1- Wadi Musa وادي موسى‎, Jordanie (Confinement - Première Partie: La Capture)


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Middle East » Jordan » South » Petra
March 24th 2020
Published: March 25th 2020
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19 mars (Première Partie)

(Au Capsule Hostel, Wadi Musa)



10h00Am.

J'apparaît dans l'aire commune de l'auberge et m'installe à un comptoir désordonné avec mon sac de vivres.

L'acolyte dors toujours sur l'un des divans, le bras sortant de son épaisse couverture, étiré presqu'à attraper déjà sa première clope matinale.

L'humidité est lourdement nicotinée dans la sombre pièce.

En silence, je me prépare des pitas à la confiture d'abricots en tentant de dissoudre la poudre d'un café instantané dans de l'eau tiédit au micro-ondes.



Le tintement de ma cuiller dans ma tasse rompra le silence de l'auberge et fera se retourner l'acolyte momifié sur son divan.

Par contre, la délicate secousse de ma cuiller ne sera pas suffisante pour faire éclore l'hôte encore en jeans dans son cocon.

Plutôt noctambules en ces temps d'isolement, Bel et son comparse passent habituellement leurs nuits à gamer en remplissant les cendriers.



Je prend ma première bouchée de déjeuner alors qu'un grondement s'infiltre et se gonfle dans la cage d'escalier de l'auberge: des pas cadencés de regroupement militaire, cloc-cloc-cloc, et des chuintements étouffés.

Ce brouhaha sera suffisant cette fois pour faire renaître l'acolyte endormi et le remettre au garde-à-vous.



Cinq personnes entrent dans l'aire commune avec assurance: deux cravates et trois silhouettes invisibles sous des habits sous-vides et plastifiés.

Tous sont masqués, dévoilant que des paires de billes noirs et analytiques, tournant la tête de droite à gauche et de gauche à droite comme des robots scannant la pièce précédemment muette et éteinte de l'auberge.

L'une des cravates détecte ma présence au comptoir alors que, statufié, j'étais sur le point de prendre ma première gorgée de boisson caféinée.

Un ''Hello'' se filtre du masque de la cravate en chef, suivit d'un ''Where you're from?'' scandé.

''From Canada'' que je lui répond, la tasse aux bords des lèvres.

''Welcome Jordan'' me répondit-il en relevant ses sourcils, laissant deviner un lever de sourire équivoque sous son camouflage.



Les trois cosmonautes, bonbonnes accrochées derrière eux comme des roquettes, se mettent alors à longer les murs, aspergeant l'auberge d'un semblant d'insecticide javellisé.

Toujours immobile, café à la main, j'observe la scène alors que lentement, je me déplie le coude et couvre mon breuvage tiède de ma paume tandis que les astronautes désinfectent l'espace autour de moi.



Les cravates discutent fermement avec l'acolyte alors que ce dernier s'empresse aussitôt à tout ramasser les restants de sa nuit blanche.

Il empoignera ensuite une moppe et se mettra à frotter nerveusement les lieux en oubliant même de réactiver la roue de sa dépendance en ne s'allumant pas son habituelle cigarette réveille-matin.

Je saurai plus tard que cette visite surprise provenait du Ministère de la Santé Publique.

Je saurai plus tard aussi que nos hôtes auraient dû déclarer aux autorités toute présence de voyageurs étrangers à leur auberge.



L'inhabituelle apparition de la matinée avait de quoi rassurer peut-être,

ou inquiéter.

Quoiqu'il en soit, le gouvernement jordanien semble prendre très au sérieux cette histoire de Corona Virus.





Le soleil timide de ce matin prend enfin un peu plus de vigueur en bombant le torse, écartant les filets nuageux qui semblaient au départ vouloir s'acharner sur la journée.

Eugène le russe et moi-même décidons d'aller se dégourdir un peu en allant marcher dans Wadi Musa devenu presqu'une ville-fantôme.



D'imposantes quantités de caisses d'eau s'empilent en muret devant le magasin général.

La boulangerie et le dernier restaurant à falafels continuent toujours de fournir à la demande, demande qui bientôt disparaîtra presque totalement.

Incroyable comment la ville s'est vidée depuis quelques jours: je suis tout de même qu'à quelques centaines de mètres de l'une des sept merveilles du monde.



Le long de la rue accédant au site de Petra, les grands hôtels, restaurants et boutiques à souvenirs ont fermés leurs portes.

Les commerçants se sont dissipés à travers la campagne, loin du cœur touristique de la Jordanie.

Un chien amaigrit nous suit, secouant énergiquement sa queue en retenant difficilement son excitation d'enfin voir des passants.



Devant l'entrée de Petra, un agent de sécurité en moto monte la garde, seul dans cet impossible absence de touriste (Petra reçoit habituellement plus d'un million de visiteurs par année).

''What you do?'' nous demande-t-il, surpris.

''Just a little walk. We come to see when Petra will open'' qu'on lui répond poliment, conscient que rien ne nous empêche alors de prendre un peu d'air en arpentant les coites rues de Wadi Musa.

''Petra close. Wait here'' qu'il nous ordonne donc, nous pointant un banc ennuyé, juste là sous l'olivier.



Un coup de téléphone plus tard, voilà qu'au motocycliste se joint la cavalerie.

Quatre policiers masqués apparaissent donc, balaises dans leurs uniformes ajustés.

''Passport please. We will help you'' que nous pousse le plus imposant des gorilles, d'une voix monocorde et filtrée par son masque antibactérien.

Vérification de routine: on se convainc que tout est normal.

Nous avons de toute façon rien à se reprocher.



Jamais je ne me serais douté de la suite surréelle des événements à venir,

jamais je ne me serais douté non plus qu'au moment où le malamute empoignera mon passeport,

je n'en reverrai plus la forme ni la couleur avant plusieurs jours

voire plusieurs semaines.



Etienne X

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