’à ce que je les rassure que je faisais une visite de courtoisie et non une quelconque inspection surprise. Ça m’a fait un grand plaisir de mettre enfin des visages sur des noms que j’entends depuis près de 6 ans pendant nos rencontres du Conseil. Finalement, Andrée m’installe dans ce bureau et nous jasons. Pendant ses 25 ans au pays, elle a été témoin de l’évolution d’Haïti, sous le régime de Jean-Claude Duvalier jusqu’à Martelly, passant entre autres par les différents mandats d’Aristide. Elle me dit que la société civile haïtienne a été la plus forte des Amériques pendant très longtemps, amenant une stabilité salutaire au pays alors que les chefs d’État se succédaient à un rythme peu enviable. Cette force vivante et humaine a été démantelée par les organisations internationales et les bailleurs de fonds, qui sont venus imposer leurs programmes selon leur vision de ce qui leur semblait bon pour le pays, plutôt que d’investir dans la société civile pour renforcer ses actions dans les priorités qu’elle s’était fixée. Le regard critique d’Andrée m’a aidé à pousser ma réflexion sur la place de l’humanitaire en Haïti. Je suis parti rassuré quant à l’avenir de notre organisation, sachant qu’elle était entre bonnes mains sur le terrain. En soirée, j’ai peaufiné ma présentation pour le lendemain, puis me suis préparé à souper. J’ai mangé quelque chose dont je rêvais depuis plusieurs jours et qui en feront probablement sourciller plusieurs : un spaghetti sans sauce! Depuis que je suis enfant, je dévore ce plat tout simple avec appétit, l’agrémentant parfois de beurre… ou pas!





Vendredi 17 juin. Voici enfin arrivé le jour J de mon projet avec le Ministère de la santé publique et de la population (MSPP). La directrice en promotion de la santé et protection de l’environnement, Dre Jocelyne/Josseline/Josline/Jossline Pierre-Louis (je n’ai pas encore trouvé quelle était la bonne forme orthographique de son nom, ayant vu différentes manières de l’écrire dans ses signatures), est passée me chercher. Après l’avoir laissée à une belle petite église dans un coin retiré de Port-au-Prince, où elle assistait à des funérailles, nous sommes arrivés tout juste à 9h aux bureaux du MSPP. Une seule personne était déjà là, ce qui ne me surprend plus vraiment. Avant d’entamer les appels pour demander aux invités de quitter leur bureau à quelques dizaines de mètres de là pour venir à la rencontre, j’ai demandé à celle qui se trouvait en face de moi pourquoi les gens – même ceux avec d’importantes responsabilités – arrivent toujours en retard ici. Elle m’a répondu que c’est une habitude déplorable, que les gens ne s’offusquent plus du retard des autres et qu’il s’agit d’une question de volonté. Malgré cette norme sociale, Mme Michel continue d’être toujours à l’heure, prévoyant à l’avance ses transports, comme quoi l’excuse du trafic automobile et de tout autre élément de conjoncture ne tient pas réellement la route. Alors qu’arrivaient les autres invités entre 9h et 10h, elle leur rappelait que la rencontre devait débuter à 9h. Petit malaise… mais nécessaire et bien placé selon moi. Finalement, une fois que tous les invités disponibles sont arrivés, vers 10h15, j’ai pu commencer la présentation. Nous avons discuté des outils en long et en large. J’étais fort motivé par la compréhension des concepts et l’excellente participation des invités autour de la table, notant les commentaires pendant que je présentais. L’air climatisé était brisé donc nous avons sué abondamment, malgré nos efforts à battre de nos éventails improvisés. Lorsque nous avons construit ensemble le plan d’action, j’ai été heureux de constater que les personnes présentes optaient pour la version la plus réaliste des échéanciers. Voici un indice qui me fait croire que ces personnes adopteront peut-être bel et bien les outils dorénavant! Cet exercice de consultation s’est terminé à 15h30 et fut entrecoupé d’un snack matinal (sandwich au thon et jus de cerises) et d’un dîner copieux (poulet thaï, bananes pesées, gratin, riz aux haricots, morceaux de bœuf et fruit de la passion). Nous étions tous exténués. Je voyais presque de la fumée sortir par les oreilles des invités. Mais quel exercice productif! J’en étais absolument ravi. Je suis retourné au guesthouse avec plein d’idées en tête, prêt à déployer les derniers efforts en vue de la présentation officielle et finale du 30 juin. M. Jasmin, un professionnel des communications au Ministère de la santé, m’a ramené dans sa voiture, en profitant pour me faire visiter la basse-ville de Port-au-Prince en voiture. Une fois arrivé, j’ai tenté de me connecter à Skype pour participer au Conseil d’administration de l’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ). J’ai joint les rangs de cette petite merveille d’organisation en tant qu’administrateur, à l’automne dernier. Dans le climat de dictature idéologique et d’omerta qui règne actuellement dans le réseau de la santé au Québec, où les personnes critiquant les décisions du Ministre de la maladie Barette sont soit insultées ou démises de leurs fonctions par celui-ci, l’ASPQ garde la tête haute dans le jeu d’influence des politiques publiques. Elle prône l’utilisation de données probantes dans les décisions prises en santé, la liberté de parole et d’action des citoyens qu’elle appuie et renforce dans sa compréhension des déterminants de la santé, bref la santé durable. L’ASPQ a une Coalition contre le tabac qui a fait un excellent travail pour influencer le gouvernement dans l’adoption du récent projet de loi 44 interdisant la cigarette sur les terrasses, l’usage de cigarettes dans les voitures en présence d’enfants de moins de 16 ans, etc. Ils poussent maintenant pour qu’un emballage neutre soit adopté, déjouant ainsi les stratégies marketing des grandes compagnies tabatières qui visent particulièrement les enfants. Une autre Coalition de l’ASPQ s’intéresse particulièrement aux boissons sucrées, dont l’industrie utilise des stratégies tout aussi perverses que celle du tabac pour contourner les lois la régissant. Bien d’autres thèmes sont abordés par l’équipe dynamique de cette organisation, qui tente aussi de faire connaître l’importance des investissements en santé publique par la population québécoise, afin qu’elle exerce elle-même un poids sur le gouvernement pour s’autodéterminer dans son droit à la santé. J’ai pu me joindre à la rencontre pendant quelques minutes, jusqu’à ce que ma connexion Internet lâche. Après quelques échecs à me reconnecter, j’ai décidé de partir plus tôt pour une soirée où mon cher ami Félix-Antoine et sa conjointe Ira m’ont invitée, à l’hôtel Villa Thérèse dans le quartier Pétionville. L’endroit était magnifique. Une grande maison transformée en hôtel, avec une piscine creusée et un petit jardin. La soirée était en fait une levée de fonds pour une organisation américaine basée en Haïti nommée Prodev, pour laquelle travaille Ira. Prodev, dont le slogan est Education is the only solution (je n’aime pas… les solutions uniques n’existent pas! mais bon…), tente de développer des écoles accessibles dans des milieux mal desservis, en intégrant l’art au curriculum des enfants. Ils appuient également les professeurs en leur offrant des formations. Pour la soirée, ils ont rassemblé de grands artistes de renoms – sculpteurs, peintres, fabricants de bijoux et autres artisans – qui ont fait don de leurs œuvres autour du thème ‘Art Volant’ à mettre en enchère. Pendant cette activité, je me suis rendu compte à quel point les invités étaient aisés. À coups de milliers de dollars américains, l’organisation récoltait des fonds qui aideraient des enfants à fréquenter leurs écoles. Je dois avouer que les œuvres étaient magnifiques, par contre. J’ai pu rencontrer plusieurs personnes au parcours intéressant pendant cette soirée. Il y avait un homme qui travaillait pour Population Services International (PSI), une organisation qui s’intéresse à la santé reproductive dans les pays en voie de développement. Un autre homme originaire du Nouveau-Brunswick travaillait pour USAID. D’autres œuvraient pour des organisations locales. Il y avait également des membres de l’élite richissime d’Haïti. Après l’enchère, un artiste phénoménal a animé la foule. Il s’agit de James Germain, un chanteur albinos aux racines haïtiano-africaines passionné par les rythmes vaudous. S’ensuivit une chanteuse langoureuse un peu plus pop et moins intéressante, mais talentueuse, aux allures de Christina Aguilera version haïtienne. Finalement, plusieurs artistes présents se sont rassemblés pour un jam qui durera le reste de la soirée. Nous mangeons, buvons, dansons sous le ciel étoilé. Voilà une merveilleuse façon de célébrer la fin d’une grosse semaine de travail. Vers 1h30 du matin, je rentre chez moi aux abords d’une voiture qui me rappelait la bagnole agonisante de la chauffeuse de taxi recommandée précédemment par Félix-Antoine.

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27th June 2016

Toute une expérience
Bonjour David-Martin. J'ai pris le temps de lire plusieurs de tes billets récents. Je comprends mieux à la fois ton stage, le milieu dans lequel tu t'insères... ainsi que l'importance du blogue! Sur ce dernier point, c'est peut-être générationnel (!!), mais j'ai de la difficulté à révéler 'qui-je-suis' sur Internet. En fait, je comprends mieux que le blogue permet à tes connaissances (principalement) d'être 'associées' à ce que tu vis et à d'autres de connaître une expérience spécifique, de faire de nouvelles 'rencontres'. Tu révèles une mine de renseignements sur la vie en Ayti... et que la vie peut se vivre sous 'un ciel étoilé' et au Cyvadier devant la mer. Je vois que la fin du stage est exigeant. Alors, je te souhaite que tout se déroule bien et que tes partenaires apprécient les résultats... et ton implication.

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