DM en Ayiti


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Central America Caribbean » Haiti
June 10th 2016
Published: June 20th 2016
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Samedi 4 juin. Ce matin, je pensais faire la grasse matinée, mais mon corps a décidé que je me réveillais à 6h30, avec en tête une chanson que j’avais entendue à quelques reprises à la radio pendant nos trajets sur le Versant-Est. Pour les curieux et amateurs de kompa haïtienne, vous pouvez la trouver sur Youtube : Libre d’aimer, par Jackout # 1. L’électricité avait été coupée pendant la nuit, plongeant la chambre dans une chaleur étouffante. Je me suis donc installé devant le miroir, ai branché mon rasoir et commencé à me couper la barbe. À mi-chemin dans ma besogne, le rasoir s’arrêta. J’ai donc changé de prise de courant… pour ensuite me rappeler que je n’avais pas d’électricité. J’ai alors évalué les options qui s’offraient à moi : me balader aujourd’hui avec une barbe semi-trimméeou encore me raser complètement à la pioche et avoir l’air d’un adolescent de 14 ans pendant une semaine. J’ai choisi la première option, me disant que je n’allais pas faire de grande rencontre aujourd’hui, de toute façon. Ma décision prise et la peau post-simili-rasage piquante, je me suis précipité dans la douche… pour me rendre compte qu’il n’y avait pas d’eau ce matin. Pendant que j’essayais les autres robinets de mon appartement, j’entendis un mince filet s’échapper de ma pomme de douche. C’est ainsi que ma douche dura plus d’une demi-heure. C’est Gamaël, qui avait repris du service avec la Croix-Rouge ce matin, qui m’amena au Cyvadier, où j’allais passer la journée. Quelle belle façon de se reposer, au bruit des vagues qui brisent et se reforment dans la mer. Je me suis lancé dans celle-ci, me laissant flotter en position d’étoile et profitant du soleil. De retour sur la plage, un de ces amis qui m’avaient surpris au milieu de la mer au cours des dernières semaines m’a rejoint. Alors que nous discutions, un vieil homme qu’une cyphose lombaire sévère courbait presqu’à 90 degrés descendit les marches menant à la plage. À proximité d’un grand rocher, il y posa sa canne, enleva son t-shirt et ses bermudas, et s’assit dans l’eau, les vagues l’emmenant à chaque fois plus loin dans la mer. Deux jeunes garçons l’observaient et se sont joints à lui. Le vieil homme, que j’observais d’un œil amusé mais aussi préoccupé de le voir se cogner contre les grands rochers tout près, riait avec la même innocence que les enfants qui l’entouraient. Je suis resté à contempler cette grande et simple beauté, alors que mon ami retournait à son kiosque de vente d’objets d’artisanat. Une fois le soleil couché, je suis retourné chez moi. Sur le chemin du retour, des centaines de personnes paradaient, dansaient et chantaient en sens inverse, vers l’église Sacré-Cœur. C’était la fête cette paroisse, aujourd’hui. Pendant ce temps, à la radio, on commentait le match de soccer Haïti-Pérou. Quelque chose me dit que j’aurai de l’électricité, ce soir….





Dimanche 5 juin. Je me réveille sous la douce brise de … mais attendez, mon ventilateur fonctionne? Il y de l’électricité ce matin? Viva la Copa America! On dirait que je deviens fan de soccer, tout à coup… si ça peut me donner du courant…! Je me suis réveillé avec le goût de faire un grand ménage. Grand ménage? Décidément, Haïti me transforme! Le plancher dans l’appartement est plein de poussière et de sable, puisque je laisse les fenêtres ouvertes pour ne pas suffoquer pendant la nuit. Quant à mon balcon, je ne sais même pas de quelle couleur il est. La route principale de Jacmel passe juste en face et les énormes camions soulèvent la poussière, créant ainsi une plage sans mer sur mon balcon. Me voilà donc à m’inventer des habiletés d’homme ménager, avec les moyens du bord. Je remplis ma bouteille de Gatorade vide avec de l’eau et un vieux savon liquide trouvé dans la salle de bain et je valse avec la moppe que j’ai rafistolée, au son d’un mix musical de kompa haïtien. Je découvre alors plusieurs toiles d’araignées cachées, où gisent des carcasses d’immenses bestioles. Dilemme… est-ce que j’enlève ces toiles d’araignées et laisse le champ libre à ces bibittes mutantes pendant la nuit? Ou est-ce que je laisse ces toiles où se promènent des araignées – absentes pour le moment – dont j’ignore la grosseur? J’ai opté pour la première option, à mes risques et périls. Après une séance de lavage de vêtements à la main et la disparition du Sahara sur mon balcon, c’est à mon tour de passer à la débarbouillette. Je me rends à l’hôtel Cyvadier en après-midi pour relaxer, lire mon petit bouquin de créole, faire l’étoile dans la mer, déguster une paella haïtienne… la grosse vie, quoi! Je me couche tôt, bien satisfait de cette journée de repos et prêt à entamer une nouvelle semaine de travail.





Lundi 6 juin. Mon déni de la charge de travail qui m’attendait a pris fin rapidement. Ce matin, je me suis rendu compte que cette fameuse journée de consultation interministérielle ou je devrai présenter les livrables de mon projet à Port-au-Prince arrivait dans 10 jours. Je m’attelle donc et passe la journée à analyser mes données, faire des plans de travail, trouver des références fiables pour appuyer mon argumentation… On m’a donné très peu de restrictions quant à la forme et au contenu des outils que je produis pour le Ministère de la santé et celui de l’éducation… alors je m’amuse à faire ce que je préfère : créer! En fin de journée, une de mes superviseures colorées, Rose, me dit qu’elle va m’amener chez son coiffeur pour me couper la tignasse. Nous allons donc au salon et alors que j’explique au coiffeur que je voudrais seulement raccourcir un peu en arrière, Rose me commande une coupe haïtienne. Amusé, j’acquiesce. Ce qu’il faut savoir par rapport aux coiffeurs en Haïti, c’est que ce ne sont pas eux qui tournent autour de vous. Plutôt, ils restent les pieds bien enracinés dans le sol et font tourner la chaise. Résultat : je n’ai rien vu arriver lorsqu’il a donné le premier coup de rasoir dans ma barbe. Vous verrez en photo ce que ça a donné… Pour ma part, j’avais l’impression de ressembler à un vieil italien pervers ou encore à un dompteur de lions. Je riais à chaque fois que je me voyais dans le miroir. Mais pour Rose, c’était une réussite. Elle m’a ensuite amené manger un délicieux griot de porc avec bananes pesées, achetés d’un petit commerçant sur le bord de la rue. Nous avons pris la commande pour emporter et allions nous asseoir à Lakour New York pour manger en regardant la mer… mais pas d’électricité! Nous sommes donc allés à une petite place tout près, déguster notre repas sous les lumières orangées qui donnaient un air un peu glauque à l’endroit. La scène semblait quelque peu irréelle. Près d’une cinquantaine de jeunes étaient assis, immobiles, ou encore déambulaient les yeux fermés, semblant réciter quelque chose. La place était bondée, mais pourtant un silence régnait sur l’endroit. Rose m’expliqua que ces étudiants universitaires n’avaient pas d’électricité chez eux ce soir et qu’ils venaient dans une place publique éclairée pour étudier. Elle avait d’ailleurs fait ça à de multiples occasions, alors qu’elle étudiait la médecine. Le ventre bien rempli, nous sommes allés prendre une Prestige (la fameuse bière locale) à un joli bar du centre-ville, afin que chacun ne rentre chez soi. Avant de me coucher, j’attrape la pioche sur mon lavabo et décide d’ajuster un peu mon look d’italien rubrique… tant pis, j’aurai l’air d’un garçon de 12 ans imberbe pour un jour ou deux!



Mardi 7 juin. Aujourd’hui a lieu une table thématique départementale sur la santé de la reproduction. Cette rencontre a lieu deux fois par année et permet de faire un suivi quant aux interventions et aux indicateurs de santé maternelle sur l’ensemble du territoire du département. Par exemple, on note une problématique au niveau des médicaments d’urgence de base dans la majorité des établissements de santé où sont offerts des soins obstétriques et néonataux d’urgence. Ou encore, on note qu’il y a plus de décès maternels dans telle ou telle zone. Ce matin, mes compagnes de travail devaient passer me chercher en voiture pour qu’on se rende à cette rencontre qui commençait à 9h. Lorsque je leur ai demandé, la veille, à quelle heure elles allaient passer, elles m’ont répondu 9h. Bon… Décidément, je n’ai pas encore assimilé la conception du temps haïtienne. Finalement, mes compagnes sont arrivées à mon appartement vers 9h30 et nous sommes arrivés pour 10h, quelques minutes avant que ne commence la rencontre, qui finalement débutait avec plus d’une heure de retard. Certains étaient tout de même arrivés à l’heure, les pauvres… Notre animatrice s’est finalement levée et nous a demandé de nous lever également pour réciter un Notre Père. J’ai été grandement surpris, au point où je suis resté béat pendant quelques secondes. Ma voisine m’a alors demandé si je connaissais le Notre Père. Mes années de catéchisme au primaire et les nombreuses messes auxquelles on m’a traîné auront été utiles : j’enfilai les phrases de la prière au même rythme que les autres invités. Mais l’État n’est pas supposé être laïc, en Haïti? Autre fait étrange : la rencontre a débuté avec une allocation d’une dizaine de minutes du Directeur départemental, puis c’était déjà la pause. Après quelques instants de confusion, l’ordre du jour fut modifié pour qu’on continue cette rencontre qui avait bien drôlement commencé jusqu’à la pause du midi. Lors du tour de présentations, j’ai compris que la femme qui tient la pharmacie et qui est propriétaire de l’appartement que je loue est aussi la secrétaire départementale. Elle ne devait pas être secrétaire ce jour-là, puisqu’elle a probablement passé plus de temps les yeux fermés qu’ouverts, alors que je la regardais, amusé. Elle se réveillait parfois en sursaut lorsque son cellulaire à la sonnerie tonitruante retentissait. Comme j’ai pu le constater ailleurs dans le monde, les Haïtiens n’ont pas pour coutume de mettre leur cellulaire de côté pendant les rencontres. Au contraire, ils y répondent sans hésiter. Peut-être est-ce nécessaire, dans ce pays où l’usage du courriel n’est pas systématique. D’ailleurs, le cellulaire n’a souvent plus de crédits et il faut se procurer un chargeur à batterie au cas où il n’y aurait plus d’électricité chez soi pour charger son appareil. L’animatrice de la table m’a également soutiré quelques sourires. D’une discipline qui me rappelait les sœurs rigides qui nous enseignaient au primaire, Miss Germaine (elle faisait honneur à son nom) ne se gênait pas pour ramener à l’ordre toute personne qui chuchotait, vociférant son nom pour que tous l’entendent bien : « RICHARD, CHUT! » Vint finalement cette fameuse pause du midi. Je me réjouis de constater toutes ces jarres colorées contenant des jus exotiques que j’allais certainement goûter. Papaye, mangue, fruit de la passion, cerise, corossol… quel délice! On nous a aussi servi une soupe de giraumon, qu’on surnomme aussi soupe joumou ou soupe de l’indépendance haïtienne. Selon ce qu’on m’a dit, il est de coutume de servir cette soupe au potiron agrémentée de viande, de nouilles et de légumes, le 1er janvier de chaque année. Apparemment que le jour de l’indépendance, le 1er janvier 1804, les esclaves nouvellement libérés ont mangé cette soupe qui leur était interdite pendant leurs années de servitude. D’ailleurs, saviez-vous que les Haïtiens sont le premier peuple des Amériques à avoir obtenu leur indépendance? Alors que je m’empiffrais sans grâce, je discutais avec un des hauts placés de la Croix-Rouge canadienne en Haïti. Celui-ci m’offrait ses jérémiades concernant la santé publique. Il se fiait sur une seule expérience malheureuse qu’il a eu avec une institution de santé publique québécoise qui manquait de concret. Il se rendit compte rapidement qu’il parlait à un jeune homme qui a la santé publique tatouée sur le cœur. L’échange fut tout de même constructif, finalement. J’entendais ces mêmes remontrances que répètent nos élus québécois en santé, qui ne connaissent malheureusement rien au domaine de la santé publique. « C’est juste de la recherche! C’est du pelletage de nuages! Ça ne donne pas de résultats rapides! Ça manque de concret! » À force d’avoir à réfuter constamment ces arguments teintés d’ignorance au Québec, j’en suis venu à développer mon propre argumentaire vulgarisé, que j’ai pu exposer à mon interlocuteur. Malgré tout, c’est avec un pincement au cœur que j’écoute ces commentaires. La santé publique s’est longtemps perdue dans les rapports dont l’épaisseur les reléguait aux tablettes les plus élevées et poussiéreuses du bureau de fonctionnaires. Celle-ci évolue, pourtant, encore plus rapidement maintenant que les jeunes ayant grandi dans l’univers de l’instantanéité ont joint les rangs. De façon individuelle, on utilise maintenant Twitter, Facebook et les textos pour diffuser des messages de santé publique. Les institutions sont beaucoup plus lentes à bouger, mais plus il y aura de jeunes qui les peupleront, plus elles s’actualiseront rapidement. Les études observationnelles ont fait place à la recherche action où les populations cibles sont impliquées à toutes les étapes de la recherche, dont ils pourront apprécier les bénéfices dans leur quotidien. On fait la lutte aux géants de la consommation, tels que l’industrie des boissons sucrées qui utilisent les mêmes stratégies que les compagnies tabatières il y a quelques décennies. On utilise les principes du marketing pour promouvoir des comportements sains. On inclut l’environnement dans les modèles de planification en santé de la population, au même niveau que l’économie. On se positionne sur la distribution équitable des revenus, sur l’accessibilité à des logements salubres, sur les aptitudes à acquérir en bas âge pour diminuer les chances de souffrir de pauvreté matérielle ou sociale plus tard. On approche les problématiques de santé d’une façon holistique, en considérant autant le système politique dans lequel évolue chaque individu que son environnement social, familial, occupationnel, scolaire, etc. On parle de santé durable. Il faut qu’on continue de faire comprendre à la population québécoise à quel point la santé publique lui est profitable et qu’elle gagnerait à s’investir davantage dans sa défense. On éviterait ainsi que le gouvernement retranche de 30 à 40%!d(MISSING)e son budget comme il l’a fait en avril 2015. Bref, l’échange avec cette personne fut riche en élans passionnels. En après-midi, nous avons eu droit à la présentation de statistiques que les carences des systèmes de surveillance épidémiologique rendaient difficiles à interpréter. Par exemple, le plus grand hôpital du département du sud-est, l’hôpital St-Michel, ne collige plus de données depuis plusieurs mois, bien avant que la grève ne débute. Problème de ressources humaines, apparemment. Le directeur général de l’hôpital St-Michel était présent. Vu la grève, tout est gelé. Cependant, un nouvel hôpital St-Michel est en fin de construction pour remplacer l’ancien. Ils sont en train de procéder à l’embauche du nouveau personnel et cela semble être la panacée à tous les maux. Un problème avec la contre-référence? On aura des nouveaux médecins qu’on va former. Un problème au niveau des données? On aura un nouveau statisticien pour s’en occuper. Un problème au niveau de la qualité de l’offre de services? On aura des chefs de services pour s’assurer que tout est conforme. Je leur souhaite de tout cœur que ces belles promesses se réalisent… mais je dois avouer que je suis sceptique, après avoir visité des établissements à moindre envergure qui ne sont pas capables de payer leurs employés depuis près d’un an. Le reste de la rencontre s’est bien déroulé. Quelqu’un a dit une expression que j’ai bien aimée, en parlant de l’effet d’une structure organisationnelle sur le personnel qui la fait vivre : « Le liquide a la forme du vase qui le contient ». Autre fait cocasse : notre animatrice, Miss Germaine, était en train de débuter une phrase, lorsqu’elle a réprimandé un des invités, ce qui a donné : « Il faudra retracer toutes les femmes enceintes de … DOCTEUR MONTANT! » Elle voulait dire « les femmes enceintes du département qui sont décédées ». Nous avons tous bien ri. À la fin de la journée, un médecin que je n’avais pas pu rencontrer à Thiotte, Dr Judeson Jean (je n’ai toujours pas compris quel est son prénom et quel est son nom) a eu l’amabilité de rester pour répondre à mes questions sur la Référence/Contre-référence. Après cette journée bien enrichissante, je suis retourné chez moi.



Mercredi 8 juin. Aujourd’hui, j’ai une entrevue à mener auprès de Miss Lovely. Eh oui, vous avez bien lu le nom de cette infirmière de l’établissement de santé Bainet. Pas besoin de truc mnémotechnique pour elle! Celle-ci participe à une rencontre qui fait suite à la table thématique, mais beaucoup plus technique cette fois, sur le suivi des indicateurs de performance en santé materno-infantile. Après un appel de Dre Sanon, je me suis déplacé à Lakay Pè (la maison du Père) pour la rencontrer. L’électricité avait été coupée plus tôt en journée. Imaginez un peu la scène : présenter des tableaux remplis de statistiques, sans aucun support visuel. Je me croyais dans une soirée de bingo bikram, alors que j’entendais mon cher ami Domond réciter les chiffres des tableaux un après l’autre à la grande chaleur, sous les ventilateurs inanimés. Malgré tout, les participants semblaient bien suivre, puisqu’ils posaient des questions fort précises et pertinentes. Lors de la pause, j’ai enfin pu rencontrer la fameuse Miss Lovely, qui portait bien son nom. Celle-ci me confirmait la situation difficile du centre de santé SONU-B Bainet, enclavé dans l’ouest du département. Les routes sont tellement mauvaises entre cet établissement et Jacmel qu’ils préfèrent référer dans un autre département. Après avoir dégusté un pain patate (gâteau haïtien à la patate douche), je suis retour au bureau pour travailler un peu. En soirée, je suis allé voir la partie de soccer Haïti-Brésil de la Coupe des Amériques, dans un bar du centre-ville. Se sont joints à moi Figaro, James Bélizère et Réginald, mes trois amis chauffeurs très sympathiques. On attendait un miracle… qui n’Est pas venu. 6-1 Brésil, face à une équipe haïtienne qui accumulait les erreurs. Heureusement, notre bière Prestige était bien rafraîchissante!



Jeudi 9 juin. Je continue de travailler sur les outils de collaboration intersectorielle au bureau. Je dois rencontrer le Directeur du département du sud-est en début d’après-midi. Cependant, à l’heure où on devrait partir, tous les chauffeurs sont encore en train de manger. J’avais pourtant avisé tôt ce matin que j’avais besoin d’un chauffeur. Mais que va penser le Directeur? Rien du tout… voilà mes habitudes nord-américaines qui reviennent à la charge. Tout à coup, cette anxiété de ponctualité s’envole. Je m’assois et discuter avec Daniel, le dispatcher des voitures pour la Croix-Rouge. C’est lui que tous les employés de l’organisation appellent lorsqu’ils ont besoin d’un transport. C’est bien d’être dans ses bonnes grâces apparemment, pour que les voitures arrivent relativement à l’heure! Finalement, Barthelemy (j’ai triché, j’ai regardé son nom que j’avais noté sur mon cellulaire) est allé me porter. Malgré la vingtaine de minutes de retard, Dr Jérôme n’était pas encore prêt. Ça aurait été du gâchis, si j’avais continué à me faire du sang d’encre parce que les chauffeurs ne mangeaient pas assez rapidement à mon goût…! Dr Jérôme m’a partagé sa vision très globale de la référence/contre-référence. Son discours avait parfois les allures d’une prose politique où s’entremêlaient constats un peu trop optimistes et promesses retravaillées. Les hommes d’État placés en fonction par leurs supérieurs sont constamment sur des sièges éjectables. Le roulement de ces politiciens nommés est tellement fréquent, relevant du fait que les supérieurs lui aiment la face ou non plus souvent qu’autrement, qu’ils demeurent paralysés même une fois en fonction. Une mauvaise décision et hop, on les envoie aux oubliettes sans leur donner ni même une petite chance de s’expliquer. Dans le contexte actuel d’incertitude politique, ce roulement est à son paroxysme. Chacun essaie de placer ses pions à son avantage. L’entrevue a permis de confirmer certains éléments du portrait global de la référence/contre-référence qui se forme petit à petit à mon esprit. En attendant le chauffeur pour le retour au bureau, Mme Jaquet (la non-pharmacienne-propriétaire-de-mon-immeuble-et-secrétaire-départementale) est venue discuter avec moi. Son conjoint lui a conté la situation embarrassante que j’avais causée quelques semaines plus tôt. En effet, un bon soir alors que je n’avais pas d’électricité, celui-ci est venu me porter une ampoule LED. Je ne l’avais jamais vu encore. L’apercevant à peine avec la lumière de mon cellulaire haïtien, je lui ai alors demandé s’il était le fils de Mme Jaquet, puisqu’il me semblait très jeune. Il me répondit qu’il était Monsieur Jaquet… Je bafouillai quelques excuses pour tenter de me sortir de ce malaise, me renfonçant à chaque fois. En me rapportant la situation, Mme Jaquet me coince avec la question fatidique : Quel âge me donnes-tu? Heureusement, les 37 ans que je lui ai attribués n’étaient pas si loin de la réalité. Ouf! Mme Jaque est donc une agente administrative de Port-au-Prince qui a déménagé à Jacmel, où son conjoint travaillait pour le MINUSTAH. Ce dernier menaçant de fermer à Jacmel, ils ont donc ouvert une pharmacie (au 1er étage de mon édifice à logement), qui est en fait un dépanneur. Lorsque le MINUSTAH a dû fermer à Jacmel, le conjoint a été transféré à Port-au-Prince. Ils se retrouvent donc encore une fois à distance, mais avec une pharmacie-dépanneur qu’ils tiennent à bout de bras en extra. Pour une fois que quelqu’un ici planifie à l’avance… ils se trouvent à être surchargés. Mais mieux vaut avoir trop de travail que de faire partie du tiers des Haïtiens sans emploi…! En soirée, j’ai rejoint Élise et des amis pour une session de crossfit! En fait, il s’agit d’entraînements qu’un ancien entraîneur leur envoie régulièrement. Ce soir, on travaillait nos fesses! Ouf… toute une initiation à la remise en forme…! Heureusement, Anpil la petite chienne d’Élise et Iker, nous encourageait. Elle nous léchait le visage plein de sueur, s’étalait de tout son long sur le dos alors qu’on faisait la planche, ou encore nous reniflait l’arrière-train dans les positions moins gracieuses que nous devions tenir pendant une minute. De retour chez moi, vidé de toute énergie, je m’étendis sur mon lit et m’endormis immédiatement.





Vendredi 10 juin. Je me réveille et je sens déjà que de passer de la position couchée à la position debout sera tout un défi. Une fois à la verticale, je marche à la manière d’un cowboy qui a chevauché sa monture un peu trop longtemps. Ouch! Je me rends au bureau et continue de travailler sur mes livrables en collaboration intersectorielle. J’entends alors un accent qui me sonne familier. Une autre Québécoise vient de joindre les rangs. Il s’agit de France, une dame dans la cinquantaine qui travaille à son compte sur certains contrats. On l’a engagée pour s’occuper des communications entourant l’inauguration du nouvel hôpital St-Michel. Celui-ci devait être prêt il y a plus d’un an et sa date d’ouverture est sans cesse reportée, souvent pour des motifs politiques. Cette fois, l’ouverture qui devait avoir lieu en juin a été remise à octobre à cause de la grève des médecins résidents. En effet, il n’y a aucun médecin qui travaille à St-Michel en ce moment. Les résidents les empêchent de travailler et de toute façon, plusieurs d’entre eux ne travaillent pas par solidarité pour leurs apprentis. Le seul hic : les gens meurent aux portes des hôpitaux pour des conneries. Comme j’en discutais dans un de mes premiers billets, cette grève fait beaucoup de tort. Contrairement à la grève qu’il y a eu au Québec, ces résidents irresponsables ne s’assurent pas que des soins de base sont assurés et prennent ainsi la population haïtienne en otage. Selon moi, ils sont responsables de toutes ces morts évitables. Comment cela peut-il arriver? Entre autres, c’est parce qu’il n’y a pas d’Ordre ou d’organisation régulatrice ici. Les médecins peuvent faire ce qu’ils veulent, même ce qui est contre les normes de bonne pratique médicale, et ils ne seront jamais réprimandés ou même surveillés. Lorsqu’ils font une erreur, par exemple, ce serait bien surprenant qu’ils se fassent poursuivre par leur pauvre victime. Certains efforts pour créer des Ordres professionnels ont été déployés, mais le gouvernement n’a jamais fait de suivi. La qualité du titre de médecin ou d’infirmière a perdu bien des plumes au cours des dernières années, bien que ces professions nécessitent plusieurs années d’études. Il n’y a aucune consistance dans les programmes donnés dans les universités. Chacun fait à sa tête. Comment peut-on s’assurer que les normes minimales de qualité de formation soient respectées? L’ancien hôpital St-Michel est donc complètement non fonctionnel et le nouvel hôpital St-Michel est loin d’être ouvert. France devra donc revenir une prochaine fois, peut-être encore en vain…! Je dédie le reste de la journée à la préparation de ma présentation du 17 juin. Mes nouveaux amis expatriés rencontrés au crossfit m’ont invité à une soirée à l’Alliance française. Ceux-ci se rassemblent souvent pour faire la fête, apparemment…! Finalement, la fatigue l’emportant, j’ai décidé de plancher sur le document de planification d’intervention en Colombie pour donner un coup de main à mes amis qui y travaillent aussi. Une rencontre est prévue dans les prochains jours avec la mairie de la ville de Yumbo, dans Cali, pour parler de l’intervention que nous voulons leur présenter. À suivre! Vladimir vient également me rendre visite. Lorsque je lui conte ma semaine, il me met en garde par rapport à certains de mes amis haïtiens. Je comprends finalement qu’il les déprécie parce qu’ils boivent de l’alcool. Vladimir est très strict par rapport à la religion catholique et condamne plusieurs comportements tels que la consommation de certaines substances psychoactives. Nous avons eu un bon débat sur l’acceptabilité de la consommation d’alcool. J’ai réussi à le faire sourciller lorsque je lui ai dit que le café qu’il buvait si souvent était aussi une substance psychoacive. J’ai essayé de me tenir aussi loin que possible du thème de la religion. Je ne crois que mon opinion à ce sujet soit la bienvenue ici. De toute façon, ce sujet tourne souvent au vinaigre lorsqu’on en discute ouvertement, que ce soit au Québec, en Haïti ou ailleurs. Conclusion de l’échange qui fut parfois corsé : Vladimir a bien compris que je faisais ce que je voulais et que je ne m’empêcherais pas de sortir m’amuser avec quelqu’un parce qu’il boit une bière, surtout que j’apprécie bien ce breuvage que je consomme peu fréquemment, mais avec grand bonheur et modération. Bref, une bonne discussion, avant de retourner au travail jusqu’aux petites heures du matin et enfin m’assoupir.

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