Toubacouta, Sine-Saloum, Sénégal (ou Le Repas des Carnassiers)


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March 17th 2018
Published: March 17th 2018
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9 mars



"Laisse-moi pas r'venir en ville

Tape moi sur ma tête de bois

Picbois, laisse-moi pas tranquille

Picbois, j'veux plus m'en aller"

Beau Dommage



On est vendredi midi.

Adeline la gouvernante a fredonné son amour à Jésus une bonne partie de la matinée alors que je préparais mes sacs.

Catholique, la vieille fille passe beaucoup de son temps à la chorale de la paroisse.

Elle aime bien passer le balai en pratiquant ses couplets: sa voix fait de l'écho ici, un peu comme à l'église.



Martine revient tout juste du boulot... et puis Yaya (son copain) arrive lui aussi, presqu'au même moment.

C'est qu'on s'est prévu un weekend à Toubacouta, dans le Sine-Saloum.

Je ne connais rien du sud de Dakar encore mais Martine, elle, privilégie sans cesse le village de Toubacouta pour profiter du delta du Saloum.



On prend donc place dans le VUS de Martine, Yaya à la barre, et puis on quitte aussitôt en direction du sud.



Le décor change quelque peu sur le Sénégal.

La chaleur augmente tranquillement et le soleil ardent vient brûler davantage le paysage.

Le sol poudreux prend ici des teintes pastellées, passant de la blancheur des buttes de sel à la poussière rose-violacée des chemins qu'empruntent des calèches, longeant l'asphalte rectiligne de la piste de course à Yaya.

Des squelettes de voitures apparaissent sur le bas-côté, partageant les fossés avec la charogne des ânes les plus téméraires (voire les plus idiots).



Alors qu'on s'approche du delta, un peu de verdure osera percer la sècheresse et colorer la terne végétation dirigée par des lourds baobabs chauves, généraux d'une armée anéantit par ces étés sans pluie.



Après plus ou moins 4 heures de route, Yaya tourne enfin à droite, sur une voie volatile, couleur de brique, qui salira de sa poussière rouge la carrosserie de notre VUS jusqu'à notre retour sur Dakar.

Le long du chemin, de très grands arbres efféminés ferment l'accès au ciel en recourbant leurs cimes feuillues.

Ce sera donc par ce tunnel aéré qu'on atteindra Toubacouta, village endormi du Sine-Saloum.



Autour de nous, quelques cabines de ciment et de tôle s'éparpillent dans un quadrilatère de sable et de rocaille où piaffent des bourriques et où les enfants ricanent autour de leurs parties de billes.

Ici, la vie se passe en noir et blanc.

Parfois, on peut tourner un coin de rue et surprendre le prisme multicolore d'une corde-à-linge s'étirant entre deux cabanons gris de blocs de béton.

Ça peut faire sourire vous savez, alors que je me croyais dans un film avec Sidney Poitier depuis mon arrivée.



"Salam alekum" que je lance à une femme qui se fait vider le sein par un mouflet sur sa mince terrasse.

"Bonjour" qu'elle me répond

alors que deux enfants, cahiers de devoirs en main, sortent du bunker où la famille semble habiter.

"Vous êtes français?"

"Non, canadien madame"

"Oh. Canadien!"

.... la conversation se porte à merveille donc... lorsque derrière une colonne en stucco, comme un lapin d'un chapeau, une ancêtre, torse nue, surgit comme ça, avec ses plongeantes mamelles se balançant d'un bord à l'autre, tic-tac, en comptant les secondes comme une horloge grand-mère.

Adddaddddam!

"Mffh fhhm mpfh" qu'elle me dit aussitôt, d'une bouche sans dent aux allures d'intérieur de coude.

"C'est ma mère" que me confirme la maman connectée à son bébé.

"Mffh fhhm mpfh" que me répète du fond des âges la momie seins nus, en déposant à mes pieds une bassine pleine de nappes imprimées de poulets et de fleurs-tournesols.

"Ma mère fait des nappes".

... à Toubacouta, comme dans de nombreux villages attirants les touristes, tout le monde est artisan, tout le monde a quelque chose à vendre.



Notes à Moi-même:

1- Ne plus donner la map de Dakar de Martine à des enfants mordus de géographie.

2- Ne pas manger chez Boom!

3- Ne pas dormir chez Ass

4- La boulangerie de Toubacouta s'appelle Baguette King



10 -11 mars



Au village de Toubacouta, accroché à la rive du delta, se trouve un luxueux domaine 5 étoiles où s'élèvent des huttes autour de piscines en étages, éclairée verte et bleue, et d'un bar funky devant les mangroves.

Au Sénégal, -Les Palétuviers- est l'endroit où loger que Martine préfère.

Ce weekend, elle et Yaya ont prévu y dormir, non pas dans l'une de ses huttes mais dans l'extraordinaire suite perchée dans le haut d'un baobab (on dit -gouille- en wolof).

L'inhabituelle chambre est superbe, et son balcon, on peut l'imaginer, a l'une des plus belles vue de tout le Sine-Saloum.

Le prix régulier de la suite est de 450 000 francs CFA la nuitée (+ ou - 600$ canadien)

(En moyenne, un sénégalais fait un salaire de 87$ par mois).



Pour ma part, je logerai plutôt à -La Mangrove-, un hôtel propret tout près, et puis chez Ibou aussi, une maison d'hôtes très simple, voisin du 5 étoiles.

"Ça vous va?" que me demandera Ibou en me montrant une cabine un peu humide et défraîchit.

"Ça me va" que je confirmerai avec l'hôte.

Prix de ma chambre: 10 000 francs CFA (+ ou - 23.50$).

Je pourrais donc dormir ici pendant 45 jours pour équivaloir le prix d'une seule nuit de la suite baobab, derrière le muret juste là.

Voilà combien coûte le luxe au Sénégal.

...



À partir des -Palétuviers-, une excursion s'organise à la Réserve Naturelle de Fathala, à 20 minutes de route de Toubacouta.

Nous voilà donc tous les trois à embarquer sur le dos d'un jeep-safari, en secouant la main aux enfants durant tout le trajet reliant l'hôtel luxueux et le Parc de Fathala.



Dès notre arrivée, une autruche nous accueille au stationnement, dodelinant du popotin comme le font aussi les sénégalaises.

Passant rapidement au poste d'entrée, je signe un papier aux allures de contrat (c'est jamais très rassurant ça) en réalisant enfin à quel point l'aventure sera marquante.

Ici, on nous propose une marche sur la Réserve accompagné

de deux lionnes adultes!!!



(Je me rappelle, enfant, je feuilletais des encyclopédies en rêvant d'Afrique.

Les lions me fascinaient et m'effrayaient en même temps...)



J'entre alors sur le site en passant par un grillage de cours d'école.

Un avertissement est inscrit: Défendu d'entrer en bas de 1,5 mètre de grandeur.



Il y a Martine et Yaya,

un couple d'espagnols aussi

et 5 gardiens, dont Mustapha, un géant de 7 pieds massif comme un gorille.



On est tous armé d'un bâton, non pas pour se défendre, mais pour montrer figure d'autorité.

"Ne baissez jamais votre bâton. Si vous l'échappez, ne le ramassez pas.

Ne vous penchez pas. Restez toujours DERRIÈRE les lions.

Ne touchez pas les lions" nous avertit le gorille.



On fait quelques pas dans le Parc, doucement...

et puis là, d'un coup....

couchées dans la poussière,

apparaissent deux immenses lionnes

larges comme de gros divans beiges

avec des dents.



(Je me rappelle avoir dessiné, au crayons de cire, un lion, avec sa crinière,

et moi, tout petit à côté).



On prend quelques photos avec les monstres.

Je ne suis pas certain de comment je me sens:

excité et effrayé à la fois.

Je me sens comme une gazelle peut-être.

Je suis sans mot. Je ne suis pas Tarzan.



Mustapha le gorille agrippe la joue de l'une des lionnes et lui tire les moustaches.

Les deux félins grognent, se lèvent paresseusement et puis se mettent à marcher d'un pas feutré,

elles devant et nous, gazelles, derrière.

D'un seul coup de patte, on pourrait se retrouver en ribambelle

et finir en repas pour les carnassiers.



(Je me rappelle, enfant, avoir découpé une photo d'un lion dévorant une gazelle dans un magazine

et de l'avoir accroché à mon mur de chambre).



Nous marchons incertains à côté des lionnes

sans que je puisse dévier une seule seconde mon regard des deux gros chats.

Elles se mettent quelques fois à grogner.

Le gorille leur lance alors des bouts de viande rouge pour apaiser leur appétit.

Il ne faudrait surtout pas croiser leur regard au moment où elles cherchent un petit quelque chose à se mettre sous la dent.



Quelques photos plus tard, on finit par quitter les lionnes qui retournent peinardes dans leurs cages, à quelque part dans la brousse.

Bientôt, il ne sera plus possible de les accompagner, les lionnes, même en présence des gardiens.

Quelque chose grandit en elles: leurs instincts de prédateurs prendront bien vite le dessus.



(Enfant, je rêvais d'Afrique. Enfant, j'étais dompteur de lions.)



...



Après avoir visité et avoir joué avec les lionceaux (ceux-là trop jeunes pour réellement nous effrayer), nous voilà de retour à Toubacouta pour une autre excursion, celle là dans les mangroves, en pirogue, au soleil couchant.

Île aux coquillages et reposoir aux oiseaux.



Voilà.

La journée fût extraordinaire, particulièrement à cause de notre rencontre avec les lions.

...



Il fait nuit noir sur la terrasse de la suite du baobab.

L'heure du souper est depuis longtemps passée et nous avons toujours l'estomac vide

(les sénégalais mangent tard, vers les 21h).



Yaya arrive sur la terrasse avec un sac en papier huileux dans lequel de l'agneau et de l'oignon ont été grillés à la dibiterie du coin.

Pas de riz, pas de salade, pas de frites.

Un repas de carnivore quoi.

"C'est la nourriture préférée des camionneurs et des militaires" que nous informe Yaya.

"Et la bouffe préférée des lions aussi" que j'ajouterai.



On se retrouve donc là, Yaya et moi (pas Martine: c'est un peu trop de viandes pour elle nous a-t-elle dit)

à enfoncer la main dans l'amas de bouts de viande graisseux au fond de la papillotte et à dévorer, à notre tour, le repas des carnassiers.



Les Rois de la jungle pourront dormir reput ce soir.



Note à Moi-Même:

"Si Dieu n'avait pas voulu qu'on mange les animaux, il ne les aurait pas fait en viande" Anonyme



12 mars



Il y a peu de restaurants intéressants à Toubacouta à part celui du 5 étoiles.

Mais comme le buffet au -Palétuviers- est de 20 000 francs CFA (+ ou - 47.00$), je décide plutôt d'arpenter les rues pour me dénicher de quoi déjeuner comme le font les villageois.



Quelques sénégalais s'attroupent autour d'une gargotte apparue comme par magie devant ce qui semble être un magasin général.

Je me joint au groupe et me fait préparer un sandwich aux lentilles et aux petits pois servit dans un papier journal, accompagné d'un café intensément sucré aromatisé à la cardamome.

Je me pose donc là, sur un banc, presqu'assis par terre avec les poulets.

On me charge 150 francs CFA (+ ou - 0,40$) pour le repas.

Je ne me sens aucunement étranger dans le groupe.

Les enfants jouent et rient autour de moi.

Ce moment, je ne l'échangerais aucunement pour une place au restaurant aseptisé du 5 étoiles.



J'y pense, hier soir, avant d'aller dormir, je me suis posté quelque temps devant le téléviseur ambré de chez Ibou aussi.

Nous étions une quinzaine, assis en motte à la belle étoile, fixant un match de foot sur un écran fatigué pas plus large qu'une boîte à chaussure.

Ce moment là non plus je ne l'aurais pas échangé contre le luxe proposé par -Les Palétuviers-.

Ce sont ces petits moments qui deviendront les meilleurs souvenirs de mon voyage au Sénégal.



...



Je quitterai bientôt Toubacouta, avec la chanson Le Picbois de Beau Dommage en tête.

C'est que Martine l'avait mise dans le VUS hier, durant une courte expédition dans les alentours du village d'engrenage au ralentit,

et le refrain me colle à la tête depuis:



"Laisse-moi pas r'venir en ville

Tape moi sur ma tête de bois

Picbois, laisse-moi pas tranquille

Picbois, j'veux plus m'en aller"



Etienne X



Note à Moi-Même:

Pour la constipation, il y a le Bissap (infusions de fleurs d'hibiscus).

Pour le rhume des fesses, c'est le jus de Bouye (jus du pain de singe, fruit du baobab).

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