Chapitre 33 : Le Nil, un don des Dieux


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Africa » Egypt » Upper Egypt » Luxor
October 23rd 2018
Published: November 9th 2018
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Après le programme chargé du début et le dur lever à 4:00 du matin, la nouvelle partie du voyage apporte à la fois calme, poésie et relaxation.

Me voilà en effet embarqué sur une felouque, petit bateau à voile égyptien utilisé depuis des siècles pour sillonner le Nil. Au programme: absolument rien. Ce sont en effet deux journées passées au fil de l'eau à remonter le Nil en rêvassant lascivement qui m'attendent. J'en profite, pour pianoter quelques notes pour mes articles, avancer dans mon bouquin, et m'intéresser aux gens de mon groupe.



Comme je l'ai déjà mentionné, tous sont anglophones et une barrière de la langue sinon de la culture semble nous séparer. Malgré une mise en retrait au début, je me décide progressivement à venir socialiser. Et il y a clairement des profils et des personnalités qui sortent de l'ordinaire: Valérie la zoologiste, Hayley la chercheuse d'or, Alex l'espèce de placide surfeur / agent de voyage qui commence toutes ses phrases par un traînant 'Hey maaaaan', un couple de Sudaf qui clairement ne semble pas à l'aise au milieu du groupe et le font sentir à tout le monde, Janette qui a plaqué son job et sa vie en Tasmanie pour faire des colliers artisanaux...

Mais je pense que le plus incroyable de tous reste George avec qui je me lie rapidement d'amitié. Il va sur ses 73 ans, a des yeux rieurs, est toujours de bonne humeur, et sort régulièrement un peigne de la poche arrière de son pantalon bien repassé pour ajuster ses cheveux dans le reflet d'une vitre de voiture. Il se dégage de lui une espèce d'humilité et de bonté qui, avec son sens de l'humour aiguisé, en font rapidement la mascotte de notre groupe.



Alors que l'on sirote une bière sous un manteau d'étoiles se reflétant dans le Nil, il me raconte des fragments sa vie.

A la suite d'une déception amoureuse qui lui a brisé le cœur à 30 ans, il a tout lâché pour s'enrôler dans un bateau le long de l'Océan Indien. Comme plusieurs des plus vieux du groupe, il a fait le Hippie Trail. D'après ce que j'en comprends c'est une espèce de parcours suivant plus ou moins le tracé de la route de la soie, et où tous les hippies des années 60 se baladaient de pays en pays pour fumer du haschich et autres drogues. Mais l'ami George ne s'est pas arrêté en si bon chemin : il a réussi à s'évader dans à peu près tous les pays du monde en enchaînant des boulots aussi variés que cuistot, diacre, marin, et j'en passe. Aujourd'hui, lorsqu'il est en Australie, il est bénévole dans une association chrétienne qui apporte des plats aux plus démunis. La conversation dévie progressivement sur la religion, et il me demande si je suis croyant. J'ai peur de le froisser quand je lui réponds par la négative, mais il me rétorque avec ses yeux pétillants : "tu sais moi de temps en temps, quand je suis à l'église en train de prier, je lève la tête vers le ciel et demande: 'Dieu, est-ce que tu existe vraiment?'".

C'est vraiment quelqu'un que je trouve intéressant car je suis incapable de le cerner: il est à la fois d'une vulnérabilité touchante quand il s'arrête brusquement de parler pour me demander gravement : 'est-ce que j'ai une mauvaise haleine ?', ou lorsqu'il me confie qu'il à peur de gêner tous le monde en devant aller trop régulièrement aux toilettes (qui sont sur le deuxième bateau qui nous suit). Mais d'un autre côté, il a une énergie et une vitalité incroyables. À 73 ans, il est encore plein de rêves, et de projets de voyages (le prochain étant la Corée du Nord en avril), et j'avoue que j'aimerais vraiment lui ressembler quand j'aurai son âge.



Mais nous sommes interrompus par Ali, un des membres de l'équipage nubien qui annonce le repas avec sa gimmick favorite: "How's the foooood?". On descend du pont pour savourer le festin, une espèce de mezze, que l'on conclut par une poignée de figues. Fatigués par cette journée oisive à ne rien faire, on s'effondre tous comme des loques sur le pont à à peine 22:00. On est tirés de notre sommeil par le bruit des grenouilles et le ciel qui commence à s'éclaircir vers 4:30 du matin. Difficile alors de résister au spectacle : allongé chaudement dans mon sac de couchage, j'assiste une fois de plus au ballet des couleurs célestes précédant l'arrivée du dieu soleil, qui se reflète cette fois sur les eaux sans rides du Nil. Comme un signal, la vie semble reprendre: les ibis immaculés atterrissent dans les roseaux en quête de grenouilles dodues, alors que les martins-pêcheurs plongent en ressortant avec une petite perche du Nil gigotant encore dans leur bec.



Au moment de larguer les amarres, on se rend compte que George n'est pas dans la felouque. Alors que l'on commence à s'alarmer en se demandant où il est passé, on le voit ressortir du bateau avec les toilettes, encore sur la berge. Réalisant en un quart de seconde que son bateau est parti, plutôt que de paniquer, il sort lentement un mouchoir en tissu blanc de sa poche et l'agite dans notre direction en signe d'adieu, avant de faire mine d'essuyer ses larmes. Alors que le bateau rattrape notre felouque, il esquisse même un geste du pouce mimant un autostoppeur provoquant l'hilarité générale du groupe.



Une fois l'équipage au complet nous voilà partis pour une nouvelle journée de navigation sur le Nil. Dans la mesure où la felouque est mue par la seule force du vent, aucun bruit de moteur ne vient troubler l'atmosphère, ce qui donne un voyage des plus paisibles et agréables. Les paysages s'étirent paresseusement, et les champs font place aux plages où viennent paître quelques vaches descendantes d'Hathor. Véritable bénédiction divine, le Nil vient fondamentalement transformer son environnement. Alors que le désert est marqué par des paysages lunaires de roches ensablées à perte de vue, les berges du Nil débordent de couleurs et de vie. Les champs développés par le limon fertile et l'eau à profusion affichent un vert électrique, alors que le bétail vient s'abreuver sur les berges à l'ombre de la végétation luxuriante.



Quelques jours plus tard, notre felouque nous dépose sur une berge, et nous voilà en route pour le temple de Sobek, le dieu crocodile à Kom Ombo. Quelques gigantesques momies de crocodiles plus tard, Medo nous explique comment à l'époque, les prêtres étaient presque aussi puissants que les pharaons. En effet, il nous montre un pendant de mur cachant une pièce à l'intérieur du temple, et nous raconte comment le grand prêtre s'y cachait lors des visites du pharaon au temple. S'y croyant seul, ce dernier venait se recueillir devant la statut du dieu pour lui demander des faveurs. De l'autre côté du mur, le grand prêtre prenait alors une grosse voix et (à l'insu du pharaon) se faisait passer pour le dieu en question pour lui demander des offrandes en contrepartie desquelles il exaucerait les faveurs du pharaon. Sneaky sneaky.

On a à peine le temps de souffler que le bus nous récupère pour nous emmener à Edfu où l'on visite le temple d'Horus, le dieu faucon. De chaque côté du temple géant, Medo nous montre deux immenses escaliers menant au premier étage. Celui de l'aile ouest monte en colimaçon, alors que le second est parfaitement droit. Devant nos regards interloqués, il nous explique que pour monter au premier, le prêtre devait emprunter celui en colimaçon, à la manière du faucon ascendant dans les airs. Et tout comme le faucon, plongeant en piqué sur sa proie, le prêtre utilisait pour descendre l'escalier droit (qui suivait d'ailleurs le degré d'inclinaison exact du rapace fondant sur son dîner). Sacrés Egyptiens.

Medo nous donne alors quartier libre pour explorer le temple de notre côté. Alors que je me perds dans les dédales de salles où des fresques à la gloire d'Horus (et du pharaon!) recouvrent les murs, je suis approché par un homme. Une quarantaine d'année, la peau couleur chocolat des Nubiens, vêtu d'une galabea bleu ciel et d'un turban blanc. Quand il m'empoigne par le bras et me pointe le mur du doigt en me décrivant la scène, je le prends pour un des relous qui se font passer pour des guides et se laissent prendre en photo par les touristes avant de leur demander de l'argent. Quand il voit ma réaction de recul, il me rassure immédiatement avec un grand sourire en me disant "no money". J'ai à peine le temps d'acquiescer avec un sourire qu'il se passe un truc bizarre qui escalade rapidement. Prenant mon sourire pour un signe de je-sais-pas-quoi, il m'empoigne par le bras, et me serre dans ses bras. One Mississippi, two Mississippi, three Mississippi... Lors de mes voyages, j'ai pu constater les différents rapports des cultures au toucher: des Japonais qui évitent soigneusement tout contact, aux Indiens qui n'hésitent pas à avancer une poignée de main cordiale, en passant par les (jeunes) Australiens qui se checkent de l'épaule, et les Iraniens qui se prennent dans les bras etc. Les Méditerranéens (les hommes notamment) sont plutôt tactiles, mais avec ce gars là, on est sur un tout autre niveau. Une fois qu'il m'a empoigné, il ne me lâche pas, et comme il est sacrément costaud, j'ai beaucoup de mal à me dégager. Je le remercie avec un sourire poli, et prends congé, mais du coin de l'oeil, je vois qu'il commence à m'emboiter le pas. Génial. Pour une fois qu'on est dans un temple qui ne grouille pas de monde, c'est bien ma chance. Il n'est pas méchant ni dangereux, il m'explique des scènes sur les murs et me suggère des endroits ou prendre des photos, mais il me met super mal à l'aise. Au moment où je pense l'avoir semé en enchainant un crochet rapide avec une montée d'escaliers (en colimaçon!) au premier étage, Horus semble s'acharner sur moi: la porte menant au premier étage est bloquée, et me voilà contraint de redescendre… dans les bras de mon stalker qui semble aux anges.



Game over.


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