Chernobyl, Ukraine (Чорнобиль) (Un Arrière-Goût d'Apocalypse)


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Europe » Ukraine » Kiev » Chernobyl
January 7th 2020
Published: January 8th 2020
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5 janvier

J'ai eu du mal à dormir la nuit passée. Un mélange d'excitation et de nervosité me retenait de perdre conscience.

Voyez-vous, voilà 48 heures, je signais ma présence à un Tour inhabituel à une agence de Kiev: on m'a offert de passer une nuit à Chernobyl, question d'explorer les environs de la plus importante catastrophe nucléaire de l'humanité (ça se passait le 26 avril 1986).

L'impact radioactif (dit-on) équivalait alors de 30 à 40 X les bombes d'Hiroshima et de Nagasaki.



L'agence y envoie des voyageurs depuis plus de vingt ans.

Clairement, je ne serai pas le premier ni le dernier astronaute à visiter l'endroit.

Chernobyl aurait reçu 10 000 touristes en 2015 m'a-t-on dit…

puis 70 000 en 2018... et plus de 100 000 cette année (merci à la série d'HBO).





Devant l'hôtel Kozatskiy de l'Independance Square à Kiev, je me joint à une équipe de 3 British dans un module que conduit Igor, un ukrainien pince-sans-rire qui n'arrive plus à savoir le nombre de fois qu'il a guidé des touristes à Chernobyl.

Il nous a préparé comme réponse un ''I don't know, about 1000 times in 20 years maybe'' pour calmer nos inquiétudes certainement justifiées.

Pour l'instant, Igor ne semble pas avoir une peau de lézard sous sa veste ou devoir cacher une protubérance hors norme dans son dos comme un Quasimodo.



La mini-van quitte Kiev en visant le nord, vers la frontière biélorusse.

La capitale se rétrécit bien rapidement jusqu'à se tamiser en une suite de fermettes tristes et ankylosées supportant une ruralité comateuse et folklorique.



Après un deux heures de route rapiécée, un poste de contrôle s'aperçoit dans la grisaille, nous obligeant à prendre une pause là, au milieu d'une forêt incolore qui s'étire encore bien davantage de l'autre côté de la guérite.

''Show passport. We get into the Green Zone'' que nous annonce Igor qui, regard fuyant, semble sans cesse fixer un point mort au loin comme s'il lisait un texte invisible dans le décor.

Avant d'entrer sur le territoire, on nous glisse au cou un pendentif sensé calculer notre taux de radioactivité lors de notre expédition.

Le guide, lui, a aussi droit à un GPS qui lui collera à la peau jusqu'à notre retour ici-même, demain en fin d'après-midi.

Nos déplacements seront enregistrés et les anormalement contaminés devront se justifier.

Les règles sont strictes: il ne faut pas déconner avec la radioactivité.



À la ceinture d'Igor, un semblant d'émetteur-radio, presqu'un jouet, Tic des pulsations arythmiques, calculant ainsi le taux de radioactivité environnant.

Il nous explique: ''Normal is 0.3, Kiev is 0.17, Downtown New York is 0.4... now is 0.14''

On entre donc dans la Green Zone de Chernobyl sur cette surprenante information: le taux de radiation est ici moins élevé qu'à Kiev.

Mais sans aucun doute, il y aura de l'inquiétant débordement à prévoir dans les prochaines heures.



La route est rectiligne au travers de la forêt vide en direction de la ville de Chernobyl.

Visible dans les bois dénudé par l'hiver, des maisonnettes inhabitées s'additionnent déjà à en devenir un village étouffé par les bras squelettiques des arbres déracinés.

Les civiles ont fui la zone voilà déjà quelques années.

Il ne reste maintenant que des habitations hantées par les objets personnels laissés derrière: des photos de mariage en noir et blanc, du linge souillé, des meubles et des poupées déglinguées laissées parfois en sursaut sur le rebord des fenêtres lézardées.



On atteint Chernobyl, ville désertée où 70 pourcent de ses habitants ont quitté les lieux (population: 14 000 avant la catastrophe).

On y trouve aujourd'hui que quelques travailleurs sacrifiés, des vieux fous qui attendent la mort et des policiers amorphes et esseulés.

Branché sur un cardiogramme, un hôtel décrépit loge ces touristes qui ose passer la nuit dans la ville en couvre-feu.

Un magasin général poussiéreux aussi tente de se garder en vie en fournissant des cigarettes, de l'alcool fort et des remèdes inefficaces aux déprimés.

Sinon, les appartements cubiques et gris comme le ciel, partout se sont vidés.

On entend parfois un chien japper après une ombre dans la ville-fantôme.

Je ne sais pas ce qui le retient de partir de cette ville lui aussi, cette ville où il n'y a plus que des mauvais souvenirs et du silence de plomb.

Taux de radiation sur le jouet de Igor à ce moment-ci: 0.16



On passe un autre point de contrôle alors qu'on quitte la ville de Chernobyl et qu'on entre dans la Zone Orange (la Zone d'Exclusion).

La route, toujours bien droite, apparaît bientôt un peu plus effritée alors que nous nous approchons des silos et des cheminées éteintes de la centrale nucléaire irradiée.

Dans les champs, des avertissements fluorescents apparaissent: on annonce un danger de radioactivité.

Il n'y a personne en vue. Aucun autre véhicule.

Rien de rien, à part cette couverture hypertrophiée, ce monumental sarcophage couvrant le réacteur fragmenté #4, détonateur de la fin du monde.

Taux de radiation à la vue de la centrale: 0.6

Taux de radiation face au sarcophage: 1.1



Ce n'est qu'un 3 kilomètres de distance qui sépare la centrale nucléaire de Chernobyl au poste de garde nous ouvrant l'accès à l'effrayante ville de Prypiat (population: 49 500 avant la catastrophe).

Là, on présente nos passeports à une sentinelle nonchalante qui porte ni combinaison de cosmonaute, ni masque à gaz, et qui cligne des yeux à chaque déclic intermittent de l'émetteur-radio d'Igor. Tic….Tic..Tic

J'ai les mains dans les poches. Je ne sais plus trop où les mettre ces mains.

Deux chiots s'approchent de moi, remuant la queue et cherchant à se faire cajoler.

Le guide ne semble aucunement préoccupé, l'ignorant.

Ne serait-ce que moi qui s'inquièterais pour rien?



De son poste de contrôle, le gardien de Prypiat ouvre la guérite et, furtivement, nous infiltrons la ville-fantôme vidé par la catastrophe.



D'immense blocs appartements nous entourent alors.

Sur la place centrale, un centre d'achat semble avoir éclaté par une implosion.

Derrière, des auto-tamponneuses et une grande roue se fixent dans un inquiétant silence photographique.

Il n'y a pas un son, pas une seule odeur, pas un seul coup de vent.

Tout le décor semble figé dans le temps alors que j'ai l'impression de marcher dans une image.



Talonnant Igor, nous pénétrons dans des écoles, passant par des classes en désordre, urgemment abandonnées.

Des planchers ramollis par des cahiers de devoirs se mêlent aux éclats des vitres répandus dans les corridors.

Le crépitement du verre sous mes bottes s'immisce dans l'angoissant silence et fait tourner la tête des ombrages zombifiés dans les recoins.

Nos explorations se terrifient davantage alors qu'on passe par les gymnases, la piscine ou même l'infirmerie, là où des flasques de barbituriques, des pansements et des bourrelets de ouate jonchent le sol, pharmacie renversée à la sauvette d'une brusque épidémie.



Atteignant le toit d'un des nombreux blocs appartements, nous prenons finalement conscience de l'étendu de la ville-fantôme alors que, comme un nuage de cendre, une faible neige se mets à saupoudrer Prypiat.

Au loin, le sarcophage s'exhibe en vaisseau spatial autour des cheminées de la centrale nucléaire.

Taux de radiation à ce moment, sur le toit: un étonnant 0.8



On restera plusieurs heures à passer d'immeubles en immeubles, photographiant le tumulte des scènes de crime en s'empêchant de déplacer un quoi-que-ce-soit gorgé de contagion.



Le lugubre hôpital de Prypiat a certainement de quoi effrayer, avec ces civières, ces forceps et ces landaus vides dans des salles humides où s'écalent les murs comme des cloques et des brûlures.

Mais outre le décor à faire revivre les cadavres, il y a toujours cette latente radiation qui se colle à chacun de ces moments passés ici, ennemi invisible qu'on finit parfois par oublier tellement l'exploration est stupéfiante.

''Look here'' que nous pointe Igor, alors qu'un bout de guenille vert-de-gris pend sur le coin d'un secrétaire dans les urgences.

''This was for firemen'' qu'il nous précise alors que son détecteur de radiations s'énerve et grimpe à toute allure vers un inquiétant 50.7

Ce n'est plus de la frime.

J'ai alors reculé d'un pas et couvert ma bouche...

parce qu'Igor nous a dit que la norme était de 0.3, parce que l'hôpital est le lieu le plus irradié de tout Pripyat

et parce que ça fout la trouille la radiation.

''Don't go in the basement, qu'il ajouta presqu'à la blague, this is where they keep all the clothes of the firemen''





De retour à l'hôtel de Chernobyl, on me sert une choppe de porc sur un lit d'éraflures de choux et de carottes alors que je demeure pensif.

L'exploration de Prypiat fût marquante.

Cette visite laisse clairement un arrière-goût d'Apocalypse.





6 janvier



Aujourd'hui encore, on passe de la Green Zone à la Zone Orange pour d'abord aller voir une gigantesque structure de radars opéré sous le régime de l'URSS et qui se trouve aujourd'hui hors fonction (Duga Woodpecker) mais aussi pour retourner explorer Prypiat, parce que notre guide, Igor ne nous a pas tout dévoilé hier….





On arpente une fois de plus Prypiat Iorsqu'Igor nous fait un aveux étonnant: ''I have a little dark secret'' qu'il nous dit.

''I show you if you don't tell'' qu'il ajoute... alors qu'on approche une série de blocs appartement anonymes aux confins de la ville-fantôme.

(Notre guide a le sens du spectacle)

On se dirige vers l'arrière d'un des bâtiments alors qu'Igor semble compter le nombre d'entrées qui s'y trouvent pour certainement retrouver son secret possiblement caché dans les débris.

''Wait here'' qu'il nous dit alors qu'il s'engouffre dans l'un des logis du rez-de-chaussée.



On s'attend à tout à ce moment: ce sera un crâne humain? Une souris mutante? Le passport de Trotsky peut-être?



Puis voilà qu'Igor ressort rapidement des décombres en nous demandant de se rapprocher de lui.

Dans sa main se trouve un tout petit coffret à tabac, métallique et arrondi, pas plus grand qu'un médaillon d'honneur.

Il le dévisse tout doucement et en sors un minuscule sac plastic, celui dans lequel on cacherait peut-être un diamant.

J'imagine une pierre précieuse alors qu'une sombre pellicule pas plus grosse qu'un grain de sable se perd presque dans le sachet.

''It's a gift from a German scientist'' qu'il nous mentionne alors tout bas, effrayé peut-être par des micros cachés par la renaissance du KGB.



Igor approche son émetteur-radio de la particule.

Immédiatement, l'écran s'excite et le jouet se met à s'alarmer comme si on venait de pénétrer dans un bunker interdit.

La radioactivité du point noir cherche alors à faire éclater les calcules.

En quelques secondes, les chiffres se mettent à grimper à une vitesse vertigineuse, dépassant en éclair le 0.8 des bâtiments de Prypiat, puis le 1.1 de la centrale de Chernobyl, et le 50.7 du bout de tissus de l'hôpital de la mort… pour rejoindre un 100.0, puis un 200.0, un 500.0, un 900.0.... jusqu'à atteindre un taux impossible de 1389.0 sur l'écran paniqué de l'émetteur-radio.

La particule de graphite dans le sachet irradie comme un soleil.

...



Pripyat ne bouge toujours pas alors qu'on s'éloigne du bâtiment secret où Igor garde caché sa terrifiante poussière nucléaire.

L'alarme s'arrête sèchement et l'écran reprend son souffle alors que le taux de radioactivité retrouve d'un coup un soulageant niveau ''normal'' de 1.4.

Il n'y a toujours pas un son, ni une seule odeur sur le paysage.

On ne retrouve que les Tic-tic-tic distancés du jouet de Igor

comme une bombe à retardement.



Je me rappelle m'être énervé hier pour ce 1.1 alors qu'on faisait face au sarcophage du réacteur #4... alors que maintenant, un taux de 1.4 me calme.

Je pense à ce gardien à la guérite de la ville-fantôme, sans habit plastifié de chimiste, sans masque

et qui boit certainement son café très fort dans sa cabane présentement.

Après avoir vu une particule aussi radieusement destructrice, il ne doit clairement plus s'en faire avec cette douce radioactivé de 1.4 qui lui colore un peu les joues et qui lui réchauffe peut-être un peu le corps.

De tout de façon, n'est-ce pas ce que la vodka est sensé faire elle aussi?



Igor, les British et moi-même retournons maintenant hors des zones, assis dans la mini-van en direction de Kiev.

Il est alors plus ou moins 16h55 alors que nous passons les détecteurs de radiation au sortir de Chernobyl.

Sans surprendre notre guide, les lumières tournent rapidement au vert à notre passage.

Les policiers armés de longues perches feulant incessamment le bruit blanc d'un téléviseur UHF n'ont détectés aucune irrégularité sur notre véhicule.

J'aurais, dit-on, absorbé davantage de radiations lors de mon vol Canada-Ukraine que de tout mon séjour à Chernobyl.





De retour sur Kiev, j'embarque sans attendre dans un train de nuit qui doit me mener à L'viv, dans l'ouest du Pays, presqu'à la frontière polonaise.

Couché dans ma capsule, le wagon se mets à me bercer dans la nuit.

Aucune lumière fluorescente rayonne sous mes bottes.

J'ai par contre bien hâte de prendre quelques douches et de lessiver mes habits.

Dans le train, je me suis lavé trois fois les mains et le visage.

L'expérience Chernobyl m'aura laissé probablement plus soucieux que je l'aurais cru.



Etienne X



Notes à Moi-Même:

Règles à suivre dans la Zone Orange de Chernobyl :

1- Se couvrir le corps

2- Ne rien manger, ni rien boire

3- Ne pas fumer

4- Ne pas s'assoir, ne rien déposer par terre

5- Ne rien toucher

6- Toujours suivre le guide, toujours suivre la route

7- Ne rien ramener des sites

8- Sortir de la zone avant 17h00

9- Ne JAMAIS essayer d'entrer dans la Red Zone

* L'endroit le plus dangereux à Chernobyl est la Red Forest, ce corridor boisé, là où le vent a soufflé après l'explosion du réacteur #4 de la centrale nucléaire.


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