Suwałki (Suwalszczyna), Poland (Quand la Fin du Monde est un Pierogi)


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July 19th 2017
Published: July 20th 2017
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18 juillet



À la gare de Bialystok, je jongle comme je peux pour me procurer un billet de train pour Suwalki.

"Hello. Speak English?"

"No"

"Tak. C'est pas grave. Ticket Suwalki. Tak?"

"Suwałki?"

"Tak. Suwalki."

"Suwałki?"

"Tak"

....



Me voilà donc qui me retrouve avec le ticket espéré, celui qui me mènera à Suwałki.



Suwałki, la Fin du Monde.

"Suwałki? It's the end of the world Suwałki!" que m'avait dit, sans réelles émotions, une des rares serveuses qui avait osé me dire quelques mots en anglais.



C'est que, plus creux que Bialystok, il y a Suwałki, tout là haut, à la frontière avec la Lituanie.

Pour beaucoup de Polonais, la ville frontalière évoque l'exotisme, voire la dernière gare de train avant de tomber en bas de la planète.

Il faut dire que les liens d'amitié Pologne-Lituanie se sont quelques peu effrités depuis la deuxième guerre mondiale.



Ainsi donc, je prend place dans le train en direction de " là où la terre s'arrête".

...



Sous le ciel nuageux, des plaines et des champs de blé carrellent le décor à l'extérieur.

Des cigognes ici et là labourent la terre déjà retournée à la recherche de brindilles pour leurs imposants nids perchés dans le haut des poteaux électriques.

Mâchouillant paisiblement dans le coin des clôtures, des troupeaux de vaches laitières regardent au loin, ignorant totalement notre train surlignant leur campagne.

Quelques boisés se gonflent d'abord entre les damiers des terres arables.

Et puis bientôt, la forêt s'hérisse gravement et prend le dessus sur le paysage.



Par les fenêtres de mon wagon, des armées de bouleaux et de pins aux corps émondés viennent nous arracher l'horizon.

Les épines des conifères, malgré qu'elles soient absentes dans le bas des arbres, se gonflent en couvre-chefs à leur cime, ce qui donnent aux forêts une allure de chapiteaux sans fin pour les cerfs et les sangliers.



Le train ralentit parfois et se pause à des gares perdues au milieu des bois, là où des hommes d'apparence bovine mâchouillent leur cigarette en se secouant la fatigue d'un bout de drapeau orangé.

Parfois, aucune demeure n'est visible des quais où l'on s'arrête.

Certaines des gares semblent bizarrement avoir pousser là sans raison, comme des champignons sortis par surprise de l'humidité d'un sous-bois.



Aussi, des scieries et des cours à scrap parfois s'étendent là où les forêts s'arrêtent.

Bon. Pas surprenant de voir ici des maisons en bois donc.

Et c'est ce qui fait de la région un endroit unique aussi.

...



J'arrive à la station finale, tout au bout du chemin de fer polonais: Suwałki.

J'ai d'abord l'impression d'être au milieu de rien en posant les pieds ici... malgré les 70 000 habitants qui s'y cachent quelque part.



À partir de la gare, un taxi me dépose au Next Hostel.

Le chauffeur m'a jasé une partie de la course en polonais.

Et moi, éperdu, je souriais.

"No polish. No polish" que je lui répétais sans cesse

inutilement.



Tout comme le taxi, la réception de l'hostel n'arrive pas même à cligner des yeux en anglais.

Rien de rien.

"No polish. No polish" que je relance encore.

Me voilà donc qui ressort le crayon et le calepin pour me faire comprendre:

Le bonhomme là, c'est moi.

Et pis ça, c'est un lit.

Et pis ça, la flèche, c'est moi qui s'en va dans le lit.





19 juillet



L'auberge que j'ai déniché n'est ouverte que depuis 10 jours paraît-il.

L'homme qui peinturait rouge la devanture à mon arrivé m'en donnait certainement un indice.

Hier soir, seul dans mon dortoir émanant une odeur de colle à tapis et d'armoires neuves prêts-à-monter, j'ai ( première fois que ça m'arrive en voyage) littéralement déballer mes couvertures (!)

Mon drap contour sortait tout juste du magasin de literie, et ma douillette pouffie portait encore les plissures de l'emballage.

Je peux dire maintenant qu'en Pologne, j'ai dormi dans une chambre démo de chez IKEA.

...



Quoiqu'à prime abord, Suwałki n'a pas les allures de fin du monde que j'avais en tête, il demeure que la ville ici a quelque chose d'étrange que je ne saurais nommer.

Comme à Bialystok, les HLM communistes couleur pastel longent ici aussi les rues.

Il y a un parc central où les enfants s'amusent dans les jeux d'eau,

et puis un lac au cœur de la ville aussi où pataugent une poignée de canards insouciants.



On entend rire les enfants polonais ici, mais les adultes eux ne parlent presque pas.

Quand ils osent offrir quelques mots, ils le font d'une neutralité déconcertante, ventriloques, en ouvrant presque pas la bouche.



Il y a un silence presqu'angoissant à l'épicerie.

20 polonais s'achètent de la saucisse au comptoir des charcuteries.

Visages en cire. Sans expression. Pas un mot se dit.

Un enfant lance un rire dans les airs.

Il n'y a pas d'écho.

La vie retombe alors rapidement au statu quo.



"End of the world" que la serveuse à Bialystok disait.

Ouais, la fin du monde.

C'est peut-être de ça qu'elle parlait finalement.

...



Le grand soleil finit par se calmer entre les nuages mousseux de l'été du bout de la terre.

J'entre au hasard dans un restaurant, sur une rue passante de Suwałki.

La ville ici n'est pas particulièrement touristique.

J'ai l'impression d'être à un gros Magog en fait.



Je pose mon derrière de voyageur à une table de bois vernis, devant un écran plasma où chante Jay-Z pour combler les silences.

Je me pointe des pierogies (dumpling) épinard-féta dans le menu.

Mon assiette arrive: ce sont des pierogies bacon-patate.



C'est en coupant l'un d'eux, en plein milieu, comme à la dérive des continents

que l'idée m'est venu: et si je mettais les pieds de l'autre côté du bout du monde?

Et si j'allais faire un tour en Lituanie?



Etienne X



Note à Moi-Même:

Les très vieux monsieur aiment parler de la guerre en polonais.


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