DM en Ayiti


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Published: May 29th 2016
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Samedi 21 mai. J’allais enfin rencontrer Dr Joseph, ce fameux Directeur de la santé scolaire du Ministre de l’éducation haïtien! La voiture de la Croix-Rouge est passée à l’appartement à 6h AM. C’est incroyable comment la ville est vivante déjà à cette heure. Elle a la même allure à 6h AM qu’à 13h, avec des gens de tous les côtés qui font leurs emplettes, qui regardent les voitures passer une brindille à la bouche ou qui emmènent leurs enfants à l’école. Les Haïtiens se réveillent souvent entre 5 ou 6AM pour commencer leur journée. Impressionnant…! Mais on dirait que j’ai été contaminé par cette habitude, puisque je me réveille pratiquement tous les matins vers 6AM sans réveil. Peut-être est-ce à cause des camions qui passent juste devant ma porte ou à cause du soleil qui plombe sur mon lit? Ce n’est pas désagréable pour autant! Bref, nous sommes passés par le seul guichet ATM de Jacmel : hors service. Puis, quelques heures plus tard, nous passons au seul guichet AM de Léogane : hors service. Il fallait bien que je trouve de l’argent pour payer la pension où j’allais rester à Port-au-Prince…! Heureusement pour moi, la réalité du monde rural est bien loin de celui de la capitale en termes d’accessibilité aux services, donc j’ai pu aller à un des centaines de guichets de la ville. Sur le chemin, nous avons traversé un cortège funèbre. Alors que les voitures suivent le corbillard au Québec, ici, ce sont des centaines de gens qui marchent sur les trottoirs et au milieu de la rue, vêtus de noir ou dans leurs plus beaux habits aux couleurs sombres, parmi lesquels circulent des musiciens aux airs moins funèbres que ce qu’on a l’habitude chez nous. Certains automobilistes saluent cette triste foule ou récitent une courte prière pour le défunt. Quelques minutes plus tard, nous cherchions la Pension Esther, où j’avais réservé pour quelques nuits. L’adresse (15 rue Pacot) ne nous aidait guère, puisque de toute façon, on n’affiche pas souvent les numéros civiques ici, et encore moins les noms de rue. Nous avons demandé aux passants, personne ne connaissait cet endroit. Nous avons appelé la Pension, où on ne savait pas plus comment nous diriger et qui nous a même envoyés dans la mauvaise direction… Après au moins 30 minutes à chercher, nous avons trouvé cette Pension qui avait tout l’air d’une maison normale, sans aucune indication particulière faisant comprendre que c’était un gîte. La grille bleu-vert s’ouvre finalement pour nous faire découvrir une charmante maison à deux étages. C’était une sorte de maison de retraite, probablement de propriété religieuse (on entendait des chansons dédiées à Jésus presqu’en permanence), dont le deuxième étage avait été emménagé pour recevoir des invités. Ils avaient donc gardé la petite cour parsemée de plantes verdoyantes, le salon aux allures vieillottes avec de grands fauteuils et une table en bois, de même qu’une terrasse ensoleillée. La chambre avait un grand espace de travail, ce qui s’avérait parfait pour mes prochains jours à plancher sur mes analyses. À 10h15 arriva finalement notre cher Directeur de santé scolaire. Après seulement 2 minutes à l’entendre, j’oubliai immédiatement les frustrations passées de l’attente qu’il avait générée. Cet homme en fin de trentaine a une vision incroyablement réfléchie de la santé, et plus particulièrement de la santé scolaire. Il me parlait des déterminants de la santé selon sa lunette haïtienne, des grands maux systémiques qui rongent la population de son pays, de sa vision des priorités à faire valoir pour que la santé des Haïtiens s’améliore réellement. Une vision de santé publique, qui situe l’individu dans son contexte familial, interpersonnel, sociétal, environnemental. Il m’a généreusement partagé l’historique de ce dossier, avec les subtilités historiques et contextuelles que ça impliquait. Il a ensuite partagé ses réflexions sur la santé dans toutes les politiques, un mouvement émergeant de la conférence d’Adélaïde il y a plusieurs années, où on reconnaît l’importance de l’implication de tous les ministères (du transport, de la condition féminine, de l’économie, de l’éducation, etc.) dans une perspective globale de santé. C’était rafraîchissant, stimulant, inspirant. Bref, je buvais ses paroles. Il m’a aussi parlé du fait qu’Haïti luttait pour assurer des besoins fondamentaux à sa population, alors que cette dernière est en même temps affligée par des problématiques que certains attribuent davantage aux pays développés, tels que la discrimination des personnes gaies, lesbiennes, bisexuelles et transgenres, l’exclusion des personnes présentant un trouble de santé mentale ou un handicap intellectuel plus sévère, l’intimidation dans les écoles, le racisme même. Cet homme inspirant a une grande influence sur les décideurs en matière de santé et il le sait. C’est pourquoi il reste dans ce pays où sa femme a été kidnappée jadis, à travailler pour un maigre salaire pour le Ministère de l’éducation, alors qu’il aurait le statut pour travailler au Canada en vivant sa vie beaucoup plus confortablement. C’est justement pour ses grandes qualités intellectuelles et sociales qu’il est sursollicité, le rendant peu disponible. Mais quand même, un agenda pourrait lui faire du bien! 😉 Je me suis considéré chanceux de pouvoir passer près de deux heures et demie avec ce médecin qui m’a rapidement demandé de l’appeler tout simplement Érold. Après quelques heures de travail, je me suis rendu chez Félix-Antoine, cet ami avec qui j’avais partagé un souper au début du mois. Celui-ci m’a invité à souper chez lui, avec sa conjointe. Il m’a recommandé une femme conductrice de taxi, Sylvanie, pour me rendre. J’ai entendu celle-ci arriver à plusieurs centaines de mètres, après qu’elle ait passé une vingtaine de minutes à trouver l’endroit dans l’obscurité. Je ne savais pas qu’une voiture pouvait faire un tel bruit et continuer de rouler. Nous abordions chaque fissure de la route avec grande attention, traversant la ville à une vitesse de croisière avoisinant les 10 km/h. J’ai souri tout le long du voyage, vu le comique de la situation et les histoires que me contait Sylvanie. D’ailleurs, nous n’avons pas réussi à monter la côte menant à l’entrée de Félix-Antoine. Nous l’avons donc gravie à pied. Une fois arrivé, j’ai été immédiatement émerveillé par la vue de la cour de mon ami. Sa terrasse surplombait Port-au-Prince, qui avait l’allure d’une toile aux teintes de noir parsemée d’halos lumineux, parfois concentrés, parfois parcellaires, tantôt bien définis, tantôt perdus dans le lointain des montagnes. J’ai passé une soirée absolument parfaite. Ira (désolé si je massacre le nom…), la conjointe de Félix-Antoine, est une femme resplendissante venant des environs de la Russie et ayant grandi en Israël. Travailleuse sociale pour adolescents de formation, elle a décidé un jour de devenir humanitaire et a passé le reste de sa vie à voyager. Félix-Antoine et elle ont maintenant deux enfants et se sont établis en Haïti. Nous avons parlé de tout et de rien, tous les trois : d’Israël, d’Haïti, de mes mandats ici, de leurs mandats à eux, de la démission de PKP, des élections américaines… Tout ça, en savourant un fromage salé sur tomate et sauce balsamique en entrée, un saumon avec des pommes de terre plongées dans une purée d’aubergines, et une mangue revenue dans le beurre et le sucre aux côtés d’une boule de crème glacée à la vanille. Wow. Ils ont su combler le grand fan gastronomique que je suis. Après quelques verres de vin, je suis revenu heureux d’avoir passé une formidable journée et me suis endormi au son amorti des chants religieux.



Dimanche 22 mai et lundi 23 mai, deux journées sans histoire, passées à mon espace de travail, sur la terrasse et dans la cour à réaliser mes analyses d’entrevues, jusqu’aux petites heures du matin. J’entendais à quelques occasions les mangues tomber lourdement sur les toits de tôle des voisins, m’assurant à chaque fois que je ne me trouvais pas moi-même sous un haut manguier. Pendant une heure ou deux, les chants de Jésus laissaient leur place à une Lara Fabian déchaînée et aux grands classiques romantiques. Je crois que la cuisinière préférait écouter sa propre musique pendant qu’elle nous préparait un festin pas haïtien, mais tout de même exquis. J’ai tout de même eu droit à un pain patate, une sorte de gâteau haïtien sucré.



Mardi 24 mai, voici enfin arrivée cette journée tant attendue. C’était cette fameuse rencontre où étaient rassemblés les représentants du Ministère de la santé, du Ministère de l’éducation et différents partenaires en santé scolaire tels qu’UNICEF, l’organisation panaméricaine de santé de l’OMS, la banque interaméricaine de développement et, cette fois, une organisation humanitaire japonaise. Après avoir passé près de 20 minutes à chercher l’endroit, Josseline (Jocelyne? Josselyne? Joslyne? Josline? J’ai vu son nom écrit différemment plein de fois) Pierre-Louis, la Directrice de la promotion de la santé du Ministère, est passée me chercher avec son chauffeur. Cette femme, malgré son poste d’importance et sa prestance, est très facile d’approche et fort sympathique. Alors que j’allais la rejoindre à pied après qu’ils aient abandonné l’idée de trouver l’endroit, je me suis rendu compte qu’il y avait un autre 15 rue Pacot. À bien y penser, il y en avait probablement plus que deux, même…! Il y a des choses qu’il ne vaut pas la peine de chercher à comprendre, parfois 😉 J’embarque donc dans la voiture pour me rendre compte que je n’ai pas de vitre. Dre Pierre-Louis m’explique calmement que des voyous ont pénétré dans sa demeure privée et ont vandalisé la voiture pour en voler le contenu, avant d’être surpris par un voisin alerté par le bruit. En route, nous subissons le trafic du matin. Nous croisons le Parc Chavez qui, ironiquement, est un des parcs les plus grands, propres, riches et fournis en équipements de Port-au-Prince. Sur le trottoir, nous croisons deux hommes grisonnants d’un certain âge portant des T-shirts où figuraient respectivement les inscriptions « Bitch 1 » et « Bitch 2». J’imagine que ceux-ci ont acheté ou reçu ces vêtements en même temps, sans trop savoir ce que signifiait l’inscription… Ou sinon, ils ont un humour absurde absolument admirable. Un peu plus loin, un garçon sérieux dans la vingtaine se rendait probablement à la fac (l’université ici), se promenait avec un sac rose de Dora l’exploratrice. Il semble que les Haïtiens n’ont pas ce souci – souvent maladif – qu’ont plusieurs personnes en Amérique du Nord, de ne pas avoir l’air ridicules. Pour ce garçon, ce sac servait simplement pour sa fonction principale, sans qu’importe son apparence. On m’a souvent dit que les gens au Québec se soucient moins de leur apparence que dans d’autres pays développés. C’est vrai qu’on est loin des fashionistas européens, mais qu’en pensez-vous? Décidément, c’est un tout autre univers qu’en Haïti. Malgré tous les aléas de la route, nous arrivons tout de même à l’heure pile du début de la rencontre : 9h. J’ouvre la porte et : … personne. Pas même un ordinateur relié au projecteur, tel que j’avais demandé à ma superviseure. Je n’ai pas grand explication à donner au premier invité arrivé quelques minutes plus tard. Finalement, ma superviseure arrive, en trombe, avec le matériel nécessaire. Elle me dit que les gens ne sont pas pressés, qu’elle va les appeler pour leur rappeler de venir à la rencontre (malgré les deux courriels de rappel envoyés la veille et l’avant-veille). Tous ceux qu’on appelle disent qu’ils s’en viennent, qu’ils sont au courant de la tenue de la rencontre. Vers 9h30, on entend des klaxons en continu, pas très loin. Il s’agit d’une grève du CNE (Centre national d’équipement, ou quelque chose du genre). Ceux-ci ont une énorme bâtisse moderne, que les chauffeurs nous désignent souvent du doigt lorsqu’on la croise, en ville. Cependant, la CNE n’a pas payé ses employés depuis plus de 10 mois. L’explication qu’on m’a donnée est simple : une organisation internationale a fait don de l’édifice à la CNE, sans se soucier de détails plus fondamentaux, tels que la capacité de cette organisation à payer ses employés. L’incongruence de l’aide humanitaire se retrouve vraiment partout. Cette manifestation allait probablement ralentir encore davantage les ardeurs de nos invités, qui seront pris dans le trafic. Finalement, à 10h15, tous les invités étaient présents et nous avons pu commencer. Nous avons manqué de courant pendant la majeure partie du temps, donc j’ai présenté mes résultats à l’oral sans appui visuel (et sans air climatisé!), la chemise trempée, heureux que nos invités interagissent et discutent autant des éléments que je leurs partageais, l’agenda que je leur avais imprimé en guise d’éventail à la main. J’ai appris plus tard que Philippe, ce cher chauffeur de ma superviseure qui avait salué l’homme en panne (voir un des billets précédents), avait subi un accident vasculo-cérébral le vendredi d’avant. Il a des assurances, mais il doit payer d’emblée pour ensuite se faire rembourser. Seul pourvoyeur d’une famille de 6 enfants, c’était une situation bien difficile à encaisser pour lui. Heureusement, ma superviseure l’aide financièrement et utilise son titre de médecin pour bargainer des réductions dans les prix des tests et traitements. Les médecins haïtiens ont droit à des rabais de 50%!p(MISSING)our les soins en santé ici, selon ses dires… De retour chez moi, j’ai discuté avec des amis de Port-au-Prince qui ne pouvaient malheureusement pas venir me visiter, donc j’en ai profité pour lire la documentation envoyée par mes amis colombiens sur le projet dont ils m’avaient parlé. Les prochains jours allaient être bien occupés, alors que nous devions préparer une proposition de projet à soumettre au maire de la municipalité où aura lieu le projet. Une rencontre Skype tardive (22h30 à 00h30… ces amis sont de vrais oiseaux de nuit!) nous a permis d’établir les bases de ce programme de prévention. À suivre!



Mercredi 25 mai. Après une bonne journée bien remplie, j’ai décidé de relaxer en matinée. Petit déjeuner dans la cour fleurie, un livre à la main… À 9h, j’avais un rendez-vous Skype avec l’équipe montréalaise de l’Unité de santé internationale et j’ai appris avec bonheur qu’une petite délégation viendrait en mission en Haïti à la fin juin. Puis je me suis préparé pour partir à 13h avec la voiture de la Croix-Rouge. Cette fois, ça a pris environ 40 minutes pour que la voiture trouve l’endroit. En entrant dans la voiture, j’assiste malgré moi à la conversation téléphonique tendue d’un autre expatrié qui semble vivre les tensions liées au travail humanitaire sur la vie de couple. Après qu’il ait raccroché, nous discutons longuement. Nicolas est ingénieur pour la Croix-Rouge et est envoyé sur plusieurs projets à l’international pendant l’année. Sa conjointe, Française, est elle aussi envoyée aux quatre coins du monde dans des missions. Il est sympathique, mais semble totalement désabusé par la situation haïtienne actuelle. Il est sans cesse interpellé pour l’hôpital qui est en construction à Jacmel. Sa construction a plus d’un an de retard et présente plusieurs embûches. Pour l’instant, de toute façon, aucune inauguration ne pourrait avoir lieu à cause de la grève des médecins résidents. Il n’y aurait aucun médecin pour voir les patients. En attendant que cette crise se règle, la construction continue, pour le meilleur et pour le pire. Même si ça fait déjà quelques fois que je la parcours, la route me laisse toujours aussi ébahi. J’y ai maintenant certains repères. On passe une station-service où on fait des kiss (changements de voiture… deux voitures qui se rencontrent se donnent un kiss! Smouac!! :P), puis on passe par un endroit où des marchandes vendent des centaines d’énormes mangues. Ensuite, l’intersection des routes menant à Léogane et à Jacmel. Puis, on monte rapidement la montagne, ce qui nous donne une vue imprenable sur la mer et la ville du côté Nord. On croise une vieille camionnette abandonnée, un petit village maraîcher où la terre est rouge âcre, bondé de monde en matinée mais complètement abandonné cet après-midi. Alors qu’on dépasse en klaxonnant (pour aviser du dépassement, saluer, puis remercier de nous avoir laissé passer… ah et un autre petit klaxon pour re-saluer!) les énormes camions décorés de vives couleurs et remplis d’hommes, de chèvres et de marchandises, on file à toute allure devant les petits kiosques de loto « Chez Titi » ou « Confiance loto » érigés au milieu de nulle part. À un certain point, il y a le village de Decouze, avec à son entrée un restaurant-bar où tout est décoré de vrais coquillages. Puis la route continue, bordée de champs de manguiers et de maïs, d’écoliers un peu plus âgés (vu que c’est l’après-midi), et d’enfants tenant les oreilles de lapins paniqués pour les vendre aux automobilistes. Après quelques minutes à bâiller pour se déboucher les oreilles, on arrive enfin sur le versant est, où on voit la magnifique Jacmel au loin. Le chemin restant avant d’arriver est beaucoupl plus court. En 30 minutes, on arrive au pont inachevé… mais… on l’a achevé!!!! Il semble que cette épopée ait une fin heureuse..! Les voitures et motos n’auront plus à traverser la rivière pour aller vers Bainet et le Bassin bleu. Sous peu, cette route devrait être ouverte, probablement à la déception de tous ces petits marchands qui avaient placé leur kiosque de façon quasi-permanente autour de la route improvisée qui mène à la rivière. J’arrive finalement à l’appartement en fin d’après-midi et reçois un appel de Vladimir qui vient me visiter. Encore une fois, l’allure triste. Nous discutons enfin. Il n’aime pas être dans la maison où il travaille et il est triste de ne pas avoir d’amis, sans toutefois en rechercher. Parfois, on le traite mal. Il préférerait faire autre chose, être ailleurs, mais n’a pas de plan en tête. Je me mets en mode entretien motivationnel… mais il semble pris dans de longues réflexions et être loin du plan d’action. Je me mettrai sur son cas au cours des prochaines semaines et ferai mon possible même si un monde de différences nous sépare. Je marche toujours sur des œufs lorsqu’on parle de sa condition, puisqu’on est élevés dans la ouate au Québec, en comparaison à la réalité haïtienne. Tout comme j’adore venir en aide aux toxicomanes sans avoir eu moi-même des problèmes de consommation de drogues, j’ai l’impression de parler un peu à travers mon chapeau lorsque je donne mon avis à Vladimir. Mais bon, si on s’empêchait de se prononcer sur tout ce qu’on n’a pas vécu, on aiderait bien peu…! Peu importe d’où chacun vient, je crois que l’échange d’opinions fait toujours avancer les choses. Finalement, j’ai travaillé sur la présentation de projet colombien jusqu’aux petites heures du matin. À quelques minutes d’avoir terminé, ma clé USB avec Internet m’a lâché… Impossible d’envoyer le tout pourtant terminé, malgré l’urgence. Après avoir essayé de ranimer cette clé USB pendant près d’une demi-heure, je me suis endormi.



Jeudi 26 mai. Aujourd’hui, c’est le Jour Dieu. Jour quoi? Jour de quoi? Jour pour quoi? Étrangement, personne ne le sait. Mais chacun est bien content d’avoir une nouvelle journée de congé! Je me rends aux bureaux de la Croix-Rouge avec le sympathique chauffeur Kenzy (j’ai noté le nom des différents chauffeurs avec une mini-description sur mon cellulaire pour m’en rappeler… Kenzy = lunettes allure yo). Il y en a tellement! Je finirai bien par les mémoriser. Kenzy est bien sympathique et s’est donné pour mission de me faire parler créole autant que possible. Dès que je mets les pieds dans la voiture, il me pose des tonnes de questions. Koman ou ye? Kisa w te fe maten sa a? Kikote wap ale? Kisa wap remen isitt Jakmel la? (Comment ça va? Qu’as-tu fait ce matin? Où vas-tu? Qu’est-ce que tu aimes ici à Jacmel?) Au bureau, il n’y avait qu’Élise, cette coordonnatrice qui est en Haïti depuis quelques années. Nous avons discuté de santé publique, de sa situation actuelle avec son conjoint lui aussi humanitaire, de ses perspectives d’avenir… Puis, j’ai travaillé sur mes projets. À 13h, toujours pas de lunch au bureau vu le jour férié, donc je m’enligne pour le Cyvadier, où m’attendent ces sympathiques employés qui m’appellent maintenant par mon nom, me lançant quelques phrases en créole. Je travaille un peu, puis plonge dans la mer, où je me laisse flotter sur le dos, oscillant au gré des vagues qui me bercent. Tout à coup, à un mètre de moi, j’entends un grand BONJOU MÈSYE! Évitant une gorgée salée de justesse, je me redresse : un jeune homme de mon âge me regardait avec un grand sourire. Il ne parle pas créole, mais comprend le français. Je baragouine donc quelques phrases et on finit par converser entre les vagues, à moitié en créole, à moitié en français. Voilà exactement ce que je voulais dire, lorsque j’écrivais plus tôt que d’apprendre la base d’une langue locale ouvre les portes sur une nouvelle culture. Finalement, il me donne son numéro de téléphone pour que j’aille rencontrer sa femme et son enfant. Converser en créole au téléphone… ce sera certainement tout un défi! Après cette saucette bien agréable, je suis retourné sur la terrasse du Cyvadier pour débuter ce billet de blogue, tout en sirotant une limonade avec vue sur la mer. Quelle vie! En arrivant à l’appartement, vers 20h, je me rends compte qu’il n’y a pas d’électricité. Et ce sera ainsi pour toute la nuit! Après un petit moment à explorer les jeux de mon cellulaire haïtien, je m’endors, en étoile, plein de sueur, sur les draps de mon grand lit.



Vendredi 27 mai. Aujourd’hui, nous allons visiter et faire des entrevues au SONU-B de Cayes-Jacmel. Je me présente au bureau à 8h… puis le temps passe. 9h… J’appelle ma collègue haïtienne qui doit nous accompagner, pour apprendre qu’elle ne vient plus finalement. Elle est prise dans le trafic à Port-au-Prince. Elle me demande donc d’organiser le départ pour la visite. Je fais ça rapidement, mais le transport tarde. En sortant vérifier si la voiture arrive 15 minutes plus tard, je croise Figaro, qui me demande ce que je fais. Lorsque je l’avise que je veux me rendre à Cayes-Jacmel, il appelle le dispatch du transport et me dit immédiatement qu’il nous amènera. Je ne comprends pas trop le fonctionnement des choses, ici, parfois… Sur le chemin, il m’invite à l’accompagner, sa nouvelle copine et lui, à la plage dimanche. Je prends donc son numéro en note. Le SONU-b de Cayes-Jacmel est totalement différent de celui que j’avais déjà visité. Tout d’abord, il était totalement bondé. Rapidement, mon oreille entendit de l’espagnol. En effet, depuis plusieurs années, cet hôpital reçoit 5 médecins spécialises (chirurgien, obstétricien, anesthésiste, etc.) et 6 super-infirmières cubains en appui. Le directeur médical de l’endroit, Dr Kerner, m’a impressionné avec sa facilité à passer du créole, au français, à anglais et à l’espagnol sans problème. Même chose pour Dre Sanon, qui a répliqué promptement à une infirmière en espagnol. Une partie du reste de l’après-midi s’est donc déroulé en espagnol. Je ne pensais jamais que je ferais mon entrevue auprès du directeur médical dans la langue de Cervantès…! On apprend, pendant la visite, que les ressources de l’hôpital sont dépassées depuis la grève, puisque tous les patients de St-Michel sont envoyés au SONU-B. On m’a raconté qu’une fois, une patiente enceinte en train de perdre beaucoup de sang s’est présentée à l’hôpital St-Michel. Sans même envoyer un professionnel de la santé pour l’accompagner, ils l’on envoyée à l’hôpital Cayes-Jacmel pour qu’elle soit vue… Mais ce dernier n’a pas de banque de sang. On lui a donc donné un soluté de dextrose, qui n’est vraiment pas optimal mais qui a quand même réussi à stabiliser la patiente, qui a ensuite dû subir une césarienne in extremis. Voilà exactement à quoi sert l’intervention que je suis en train d’évaluer. En ayant créé un réseau de référence/contre-référence connu de tous, les professionnels des établissements devraient pouvoir connaître les ressources disponibles ailleurs et appeler avant de transférer une patiente pour que l’autre établissement se prépare. Dans le contexte de crise actuel et de changements dans l’organisation des soins dus à la grève, ce système est mis à rude épreuve. Une autre difficulté rencontrée à Cayes-Jacmel est que presque personne n’entre les données des interventions réalisées dans les registres. On pense souvent que c’est de la paperasse inutile. Cependant, sans ces données, c’est impossible pour les administrateurs de voir quels sont les manques et envoyer les ressources aux bonnes places. Résultat : on se plaint depuis longtemps dans ce SONU-B qu’on manque tel ou tel équipement, mais ça ne figure nulle part. Les décideurs n’ont donc aucune idée de ces carences en matériel. On a tenté de leur faire comprendre l’importance de se tenir à jour dans leurs registres et dossiers, appuyant sur le fait que ces données servent de plaidoyer pour obtenir plus de ressources. Est-ce que ça a fonctionné? Dre Sanon verra bien, lors de sa prochaine visite d’évaluation, dans 3 mois. Revenu aux bureaux, je travaille un peu avant de retourner à l’appartement. Puis, je reçois un ‘salut bb’ par texto, de Figaro. S’ensuit la conversation suivante, traduite au français :

- ‘bb, comme bébé’?

- ‘mais oui chérie, ça te dérange que je t’appelle bébé?’

- ‘euh… bah hmmm… non? C’est une habitude ici?’

- ‘mais non pourquoi tu dis ça j’aime bien t’appeler bb, amour…’

- ‘hmm tu sais que je suis David?’

- ‘MERDE! Je t’ai enregistré sous le nom de ma nouvelle copine’

Depuis, j’appelle Figaro « chéri », « bébé » ou « amour » pour le taquiner… On a bien ri!! Ça a dû l’embarrasser ou j’ai peut-être poussé un peu trop, parce qu’il m’a demandé d’arrêter… Oups! Vers 19h, je retourne à mon appartement. Toujours pas d’électricité…. Plongé dans l’obscurité, j’écris à un employé de la Croix-Rouge pour l’aviser que ma clé USB ne fonctionne plus. Il m’appelle et jase, jase, jase… J’en ai retiré une critique fort intéressante pour alimenter mon évaluation sur l’intervention de référence/contre-référence. Je l’ai même invité à partager un souper pour continuer la conversation. On va chercher l’information où on peut…! Finalement, la soirée s’est terminée, toujours dans l’obscurité, avec ce cher Vladimir qui est venu me porter d’autres croquioles (ces fameux beignets haïtiens) et discuter un peu.





Samedi 28 mai. Je me réveille encore en sueur… Toujours pas d’électricité. Le mot a maintenant passé : l’Ed’H (Électricité d’Haïti, l’équivalent d’Hydro-Québec, mais dans le trou) éprouve des difficultés dans sa centrale, ce qui a un effet sur la disponibilité de l’électricité. Je me réveille donc naturellement à 6h AM et m’attelle à l’ordinateur pour continuer ces billets. Après un moment, je vais faire quelques emplettes avec Gamaël, un autre chauffeur fort sympathique de la Croix-Rouge. Je renouvelle mon abonnement de clé USB (c’était ça, le problème!), je passe au guichet ATM (qui fonctionne, cette fois) en vue de quelques nuitées à l’hôtel dans l’Est du pays la semaine prochaine avec mes collègues de l’équipe de référence/contre-référence, puis je vais au Cyvadier, où on m’accueille à coups de chaleureux bonjours. Je me lance à la mer avant de travailler. Encore une fois, un Haïtien de mon âge s’approche et vient discuter, à moitié en français, à moitié en créole. Après un autre échange de numéro de téléphone, je reviens sur la terrasse, m’installe sur la terrasse et vous écris ces mots, un verre de rhum sour (au rhum Barbancourt!) à la main. Après ces nuits de grande chaleur, je me suis bien mérité un petit rafraîchissement! Au programme demain : 4 heures de randonnée avec Élise et son conjoint olympien (ouch…), puis plage à Raymond-les-bains avec bébé… hum, Figaro! et sa nouvelle copine. À bientôt, chers amis. Je ne me ferai pas attendre aussi longtemps avant les prochains billets!

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29th May 2016

Bravo!
Wow!C'est bien écrit et illustré...c'est inspirant!
1st June 2016

C'est tout sauf ennuyant!
Intéressant de suivre tes péripéties DM en cette terre haïtienne où tout peut arriver! La nécessité est la mère de l'invention... ou de la débrouillardise, n'est-ce pas?
1st June 2016

Hâte de te revoir!
J'ai bien hâte de te raconter tout ça de vive voix...! Et d'entendre de tes nouvelles aussi! À bientôt!

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