Sur ma roche


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South America
January 7th 2008
Published: January 7th 2008
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Au retour d'une petite marche qui succédait à un souper raté (pas toujours facile de cuisiner dans un autre contexte!), je me suis arrêté sur le bord de l’océan, et assis sur une grosse roche. Et je contemplai l’horizon…

Le soir, lorsque depuis longtemps déjà s’est couché le soleil et qu’est tombée la nuit, la mer m’apparaît sous un autre visage. Il y a bien le bruit incessant des vagues qui viennent et reviennent échoir sur la plage; mais sous l’obscurité de la nuit, l’infini qui se dresse devant moi recèle un aspect de mystère… Le néant devant moi, jusqu’à la ligne d’horizon, d’où partent les cieux, qui eux aussi s’étendent à l’infini…

Et je me suis mis à penser. Je suis assis, fixant l’infini dans la pénombre… et je prend le temps de tout arrêter l’instant d’une seconde, avec juste en tête : « Je suis là, ici, 6 janvier 2008, 21h15, Huanchaco Pérou, bord de l’océan, bord de l’infini… »

La planète m’est alors apparue immense, à imaginer toute cette eau devant moi. En réalisant que l’océan prenait fin « en dessous » de moi - le Pacifique est si grand, à notre latitude, il fait 8 fuseaux horaires de large, soit le tiers de la planète! -, je me suis alors mis à regarder tout cet espace au-dessus des eaux, jusqu’à ce que mon regard se pose précisément sur le ciel. Combien immense est cette sphère sur laquelle nous vivons, et l’atmosphère qui nous entoure.

Je regardais le ciel, en me disant que celui-ci était « un autre ciel » que celui que d’autres pouvaient au même moment contempler depuis le Québec. Pas meilleur, ni pire, pas plus beau ou laid, simplement « égal », et différent… Mon regard se perdait ainsi vers l’infini de l’univers. « Lorsque je serai de retour au Québec, et que je regarderai à nouveau le ciel, mon regard pointera dans une autre direction du même univers sans fin… » Soudain, la planète m’est apparue bien petite… et moi, encore plus!

***

« Cela fait maintenant six mois », pensais-je. Je repensai alors à l’expression de mes parents, il y a un an, lorsque je leur appris ce voyage à venir. Je me rappelle ce léger état de stupéfaction : « Mais sept mois… c’est long », lâcha simplement ma mère, à court de mots.

Inévitablement, mes pensées se sont alors transportées sur mes six derniers mois. En un flash, j’eus une vision éclair sur Potosi - nous montons la rue principale avec tous nos bagages, fraîchement sortis du bus; il pleut, le Lonely Planet à la main est tout trempe; « Merde, on va où là? ». Puis la micro seconde d’après, je me vois debout du haut d’une grande butte dans la Quebrada del Diablo, San Pedro de Atacama, Chili - les bras dans les airs, Mel est en bas avec nos vélos, je lui dis : «Laisse faire les vélos, viens, monte, la vue vaut drôlement la peine ». Puis l’instant d’après, mes pensées m’amènent à Tingo, Pérou - on marche vers les ruines de Kuelap, c’est long, ça fait déjà trois heures, Mel ne feel pas bien, on a rien avalé en se levant à l’aube et aucune provisions sur nous durant l’ascension : « C’est brillant, on aurait dû amener de la bouffe, on a fait la même affaire en juillet en allant au Machu Picchu, pas de bouffe, rien ».

***

Des milliers d’images, d’odeurs, de souvenirs, d’anecdotes, d’échanges, de rencontres, de réflexions tapissent maintenant le grand mur sombre que forment l’océan et le ciel sans étoile. Au loin à gauche, le grand quai me rappelle le frais souvenir de notre marche, minuit et demi, le 1er janvier dernier...

Puis je porte mon regard sur la côte, et vois l’animation de la civilisation. Des touristes étrangers, qui sont là, heureux, et qui repartiront tôt ou tard dans leur pays… Des Péruviens, dont la grande majorité ne verront jamais grand-chose d’autre que Huanchaco - p’être bien les environs jusqu’à Lima… Non pas par manque d’envie qu’ils resteront toujours et toujours à Huanchaco - tous ont tellement l’air de nous envier, nous les voyageurs. Mais simplement, pour la majorité d’entre eux, les Péruviens sont esclaves d’une routine de survie. Ils ne manquent pas nécessairement de rien, ce n’est pas la survie d’un homme sans rien dans le fin fond du désert… mais ils travaillent sans cesse, du 10-12-14 heures par jour, 6-7 jours sur 7, et n’ont pas nécessairement de quoi économiser tant que cela. Pour ce qui est de voyager, trop souvent, ils doivent oublier cela. Ils ne peuvent simplement pas.

« Esclave de la routine »… Je me mets maintenant à réfléchir au Québec. Dans un gros mois, j’y serai à nouveau. Et c’est chouette, j’y suis prêt, j’aurai hâte. « Quelle chance j’ai eu depuis les dernières années de tous ces voyages peu banals à mes yeux… Le Mali, le Pérou, la Bolivie, la République Dominicaine (sans compter tous mes voyages familiaux dans ma jeunesse), puis depuis six mois, ce voyage en Amérique du Sud… Ce n’est pas donné à tous…»

« Quelle chance »… j'avais d'abord pensé. Mais soudain, je ne savais pas trop quoi penser face à ce terme. « S’agit-il en fait de chance? », me demandais-je. Je crois qu’à la base, tout part de l’intérêt, et du fait que nous sommes choyés en naissant dans un pays développé. Je n’ai pas nécessairement un bon salaire au Québec, et malgré tout, cela ne m’empêche pas de voyager. J’ai alors pensé à un travailleur québécois - anonyme, personne d’entre vous, une personne imaginaire sans plus - qui avait gagné, je ne sais pas, disons 30 000$ l’année dernière… Cette personne avait travaillé 49 semaines sur 52, 40 heures par semaine, et s’est achetée une voiture neuve, 21 999,99$. Avec les dépenses quotidiennes de cette personne, elle s’est retrouvée à la fin de l’année avec un déficit de 5000$. Bah, ainsi est la vie, cette personne se reprendra l’année suivante…

5000$... C’est un peu le genre de déficit que je connaîtrai suite à ce voyage, c’est environ cela que ça me coûte. Sur ma grosse roche, sans juger qui que ce soit ni quoi que ce soit, en y allant simplement avec des réflexions et de petites comparaisons inévitables, j’ai revu en mille autres flashs des trucs que Mélanie et moi avons vécu durant ce voyage… « Cela vaut-il plus ou moins qu’une voiture neuve, ou qu’importe quoi d’autre? ». Je ne voulu répondre à cette question, car tous, nous avons des besoins et intérêts qui nous sont propres, et qui sont tous également valables. Mais simplement, je me dis : «Un tel voyage, c’est possible, et ce n’est pas fou ». Ce n’est pas fou de prendre un « break » d’un quotidien souvent éreintant au Québec, avec le boulot, le transport et sa circulation parfois embouteillée, avec ces courses à l’épicerie, à la garderie pour certains, avec les réunions par ici par là, les implications sociales… ouf! « Ce n’est pas fou de s’accorder le temps, l’opportunité de vivre autre chose, d’explorer un peu cette immense-petite planète, de rencontrer et d’apprendre sur tous et sur soi … Ce n'est pas fou de parfois choisir l'humain au matériel».

***

Ma vision de la vie et du monde changent avec mes voyages. À voir autre chose, je vois différemment mes « problèmes » au Québec, je relativise… « Il faut bien gagner des sous pour vivre, mais cela oblige-t-il à travailler 5 jours sur 7 à raison de 8 heures sur 24, 49 semaines par année, pendant X années, sans arrêt?... » Je ne portais aucun jugement avec ce questionnement, je ne sanctionnais rien en particulier. Je ne faisais que réfléchir, sans prétention, sans malice, librement. Je ne faisais que réaliser pleinement combien j’étais bien en ce moment précis, intime. J'étais simplement seul, assis sur ma roche, les yeux fixés vers le néant…



Benoît


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9th January 2008

Poète en plus?
J'attendais et J'espérais une réflexion de ce genre depuis le début. Votre voyage vous aura fait réaliser en quelques mois ce que plusieurs ne réalisent jamais dans toute une vie. Quel beau voyage vous aurez fait.
9th January 2008

Retenue...
Héhé, toutes réflexions ne sont pas bonnes à publier!!!... J'ai une fois hésité et avais commencé à écrire un truc... ce devait être en septembre... mais j'ai changé d'idée. Cependant, nous avons chacun un "journal personnel" et écrivons à l'occasion. À suivre?... B.P.
10th January 2008

C'est une belle réflexion que tu fais là Benoît. En fait, comme tu l'as bien compris, tu relativise la vie ''moderne'' que nous nous sommes construit ici. Elle n'est vraiment pas le meilleur de ce que l'humain a créer. Même si je n'ai pas le goût du voyage, je n'ai jamais eu autant de vacances qu'en 2007 et en ce moment. Je ne souhaite pas non plus perdre ma vie à travailler alors le prochain emploi sera du 4 jours semaine. Ceux qui, contrairement à toi, ne remette pas le système en cause ne peuvent saisir les aspects de la vie qui leur sont reniés. Je trouve que l'on se fait avaler dans les sociétés post-industrielles. Je suis heureux de te voir si clairvoyant et philosophe. Prépare-toi une vie agréable à ton retour. Amitié Marc
10th January 2008

Merci Marc...
Merci Marc de ces quelques lignes, que je trouve un beau complément à mes dires... B.P.
10th January 2008

Bonjour Benoit, Je suis vraiment contente qu'après cette expérience géniale tu sois motivé de revenir au Québec malgré le rythme et les exigences... Le monde est ce que l'on veut bien en faire... J'ai hâte de te voir!
12th January 2008

Sur ma roche!
Moi je pense que la réflexion de l'homme face à lui-même doit se faire un jour... et je pense aussi que lorsque celui-ci a l'opportunité de faire des choix, il est indéniable que ses choix le rendent heureux... autrement il a failli...

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