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Published: January 16th 2009
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Alors que j'arrive sur les derniers mouvements durs de « Asia's shadow play » 8a+, je perçois très bizarrement les « come on » et les cliquetis de l'appareil du photographe coréen, pendu au relais d'à côté. J'ai l'impression de l'entendre avec un autre cerveau, lointain. Le son arrive étouffé en bas à droite de mon cerveau. Je pense que je grimpe des voies dures (pour moi!) pour atteindre cette sensation étrange, sorte de méditation violente. Le cerveau s'arrête et le corps semble prendre les commandes, il fait son devoir, il connaît la voie.
Ça fait déjà quatre ou cinq mouvements que le combat fait rage, que mon corps m'envoie des signaux de combien le combat est dur, de son inconfort, de la douleur. Mais je suis en train de mener un combat, j'en accepte l'inconfort.
J'arrive sur la dernière micro-réglette de la voie, elle fait un tiers de phalange, ce n'est pas large dans un dévers à 35°! Inconsciemment, je commande a' mon bras droit de se fermer plus encore et a' mes abdos de charger le petit pied gauche. Mon corps prend le temps d'ajuster les doigts sur la prise, le pouce par dessus la première phalange de l'index,
le picot mordant la pulpe du doigt. Je ramène sur l'intermédiaire main droite bi-doigt arquée une demi-phalange. Je monte mon pied droit. Je suis près à engager le denier mouvement dur de la voie, où je suis tombé près de quatre fois les jours derniers. Je suis un guerrier en train de mener un combat, j'accepte la peur de l'échec et du vol, en étant sûr de réussir. La présence du photographe me rappelle que je ne suis pas seul, qu'une douzaine de personnes me regardent en bas. J'envoie le mouvement dynamique. Et ça passe. Je saisie la grosse réglette une phalange main droite. Je suis à un mouvement facile du stalactite sommital. Le relais pendouille derrière moi, à cause du dévers. Je ne pensais pas pouvoir échouer là. Et pourtant, à ce moment mon corps m'envoie des signaux terrifiants : ma main droite a subi une « extinction de force »: je n'arrive plus à serrer la grosse réglette. Je suis un guerrier, je ne me rends pas sans combattre, j'accepte la peur de l'échec, je bouge encore mes pieds, me mets en place pour le dernier mouvement. Au moment où je lâche la main gauche, la main droite
s'ouvre aussi! Dans un grand cri, je pars pour un vol monstrueux, peut-être 15 mètres. Pour rendre l'enchaînement potentiellement possible, je dois sauter le dernier mousquetonnage et j'ai du allonger l'avant dernière dégaine. En plus , j'ai mis un mousqueton à roulette pour éviter de fracasser la gaine de ma corde. Résultat: les 25 kilos de différence entre Florence avec moi la font remonter de près de trois mètres. C'est fini, j'ai échoué encore une fois, au septième jour de travail. Mes amis sont déçus pour moi « you climbed it so well, we were sure you were gonna do it! », Florence a les jambes en coton. Curieusement, alors que jusqu'à présent j'étais dans un état de tension nerveuse extrême, ce combat parfait m'a relaché, je me sens apaisé, je souris. Le combat n'est pas fini: il me reste un jour de repos et un jour d'essai, avant de partir pour 15 jours en Malaisie.
L'après-midi, je vais grimper des voies faciles avec Florence, ça me fait du bien de grimper autre chose. Beaucoup de gens pensent que je suis malade. Je fais un demi-tour du monde pour venir m'obséder sur 20 mètres de rocher et quatre micro-réglettes, alors
que je suis entouré par des centaines de voies magnifiques. Mais je sais maintenant pourquoi je grimpe : j'ai besoin d'apprendre et de grandir et j'ai plus encore besoin de dépasser mes limites physiques et mentales pour connaître l'état extatique d'avoir été libéré de moi-même. Les bouddhistes y arrivent par la méditation. J'utilise l'escalade et l'effort physique. 8 ans d'entraînement quasi quotidien m'ont appris à me connaître physiquement et mentalement, et je ne connais rien de plus puissant que de dépasser ses limites-là, l'adrénaline est une drogue dure!
Il est curieux que cette voie arrive à ce moment-là du voyage. Ce voyage n'a pas été souvent un prétexte à la performance et à là recherche de mes limites. Je me suis rendu compte que je n'allais pas pouvoir progresser encore sans sacrifices dont je n'ai pas envie. Je pensais donc diversifier mon escalade : grandes-voies, peut-être ski de rando, raids en montagne, peut-être commencer à m'occuper un peu des autres aussi... et puis je me retrouve là, loin de chez moi, à avoir accepter le combat et l'incertitude et à en apprécier le goût...alors, est-ce que je peux progresser encore, est-ce que je peux encore me dépasser, et surtout, est-ce
qu'hier j'ai réussi à me dépasser malgré l'échec?
Sinon quoi? A part ces considérations vertigineusement nombrilistes?
Eh bien nous sommes, disons 2 et demi à essayer la voie. Au début je l'ai essayée avec ... Einstein! Vrai de vrai, il est norvégien et ces parents doivent être des gens intéressants pour l'avoir nommé de la sorte. Il compte que pour ½ parce qu'il a fait les deux premières séances avec moi, laissé ces paires...et n'est plus reparu. L'autre est « Ania » une jeune et fort mignonne compétitrice Russe, là avec son entraîneur. C'est marrant, on dirait que nous ne faisons pas du tout la même voie. Elle grimpe à deux à l'heure en prenant de la magnésie à toutes les prises, quand je grimpe comme un avion pour essayer d'être encore frais en haut.
Quoi encore?
La falaise est fort occupée aujourd'hui. Nous étions 80 hominidés! 40 grimpeurs et 40 singes. Les salles bêtes sont venues squatter 3 voies entre 6b+ et 6c+. J'ai pu enfin voir de vraiment près les singes grimper et ... à part le fait qu'ils sont en solo, des fois avec un petiot sur le ventre, leur style est
franchement brouillon...et que j'ai les pieds qui glissent, et que j'utilise la queue du collègue au-dessus pour me hisser ( si il y en a un qui essaye ça avec moi il prend un coup, juré!), et que je me repose sur les spits. A propos des sales bêtes, ma maman vient gentilment de me faire noter que je suis né l'année du singe dans l'horoscope chinois.
Quoi d'autre encore?
Florence a fait de très gros progrès. Elle a fait son premier 6c à vue en posant les paires. Elle ne grimpe presque plus qu'en tête et à dû faire une bonne vingtaine de voies de la sorte depuis le début du séjour... ça devient difficile pour moi d'évaluer son niveau. Hier par exemple je pars lui poser les paires dans un 6b+ à l'air vicelard, me met un gros taquet à arquer des prises de pieds patinées, je passe en suant et soufflant, redescend en grommelant que c'est plus 7a que 6b+ et en lui disant qu'il vaut mieux qu'elle y aille en moulinette. Là-dessus elle enchaîne tranquillement la voie ...
Et enfin,
Un grand merci à Neal qui m'a pris en photos
dans mon projet.
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Elisabeth
non-member comment
Tu écris : "j'ai besoin d'apprendre et de grandir et j'ai plus encore besoin de dépasser mes limites physiques et mentales pour connaître l'état extatique d'avoir été libéré de moi-même." Géniale ta phylosophie Niko ! Quelle belle leçon de courage dans le dépassement à "ce que je suis", notre "moi"!