DM en Ayiti


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Published: May 7th 2016
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Bonjour de nouveau,



Puisqu'il pleut aujourd'hui, j'ai décidé de faire du rattrapage. C'est pour cette raison que, même si les dates des billets précédents représentent des moments où j'ai voulu vous écrire des nouvelles, j'ai rédigé tout cela aujourd'hui, le 7 mai 2016. Je prévois écrire environ 2 fois par semaine sur ce blog. En effet, je ne veux pas y passer tout mon temps, d'autant plus que mes stages s'annoncent bien chargés. Cependant, comme je vous le disais précédemment, j'aime écrire et partager mes réflexions pour susciter des discussions. De plus, je me rends compte avec mes blogs passés que ces écrits ravivent de bons souvenirs, une fois que plusieurs années ont passé. Donc voilà, cette fois ce sont des nouvelles écrites 'live'!



Comme je le disais dans le billet précédemment, j'ai fait le trajet Jacmel-Port-au-Prince le 3 mai dernier pour rejoindre la directrice et la coordonnatrice du RÉFIPS à l'hôtel Montana. Le lendemain, j'ai rencontré Dre Paule-Andrée Louis-Byron, l'adjointe à la Direction de la promotion de la santé et protection de l'environnement du Ministère de la santé. Celle-ci est ma superviseure haïtienne pour le projet. Bien que j'avais une bonne idée de la nature du projet, nos échanges m'ont vraiment permis de cristalliser le tout dans mon esprit. Vous savez, cette fameuse sensation où on a l'impression d'avoir enfin compris un concept dans ses moindres détails? Voilà ce que c'était. Avec cette compréhension fine venait bien sûr une grande motivation. Puisque le projet avec les Ministères de l'éducation et de la santé a une grande envergure et qu'il requiert la participation de personnes haut placées et bien occupées, nous avons préparé un lancement plus officiel, qui a eu lieu le 5 mai. Dre Byron s'est donnée corps et âme pour rejoindre tout le monde et s'assurer qu'ils seraient présents. Mission accomplie: il y avait plus d'une vingtaine d'invités présents et la seule absente avait une bonne raison de l'être. Après que chacun se soit présenté et ait exposé sa perception de l'état actuel des collaborations entre les ministères, j'ai décrit mon projet aux personnes présentes. À mon grand bonheur, celui-ci a suscité beaucoup de réactions et j'ai pu recueillir plusieurs commentaires permettant d'en améliorer la qualité. Finalement, je craignais la dernière partie où je devais annoncer mon besoin que chacun s'inscrive pour des entrevues qui débuteraient... le lendemain! Au départ, les entrevues étaient plus étalées. Cependant, lorsque j'ai compris à quel point le trajet Jacmel - Port-au-Prince pouvait être long, imprévisible et compliqué, j'ai tenté de concentrer mes activités dans la capitale autant que possible pour éviter les déplacements superflus. Pourquoi 'imprévisible'? Lorsqu'il pleut en montagne, l'eau dévale les pentes avec un certain courant, ce qui rend les routes dangereuses pour les véhicules qui pourraient être emportés vers la falaise. On ferme donc la route. Cependant, il est commun qu'un endroit reçoive beaucoup de pluie alors qu'un autre, situé tout près, n'en reçoive pas du tout. Comment est-ce que ça s'articule en montagne? Y a-t-il des vigies à certains points de la route qui annoncent si celle-ci est praticable ou non? Lors du trajet, rien ne semblait réellement organisé en montagne, les marchés s'installant ponctuellement dans certains coins moins pentus... Une chose est certaine, on sait rapidement lorsque la route en montagne se ferme ou s'ouvre de nouveau.



Pour revenir à ma crainte que mon horaire d'entrevues soit peu populaire, je dois avouer que j'ai été fort surpris de régler le tout en à peine 5 minutes. Chacun lançait un moment des 3 jours que j'offrais qui lui convenait le mieux. Quelle efficacité et surtout, quel soulagement! En même temps, voilà que mes prochains jours dans la capitale devenaient très chargés, tout à coup. Je me suis donc empressé de valider ma grille d'entrevue et j'ai commencé mes rencontres dès le lendemain matin à 9h. Le chauffeur de Dre Byron est venu me chercher, de même que mes deux collègues du RÉFIPS qui avaient d'autres tâches dans la journée. Le chauffeur, Philippe, est un grand homme qui me fait penser au père dans le film La famille Bélier (à voir, si ce n'est pas déjà fait!!). Grand, assez bâti, aux larges doigts, mais à l'air un peu gêné, à la chevelure clairsemée sur le haut du coco et dont les expressions faciales sont presqu'essentielles pour qu'un dialogue soit possible. En effet, Philippe comprend plus ou moins le français, et notre connaissance du créole est encore peu développée. Je pensais que j'aurais plus de facilité à comprendre le créole parlé vu la similarité avec le français. Cependant, j'ai surestimé cette facilité et le dialogue est plus compliqué que prévu. Heureusement, j'ai des livres pour m'aider à apprendre la langue. C'est fascinant comme langue... et très charmant. En effet, on ne peut retenir un sourire en lisant tout ce qui est écrit autour de nous. Voyez vous-même, avec la photo du poster sur la vaccination. Le créole écrit est très phonétique, à un point tel où on ne comprendra pas toujours ce qui est écrit jusqu'à ce qu'on l'ait lu à voix haute. Essayez avec ces phrases: Ayewopo entènasyonal Ayiti a te rele, avan gouvènman Divalye tonbe, Ayewopo Franswa Divalye. Anpil avyon desann nan ayewopo a chak jou. Ça donne: 'L'Aéroport international d'Haïti s'appelait, avant la chute de Duvalier, Aéroport François Duvalier. De nombreux avions atterrissent (descendent) à l'aéroport à chaque jour.



Les noms de plusieurs kiosques me font sourire également. Il y a beaucoup de catholiques ici, qui ne se gênent surtout pas pour montrer et partager leur foi. Ainsi, vous verrez des affiches où il est écrit 'Coeur de Jésus ice cream', 'Merci Jésus bon taux de change', 'Christ miséricorde carwash' ou encore 'Dieu avant tout salon de beauté'. Les noms des quartiers ou de certaines villes sont plutôt comiques également. Un quartier s'appelle Maïs gâté (mai gate), alors que des communes (une certaine unité de territoire rassemblant quelques villes/villages) dans le sud-est s'appellent Savane Zombi et Banane. Il y a aussi Ti-fond, Ti-mouillage, Cul de sac, Bras droit, Au Silence et j'en passe. Je trouve ça absolument charmant.



Alors qu'on parcourt le rues, les gendarmes du MINUSTAH nous enlèvent rapidement le sourire des lèvres. En effet, il s'agit de jeunes hommes dans la vingtaine de l'étranger qui viennent en Haïti pour 'rétablir la paix'. Il faut les voir cependant, armés jusqu'aux dents, habillés en camouflage, avec une cagoule couvrant parfois la moitié de leur visage. Ils n'inspirent pas trop la paix, justement. Ou du moins, peut-être plutôt une paix forcée, une paix superficielle, une paix temporaire, une paix diachylon sur un bobo pas réglé, une paix qui fait du bien seulement aux autorités de notre monde qui se plaisent à penser que leur contribution règle des problèmes dans un pays qu'ils ne connaissent même pas. Peut-on appeler ça de la paix? Ou plutôt de la terreur? Vous avez probablement entendu parler des histoires d'horreur qui ont découlé de la présence du MINUSTAH en Haïti. Ce sont les camps de ces 'agents de paix' du Népal qui ont causé la dernière épidémie de choléra qui a ravagé le pays. Plusieurs de ces agents ont aussi été impliqués dans des histoires de viol, alors qu'ils refusaient de payer une pension à la femme qu'ils ont mise enceinte et laissée derrière en Haïti. Un groupe de ces agents ont aussi violé en groupe un jeune Haïtien de 18 ans et ont filmé le tout, se trouvant bien drôles. Où est la paix, là-dedans? Avec raison, le dernier président en place, Martelly, a tenté de faire disparaître le MINUSTAH, qui parcourt les rues et s'installe en Haïti comme un cancer qui prolifère dans un corps déjà bien faible. Pourquoi ne pas élargir le mandat de la police nationale et l'accompagner dans cette mission, plutôt? Il y a bel et bien une police haïtienne qui sillonne les rues également et qui intervient dans les conflits. Comme dans le domaine de l'humanitaire, l'étranger ici semble croire qu'il sait ce qu'il y a de mieux pour ce pays carencé, oubliant d'investir dans ses organes principaux qui feront qu'il pourra se développer de lui-même un jour.



Pour revenir à ce fameux 5 mai, j'étais bien satisfait de la rencontre. Pour couronner le tout, buffet à volonté à l'hôtel Montana ce soir-là! Que demander de mieux? Le lendemain, mes entrevues débutaient avec la Direction de la nutrition, celle de la vaccination et celle des soins infirmiers. Malgré une annulation pour urgence, les autres entrevues ont fort bien été. J'ai terminé plus tôt que prévu, donc j'ai appelé Shelley-Rose Hyppolite pour l'aviser. Shelley-Rose est une médecin spécialiste en santé publique et médecine préventive dans la région de la Capitale-Nationale, au Québec. Elle est également administratrice de Médecins du Monde et a fait plusieurs missions à l'international. Elle a adopté depuis plusieurs années Haïti, où elle a des racines familiales, pour réaliser l'ensemble de ses projets hors Canada. Puisque j'avais besoin d'une MD spécialiste en santé publique comme superviseure de stage, elle me semblait toute indiquée! De plus, ça adonnait qu'elle serait en Haïti au début de mon stage. Quelle chance! Shelley-Rose, qui maîtrise maintenant le créole, a eu la grande gentillesse de m'inviter à parcourir la basse-ville avec elle. Elle m'a d'abord amené au Cimetière de Port-au-Prince pour me faire la preuve que le Vaudou est encore bien présent dans la culture haïtienne. De plus, le Vaudou est la première instance de soins à laquelle les Haïtiens se prêtent. En effet, ceux-ci se rendent habituellement chez les hougans - prêtres vaudous - lorsqu'ils souffrent d'un mal. Ceux-ci utilisent des remèdes traditionnels (plantes, etc.) ou des incantations pour tenter de les guérir. Notre vision occidentale de la médecine fait que ces pratiques sont trop souvent mises de côté lorsqu'on tente de venir en aide à une population. Une meilleure compréhension et intégration de ces croyances permettrait certainement d'améliorer la confiance que peuvent avoir les Haïtiens envers nous, les professionnels de la santé étrangers. Dire à un Haïtien que le Vaudou n'existe pas ferme des portes qui bien souvent deviennent solidement scellées. À l'entrée du Cimetière, j'ai été surpris de voir qu'on vendait des portraits de saints chrétiens. En fait, lorsque les Français refusaient que les Haïtiens pratiquent leur culte, les Haïtiens utilisaient des images de saints catholiques pour camoufler leur pratique vaudou. Ainsi, les différents saints ont des correspondances à certains Lwas vaudous bien précis. Par exemple, St Expédit représente le Lwa du Baron La Croix. Les Lwas sont des esprits vaudou qui ont certaines caractéristiques qui leurs sont propres. J'ai pu voir, au Cimetière, plusieurs regroupements de personnes pleurant leur proche défunt, mais aussi d'autres individus qui viennent demander des choses ou remercier des Lwas. Vous verrez, dans les photos, l'espace dédié au Baron Criminel. Il s'agit du frère du Baron Samedi, le Lwa de la mort qui est présent dans tous les cimetières. Il est possible de faire des incantations au Baron Criminel pour prendre sa revanche et maudire quelqu'un ou le condamner à mourir. Plus loin, il y avait aussi l'espace dédié au Baron La Croix (lakwa), l'autre frère du Baron Samedi. Baron La Croix représente les plaisirs humains, la sexualité et la mort. Ainsi, on lui fait des offrandes telles que de l'alcool, de la nourriture, etc. Il y avait aussi un arbre où les gens accrochaient des objets pour demander des faveurs aux Lwas vaudou (voir photo). Fascinant, non? Dans ce Cimetière, il y avait aussi les tombes de plusieurs feu présidents, tels que Duvalier père (surnommé Papa doc, un médecin auto-proclamé président à vie, un dictateur). Il a facilité l'accès au pouvoir de son fils lorsqu'il est devenu malade. Celui-ci, nommé Bébé doc, est plutôt enterré dans la cour de sa demeure familiale. Apparemment, le 1er novembre, soit le jour des Morts, le Cimetière est rempli et les gens sont debout partout sur et autour des tombes. Il y a alors une grande fête et plusieurs pratiques Vaudou. Malheureusement, plusieurs tombes ont été pillées, lorsque le tremblement de terre (surnommé 'goudougoudou' par les Haïtiens) les a endommagées.



Après notre visite dans le cimetière, nous avons parcouru les marchés de la basse-ville, puis nous sommes allés à la Place Champ de Mars. Nous étions accompagnés d'amis haïtiens de Shelley-Rose. J'ai pu voir les statues de grandes figures de l'histoire haïtienne, tels que Pétion, Henri Christophe, DesSalines et Toussaint Louverture, mais il y a plusieurs rénovations qui empêchaient de voir d'autres monuments reconnus. Par exemple, je n'ai pas pu voir cette fameuse statut de 'Neg Mawon' (le nègre marron - http://students.depaul.edu/~jallonce/Maroon.jpg), qui est un emblème de la libération des esclaves. Cette statue montre un homme de peau noire qui se défait de ses chaînes et qui lance un cri de victoire à tous en utilisant un lambi, un coquillage bien connu ici. Après avoir parcouru plusieurs endroits tout aussi jolis les uns que les autres, nous sommes allés laisser un ami de Shelley-Rose à un endroit absolument magnifique. Il s'agit d'une 'Ginger House', une maison de style typiquement haïtien, dont les dimensions n'ont rien à envier aux maisons de Westmount à Montréal. J'ai pris une photo de cette Ginger House, que je partage ici. Un bijou d'architecture. Finalement, après ce périple, Shelley-Rose et moi sommes allés à l'hôtel Montana pour qu'elle rencontre mes accompagnatrices du RÉFIPS, histoire de jaser stage. Histoire de clore la journée magnifiquement, j'ai savouré un repas typiquement haïtien (voir photo), du griot de porc avec banane pesée (du plantain frit).



Voilà donc les dernières nouvelles de mon périple haïtien. Au plaisir de vous lire également, chers amis! Si jamais vous voulez recevoir une alerte lorsque je publie un nouveau billet, je crois qu'il y a une façon de s'inscrire à mon blog. Partagez dans les commentaires si vous trouvez comment le faire, svp...!

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9th May 2016

Les contrastes d'Haiti
Salut DM! Je viens de lire sur ton blogue ce qui me permet de constater que tu as aussi des talents de journaliste et de conteur. Je suis de ceux qui sont plutôt portés à découvrir les réalités positives dans la découverte d'un pays. Haïti est bien spéciale, un peuple fort, courageux et capable de garder espoir. Mais une situation désespérante de par le manque de responsabilité de ses dirigeants. Comment un peuple, des personnes, des pères et des mères de familles font-ils pour s'atteler chaque matin à la tâche de donnés à manger à leur familles alors que tout est tellement désorganisé, précaire, dangereux ? Je te souhaite de rencontrer des gens qui s'interrogent sur l'avenir politique et humaine. Je suppose que tu auras la chance de le faire puisque ton travail touche au cœur même de la vie haïtienne. Je continue à te suivre ... J'apprendrai sans doute,beaucoup.
10th May 2016

Une situation complexe
Merci pour ton commentaire, mon cher ami! En effet, le manque de responsabilité des dirigeants est plutôt déplorable. Mais je crois que les ONGs internationaux en sont responsables en grande part. Je constate à chaque jour que la plupart d'entre elles agissent de façon verticale, selon leur vision, leurs objectifs, leurs bailleurs de fonds, etc. Parfois, les ONGs font des projets en Haïti et le gouvernement n'est même pas au courant! Comment planifier les services à donner à la population alors? Comment agir avec un budget (le leur + celui des ONGs) dont ils ne connaissent même pas l'ampleur? Comment évaluer les besoins? Comment agir sans dédoubler si on ne sait même pas qui fait quoi? Bref, j'ai pu voir des organismes qui sont un peu mieux coordonnés avec le gouvernement, mais ce n'est pas la norme, malheureusement. La grande instabilité politique n'aide pas non plus.. Malgré tout ça, ces enfants, adultes, pères et mères de famille continuent de sourire et de rire. Quelle résilience... J'espère bien rencontrer des gens qui s'interrogent sur l'avenir politique et humain de l'Haïti, comme tu le dis. J'ai déjà rencontré des Haïtiens fort inspirants avec qui il est bien plaisant de discuter. Deux mois remplis de beaux échanges...!

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