L'île de Gorée


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Senegal's flag
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November 5th 2016
Published: November 19th 2016
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le trio déjeune
Nous faisons du mieux que nous pouvons pour partir le matin sur l'île de Gorée. Nous prendrons finalement le bateau de 12h30.



Nous payons 10 fois plus cher le bateau que nous pensions. Nous arrivons sur l'île. La religieuse qui nous accueille dans le dispensaire de l'ordre de Malte que nous servons, nous propose la nuitée à 25 000 F CFA. Nous pensions aussi à la gratuité et le prix demandé est bien au-dessus des prix du marché. Cette journée commence par l’accumulation de désillusions financières. L’après-midi est meilleure. Nous discutons par hasard avec Ismael Sarr, un Sénégalais de Saint-Louis. Il a fait sa classe préparatoire en France, a intégré l’école des Eaux et Forêts. Il est très heureux de nous rencontrer parce que Pimprenelle et Delphine font l’école de ses rêves (Polytechnique, cf articles précédents). Il nous fait visiter sa maison, une très jolie villa sur plusieurs étages.

Nous continuons la visite de l’île. L’école où travaille Delphine : le collège-lycée Mariama Ba, du nom du plus célèbre écrivain sénégalaise (cf Une si longue lettre, à lire pour connaître le Sénégal). L’école a été construite exactement sur le même modèle que la Légion d’Honneur en France,
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arrivée de la vedette présidentielle et de ses autorités (dont notre Directeur du CHOM)
voulue par Léopold Senghor. Elle représente l’école d’élite pour les sénégalaises. La plus réputée actuellement est Professeur d’ophtalmologie au Val de Grâce. Le Sénégal cherche à investir dans ses cerveaux nationaux, mais ils migrent tous quand ils en ont l’opportunité.



Nous nous dirigeons ensuite vers le musée des esclaves. Il s’agit d’une petite maison, avec au rez-de-chaussée plusieurs cellules et à l’étage un comptoir. La maison donne sur la mer, une porte est ouverte sur le « voyage sans retour » où des milliers d’esclaves seraient partis de là. Qu’il s’agisse de race, de culpabilité, ou de vérité dans tous les propos du guide, ce n’est pas ce qui doit m’attrister. Le blanc n’est pas plus mauvais que le noir, mes ancêtres n’étaient pas négriers mais meuniers, et les livres ne rapportent pas que le prix d’un enfant valait un miroir comptant. C’est pourtant ce que nous entendons. Les deux filles et moi sommes les seuls blancs de l’assemblée, de nombreuses personnes d’origine africaine viennent ici en commémoration. Personne cependant ne nous agresse, pas même un mauvais regard. Je suis très ému par toute la violence dont l’homme peut être capable. L’homme, c’est là le vrai problème.
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Nday Marie, la responsable du laboratoire du CHOM arrive
Nier l’humanité de l’autre, en faire un produit, et lui donner les plus mauvaises conditions de vie : voilà dont je suis capable, j’ai cette faculté exécrable en moi parce que je suis un homme. Dieu m’en préserve, puis-je suivre ses commandements tout au long de mes jours. Je prie pour tous ces hommes. Ceux qui ont souffert, ceux qui ont conspiré.



Au musée historique que nous ferons ensuite j’apprendrai que Surcouf était négrier. Que le père et le frère de Chateaubriand aussi. Mes romans de jeunesse changent de couleur... Dans ces moments-là je reste extrêmement fier de mes ascendances de bretons roturiers. Ma famille n’a commencé à s’enrichir qu’au 20ème siècle à Fougère. Mon arrière-grand-père est devenu un industriel de la chaussure, mon grand-père un avocat, mon père cadre. Et du côté de maman on ne trouve que des militaires du rang ou des paysans. Je n’ai pas à demander pardon pour d’où je viens, mais pour ce que je suis : un homme. Je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas de maudire notre condition. Notre potentialité vient de notre matière. Le mal n’existe pas dans l’homme en tant que tel, le mal a pour
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Bénédiction des flots
origine le non-existant, la corruption de la matière, source de puissance. Je bénis la liberté donnée par Dieu aux hommes et qui leur permette de choisir le bien plutôt que de le subir.



Le musée historique retrace toute l’histoire du Sénégal. Je passe rapidement sur la préhistoire, m’arrête sur les premières armes de chasse. L’outil le plus ancien trouvé au Sénégal est une espèce de grande truelle en fer, elle date du 5ème siècle. Le musée se situe dans les salles du Fort de l’île. Elles sont convexes à la cour intérieure circulaire. Chacune des salles représente une période de l’histoire de l’île ou un thème en particulier. A la fin nous pouvons voir par exemple l’histoire du christianisme au Sénégal. Défilent les figures du Père Brottier et de Mgr Lefebvre.



Tenir un musée au Sénégal ne doit pas être une mince affaire, d’ailleurs ce musée historique n’est pas l’aboutissement de sénégalais seulement. La difficulté réside en effet dans le peu de considération que peuvent attribuer les gens d’ici à l’ancien. Non pas l’ancien, l’humain, très respecté, sans doute aussi parce que pour vieillir au Sénégal il faut être bien constitué : échapper aux maladies et supporter tout ce que le corps avale ou respire. Mais l’ancien, le patrimoine. Les sénégalais préfèrent construire du neuf (des châteaux en plein milieu du village de la personne enrichie) que restaurer (une vielle maison chargée d’histoire). Je le vois sur l’île, les plus belles maisons coloniales sont totalement à l’abandon. Le palais du gouverneur en est l’exemple même. Une villa entièrement de pierres avec un grand potentiel mais habitée seulement par les chats. Les maisons coloniales squattées par quelques familles, ou d’autres amateurs d’une vie faite de soleil et de reggae.



Sur le chemin du retour après avoir croisé Aissatou, la fatou de Delphine, nous sommes invités par son mari à prendre le thé. Nous assistons alors à la prière rituelle du soir. Nous sommes là comme des culs-bénis à regarder les quatre jeunes filles derrière leur père et la mère allaitant. L’homme s’agenouille, se prosterne, se lève, et ainsi de suite, les filles font la même chose. Puis ils font de longues prières dont les mots se répètent, elles demandent la miséricorde de Dieu et louent sa grandeur. Le champ lexical ne doit pas dépasser la dizaine de mots. Je me tourne à mon tour vers l’Est. La prochaine fois je prierai avec eux au lieu de rester planté là. Les incantations me mettent aussi mal à l’aise, les jeunes filles chantent « starfoullah » comme en jetant l’opprobre sur les hérétiques que nous sommes. Nous discutons ensuite avec Ibrahima, l’homme des lieux. Sa femme était chrétienne. Elle s’est ou on l’a mariée à 17 ans. Elle a dû prendre la religion de son mari, et les enfants qu’il lui a donné. Ils sont déjà six, elle semble à nouveau enceinte alors qu’un bébé se trouve dans ses bras. Elle est encore jeune, ce ne sera peut-être pas son dernier. Elle se contente de rire à mes interventions étant donné que je suis le seul à taquiner son mari. Delphine me racontera qu’en discutant avec elle, rien de sa vie ne peut être remis en cause, à chacune des questions sur son mariage jeune, sur sa religion, sur son nombre d’enfants, elle répondait : « c’est comme ça au Sénégal ». Mon cynisme s’explique par le manque de choix de cette femme. Nous avons de longues discussions théologiques avec Ibrahima. C’est un homme instruit à n’en pas douter. Il est bon et généreux. Je suis intéressé même s’il s’entend beaucoup parler. Les filles sont plus distantes, il désire les prendre pour femmes, souhait exprimé devant son épouse sans autre forme de procès.



Nous ressortons. Les filles ont faim, elles mangent un grec. Peu attiré malgré mon lot de riz/poisson avalé par semaine, je me contente de la bière locale pour le dîner et des quelques frites qui tombent de leur assiette. Nous rentrons ensuite au dispensaire de l’Ordre de Malte. Nous avons un horaire de couvre-feu à respecter et ne pouvons participer à la fête de nuit organisée curieusement la veille du Saint. Curieux car ce seront les mêmes fêtards qui battront du tam-tam lors de l’arrivée des officiels le matin. Ils n’ont pas dormis de la nuit, ils s’excitent à bras le corps sur leurs instruments tout en dansant, ils sont increvables. Moi non.



Dimanche, lever 7h. Petit déjeuner : café touba (très sucré et au goût « fumé » comme l’eau de rivière du robinet), un pain au lait tartiné avec du chocolat, le tout pour 250 francs...soit 50c en euro. Nous le dégustons d'autant mieux sur la plage au petit matin. L’accueil des autorités s’organise et commence la longue cérémonie qui va durer de 9h à 13h passée. Bénédiction sur les quais. Procession jusqu'au mémorial de l'esclavage. Lecture du sermon de Jean Paul 2 venus en pèlerinage ici un certain 22 février 1992. L’évêque de Casamance lâche une colombe (qui se posera sur le chapeau d’une femme de l’assemblée). La Casamance est à l’honneur cette année : il y a la guerre dans cette région du Sénégal et nous prions pour la paix. Nous continuons la procession sur le port, nouveau lâcher de ballons, puis la procession reprend jusqu'à l'église Saint Charles Borromée. L’île est sous son patronage.



A la messe nous retrouvons du rythme et une belle chorale. Je suis cependant sur mes gardes. En comité d'accueil le matin une "servante de messe" avait craché un "nom de Dieu" alors qu'elle commettait une maladresse. Je la retrouve dans le sanctuaire ainsi que tout un tas de surprises. Des danses africaines pour la procession des offrandes. Des enfants qui paradent dont un jouant l’évêque bénissant les fidèles. Et ça tape et ça bouge. Mes yeux observent plus de frénésie que de ferveur. Je ne vais pas juger si tout cela relève du rire ou de la joie. On reproche aux messes en latin dites extraordinaires d'être trop longues. Cette messe a commencé avant 10h. Elle se finira après 13h. Ce ne sont ni les chants polyphoniques, grégoriens, ou les richesses des écrits liturgiques qui l'ont faite durer. Beaucoup de paroles, de discours et de tam-tam, subjectivement trop pour mon oreille romaine, objectivement trop en longueur aussi.



Je sors de l'église, heureux bien sûr des grâces de l'eucharistie. J'accompagne Nday Marie (le prénom veut dire mère de Dieu en wolof) prendre un morceau. La longueur de la matinée l'entraîne à défaillir. Sur le chemin nous croisons deux malaises dans les brancards. Nday Marie est une jeune fille de 40 ans. Elle est l'exemple que cela existe : rester jeune à la quarantaine. J'ai déjà parlé de sa fierté sérère. Cette journée nous offrira de bons moments d'intimité qui nous permettront de mieux nous confier et nous connaître. Je suis déçu par la kermesse. Nous prenons un repas fort agréable avec le Directeur du CHOM et son épouse sous la grande tente mais trop proche de l’énorme rafale de décibels que nous prenons en plus de notre assiette. La grosse enceinte posée-là ne se taira qu’à partir de 21h. Il ne manque pas de bruit mais de jeu. Il n’y a rien, pas même la bonne vielle pêche aux canards en plastique, et je suis à une kermesse !



Nous entamons avec les trois filles une visite plus approfondie de l'île qui se montre sous son jour romantique. J’avais vraiment besoin de sortir de ce brouhaha. Je rêve de la présence d’être aimé quoique la compagnie de Pimprenelle, Delphine et Nday Marie soit très agréable.



Nous jouons comme des enfants dans une petite cour où se trouvent des balançoires. La balançoire à bascule, dite soleil, nous amuse beaucoup. Tout le monde ne s’y risque pas et il est vrai qu’elle nous apporte quelques sensations. Je filme un touriste africain en larme parce que ses amis le poussent trop et qu’il est effrayé. La journée se finira par un bain de nuit dans la mer, très agréable pour un 6 novembre. La rentrée en bateau est bousculée : nous devons faire jouer nos relations pour passer tant le bateau est plein. Des deux bateaux qui font la traversée il n’y en a plus qu’un en état. Des deux moteurs qui font avancer le bateau, un seul fonctionne. Cela fait deux mois que ce petit moteur convoie des milliers de voyageurs et les réparations n’avancent pas. C’est aussi cela le Sénégal.





Arrivée au port, pour la première fois j’éprouve cette sensation de rentrée à la maison. De fait je n’avais pas encore quitté le CHOM aussi longtemps. Heureux de mon week-end, je suis aussi content de retrouver le calme de l’hôpital, le ronronnement de mon climatiseur et le travail qui m’attend.

Attention : dans cet article comme dans les précédents, de nombreuses photos en supplément plus bas.


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