Patagonie: toujours plus au Sud (part 3)


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South America » Chile » Magallanes » Punta Arenas
February 1st 2023
Published: February 2nd 2023
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Le voyage tire sur sa dernière partie : l'extrême sud du continent, avec notamment les Torres del Paine, la Terre de Feu et le détroit de Magellan, à quelques encablures seulement du pôle sud. Difficile pour moi de rester insensible à l'appel de ces noms mythiques entendus depuis le collège.

Mais il nous faut avant tout regagner le Chili et retraverser une dernière fois la frontière. 300km à peine de route: ca ne devrait pas être une journée trop compliquée.

Alors qu'Alexis s'efforce tant bien que mal de rattraper ses bêtises à coups de bouquets de roses, on prend la route pour pouvoir traverser la frontière et commencer l'ascension des Torres del Paine dès le lendemain. La Patagonie nous avait habitué à des routes difficiles, mais là la piste est vraiment détestable: trous, grosses pierres, bosses... même le mode sable du Santa Fe est à la peine.
Et ce qui devait fatalement arriver arriva: Nathan arrête la voiture, "quelqu'un peut regarder le pneu arrière ?", et ... c'est crevé.

En plein désert.

Au milieu de nulle part.

Qu'à cela ne tienne, on n'a pas vraiment beaucoup d'options.
Alors que les rafales puissantes de vent font tourbillonner la poussière un peu partout autour de nous, on sort l'ensemble des sacs du coffre pour dénicher la roue de secours, qui se révèle n'être qu'une vulgaire galette. Son épaisseur fait presque la moitié d'une roue normale, elle n'est taillée que pour 80km (il nous en reste quasiment le double jusqu'à notre destination), et surtout elle n'est faite que pour la route goudronnée (alors que pour rappel on est sur une piste de l'enfer).

Mais c'est des problèmes pour plus tard, il faut d'abord changer la roue. Et à part Franck personne n'a jamais fait ça. Excellent. Alors qu'il monte la voiture à l'aide du cric, Alexis et moi on passe sous la voiture pour détacher notre galette. Dieu merci, si on n'est pas mécanos on est au moins outillés et on arrive à sortir la première roue en piteux état. Et à mettre à la place notre galette qui fait également peine à voir.

Au bout d'une trentaine de minutes passées à changer la roue, on ne croise qu'une seule âme : un camion immense tout droit sorti d'Avatar conduit par des Allemands deter. Ils nous apprennent qu'il nous reste encore une petite trentaine de kilomètres de piste dégueulasse avant de retrouver une route goudronnée.

Super. On a déjà crevé alors qu'on était à 30km/h, si on veut pas éclater notre frêle galette il va falloir réduire la vitesse encore plus.
Nathan reprend le volant et redouble de prudence. Navigant à vue entre 7 et 15km/h, il fait des zigzags pour éviter les trous et les grosses pierres. Autant vous dire qu'à cette vitesse là, on va limite plus vite en courant. Une heure passe à ce rythme infernal, on a fait moins de 10km...
Alors que la voiture est déjà blindée avec tous les sacs, il a fallu encore plus empiéter sur notre espace vital en casant la roue crevée. Autant vous dire qu'après 2h de ce rythme en plein cagnard on est légèrement sur les nerfs. Alors que le soleil commence à baisser lentement mais sûrement, les lamas et les autruches sauvages regardent passer avec curiosité ce 4x4 semblant rouler avec le frein à main. Au bout de 3h laborieuses, on finit enfin pour rejoindre la route asphaltée: on a parcouru 25km...

Passer de 10km/h à 70km/h faut du bien à tous, mais alors que le crépuscule se profile, se dessine un nouveau problème : est-ce qu'on va arriver à temps à la frontière argentine ? Il nous reste une petite centaine de kilomètres, soit une heure trente environ à ce rythme, et il est 20h. Selon nos informations -limitées cependant- la frontière fermerait à 22h. C'est confirmé par une gendarme que nous rencontrons dans une ville minière aux allures soviétique quelques kilomètres avant la frontière. Notre plan initial de changer la roue avant la frontière tombe à l'eau, la priorité est maintenant de pouvoir passer la frontière pour pouvoir dormir dans le logement qu'on a réservé au Chili. Et pour arriver à temps, il va falloir bombarder, ce qui, en regardant notre frêle galette semble une terrible idée.

Au prix de nombreux zigzags visant à ménager notre roue, on finit par arriver haletants mais fiers au poste frontière à 21h38. On court vers le douanier qui nous regarde en levant un sourcil. "Désolé mais la frontière est fermée". Comment ça fermée, il est 21h38 bordel ? "Pour que les voitures puissent passer le contrôle chilien avant 22h, la frontière ferme à 21h30 coté argentin". On a beau négocier autant qu'on veut, il reste inflexible et nous souhaite une bonne soirée avant de mettre une chaine pour fermer litteralement la frontière et rentrer chez lui.

Clairement, on est dans la merde. Notre logement au Chili de ce soir est payé pour rien. Il nous faut trouver un logement quelque part ici, et il est maintenant 22h. On avait prévu de commencer notre rando du lendemain à 7h du matin pour pouvoir enchaîner avec toutes les activités (déjà payées) qu'on avait prévues aux Torres, ce qui est clairement compromis. Ah oui, et accessoirement on a aussi un pneu crevé et une galette destinée à 80km avec laquelle on en a fait 140.

C'est pas génial, mais c'est pas non plus la fin du monde. La journée a été longue et le groupe est pas mal abattu, à l'exception d'Alexis et moi. C'est clair que c'est la merde, mais ça fait des souvenirs, et on n'est pas non plus perdus dans le désert en pleine nuit. Certes, on est à Pripyiat ou les maisons sont éventrées et les aires de jeux pour enfants sinistrées, mais on peut se débrouiller. On finit par trouver un hôtel humide qui sert même encore des repas à cette heure et on repère un garagiste pour changer la roue le lendemain.



Le lendemain matin, le moral est remonté et on a notre plan de bataille. Nathan a réussi à décaler notre seconde excursion aux Torres sans frais. Levés de bonne heure, on fonce chez un garagiste à la dent unique qui regarde notre roue et y fait une petite manipulation. On ne sait pas trop quoi, mais il nous dit de la refaire checker une fois passée la frontière. On retrouve notre ami douanier de la veille, passons au Chili sans encombres et arrivons à Puerto Natales. Notre hôte supposé de la veille, don Canaille pour les intimes, nous emmène chez un second garagiste.
Dans l'espèce de cabane qui constitue son atelier, une gazinière allumée à fond fait office de chauffage et deux peaux d'animaux décorent les murs ("ils se sont approchés trop près de mes poules"). Il finit par nous réparer le pneu en nous disant qu'il ne faudra pas trop forcer, de privilégier l'asphalte à la piste, et que ca devrait nous tenir jusqu'à notre destination finale, Punta Arenas.

Il est déjà 13h, et on se met en quête d'un endroit où manger avant de rejoindre la rando aux Torres qu'on était censés faire dès 7h le matin.

Quelques courses au supermarché et à la boulangerie pour faire des sandwichs, un passage à la banque pour retirer du cash, on jette un coup d'oeil sur le site du parc pour voir à quelle heure il ferme : 17h. Sachant qu'il est 15h, qu'on doit chopper les sacs de couchage, se changer et préparer les sacs de randos, et qu'il y a deux heures de piste de route avant d'arriver au parc ça semble mal embarqué.
Le mec des sacs de couchage est pas hyper rassurant, et nous dit que c'est trop tard. On passe à l'office de tourisme, fermé. On passe à la compagnie de camping qui a une antenne en ville ouverte jusque 18h... déjà fermée. Il est 16h passées, et alors que le groupe se divise en ceux qui veulent tenter et ceux qui se disent que c'est mort car on risque d'arriver (si le pneu tient) encore 8 minutes apres la fermeture, on décide d'appeler le camping pour avoir plus d'infos. Au bout de 30mn, Alexis parvient à avoir san Thomas qui se révèle être notre ange gardien. Il nous dit qu'il peut prévenir l'entrée du parc, l'hôtel où on est censés garer la voiture, puis le camping où on est censés passer la nuit de notre arrivée tardive pour qu'ils nous laissent passer.

Ni une ni deux, on choppe les sacs de couchage, on refait nos sacs en pleine rue comme des punks à chiens, et 10mn plus tard nous voilà partis direction le parc. La magnifique route goudronnée est barrée au profit d'une piste a trous, bosses et cailloux.

Rebelote, mais on est vite calmés par la majesté qui se dégage du lieu.
Je pourrais vous parler de comment on a fini par arriver au parc, comment on a marché sous les rafales pendant 2h jusqu'au camping, comment la pluie de la nuit a douché mon projet de faire la balade de nuit pour voir le soleil se lever sous les tours, comment la croisière prévue le lendemain sur le glacier s'est révélée une immense carotte heureusement sauvée par Anais. Je pourrais vous dire tout ça mais ce que je choisis de garder c'est notre entrée dans le parc alors que le soleil commençait à décliner. Au diable la piste cahoteuse faisant bringuebaler la voiture dans tous les sens: de chaque côté où on regardait, on avait l'impression d'être dans un fond d'écran tellement tout était absolument magnifique. Les sommets enneigés chatouillés par les nuages, le soleil projetant ses rayons sur un lac turquoise où barbotaient des flamands roses, alors que la golden hour baignait la scène d'une lumière si particulière. Voilà ce que je retiendrai des Torres.

Après ces péripéties éreintantes le voyage touche déjà à sa fin. Notre dernière étape : Punta Arenas, ville de pêcheurs et d'explorateurs, où Fabian nous accueille. C'est un sacré personnage. Il a le cœur sur la main et nous propose d'emmener Alexis et moi chez l'opticien (après que j'ai mis un coup de genou dans ses lunettes pendant qu'on campait 😬). Il nous connait depuis 10 minutes, mais alors qu'on rentre dans sa voiture il annonce direct la couleur : "ma femme est comme ma voiture". Avec Franck et Alexis, on se regarde. "Elle est chaude". AH ! Alors qu'il lâche des pointes à 80 en ville en pianotant sur son téléphone, on commence alors à discuter. Il est cultivé et la discussion est intéressante, mais c'est vrai que dès qu'on commence à parler des femmes ca dérape très rapidement et très lourdement.

Situé tout au bout de l'Amérique du Sud, à quelques kilomètres du Pôle Sud, Punta Arenas sert de base à expéditions pour aller voir les pingouins et les baleines du détroit de Magellan. C'est clairement pas donné (je vous ai dit que les Chiliens savaient faire du business ?), mais je me dis que ça peut valoir le coup. Mel et Nathan choisissent pour l'option pingouins, pour moi ça sera les baleines.

Et franchement faut le vouloir, parce qu'entre le prix hyper excessif et le lever à 3h30 du mat pour aller les voir, ça pique. En me rendant à l'agence, je croise des gens sortis fumer une clope à l'extérieur des boites de nuit. Chose rare à cette latitude, il fait nuit noire. On nous colle dans un bus qui longe la côte pour aller au bateau. Alors que les trois-quarts du bus replongent dans le sommeil, il y en a quelques uns qui comme moi ne sont pas insensible au lever de soleil sur la terre de feu qui n'a jamais aussi bien porté son nom. Encore un moment unique, comme il y en a déjà tant eu dans ce voyage. On arrive sur le bateau et, même chose, l'heure matinale, le froid polaire, et la bise qui siffle poussent les gens à rester à l'intérieur. Quant à moi, seul sur le pont du bateau, perdu au milieu du Détroit de Magellan je vis ma meilleure vie. Les vagues sont noires, comme les ailes de 2 mètres des albatros les rasant à pleine vitesse. Alors que le soleil commence à dépasser l'horizon, les montagnes se distinguent et semblent vomir des cascades de nuages.
Alors qu'un arc en ciel immense scintille, le bateau ralentit. Depuis le pont j'entends le guide nous dire en montrant la presqu'île sur notre droite: "Ca y est, c'est ici que le continent s'arrête, vous êtes arrivés au point le plus au sud relié à la terre de l'Amérique". C'est peut-être idiot mais ça ne me laisse pas insensible.

Au bout d'une bonne heure, je commence à être gelé et je rentre avec les autres. Voyant que la cabine du capitan est ouverte je m'approche. Je ne suis pas le seul et il discute amicalement avec d'autres passagers. Aux enfants aux yeux ébahis, (et clairement à moi), il parle des arcs en ciel de lune et raconte des légendes locales. Sur son tableau de bord, j'aperçois différents instruments de navigation, bien différents de son prédécesseur ayant donné son nom au détroit : boussoles et sextants ont laissé la place aux sonars et ordinateurs.

Avec tout ça j'en aurai presque oublié les baleines ! On fait.une halte sur une île peuplée de manchots de Magellan. Vraiment minus, ils ne m'arrivent même pas au genou. Pas le temps de s'extasier, on entend un énorme soufflement sur notre gauche suivi d'un geyser. On se retourne brusquement pour voir disparaitre la queue noire d'une baleine à bosse dans un tourbillon d'écume.

Le guide nous explique qu'elle ne reparaîtra pas avant 5 minutes. Généralement elles montent en surface pour prendre quelques respirations, mais que quand on aperçoit leur queue, c'est qu'elles ont replongé au fond. S'ensuit un silence de mort, ponctués de regards frénétiques à 360 degrés. 5 minutes plus tard, un nouveau soufflement vient donner raison à notre guide: une nageoire dorsale émerge paresseusement de l'eau avant de replonger quelques secondes. Nouveau soufflement on aperçoit son dos couleur encre de plus près avant qu'elle ne replonge pour reparaître moins d'une minute plus tard. Cette fois ci, on voit une partie beaucoup plus grande de son corps, et sa queue : c'est la grande respiration et le plongeons vers le fond. Intérieurement, je me demande ce que j'ai pu faire pour mériter une telle félicité, et je garderai encore longtemps ce sentiment d'euphorie d'être si privilégié.



Mais même les bonnes choses ont une fin. C'est le retour à la terre ferme, à la réalité, et c'est déjà l'heure des aux revoirs.
A Nathan et Mel qui partent les premiers. Pas facile de se dire qu'on les reverra pas avant des années alors qu'ils vivent maintenant en Bolivie. Ca pique.
On a le temps de se faire un dernier repas avec Franck et Laura, et d'aller voir Avatar avec Alexis comme je le lui avais promis. Le voyage ave Franck et Laura aura vraiment été une belle surprise et c'est une rencontre que je n'oublierai pas avec deux personnes de qualité. De nouveaux rendez vous sont pris, et je suis à deux doigts de les inviter au mariage.
Et enfin avec le fratello, dans un mélange puissant d'émotion, de bonheur et d'amitié. Mashallah à lui pour son long voyage, je suis fier de ce qu'il accomplit.

A l'heure où je conclus cet article, je suis dans le train qui me ramène à Lille après plus de 35 heures de voyage. Le vent est parti, mais le froid lui est bien présent. L'air est humide. Et à 21h22 il fait nuit noire depuis plus de quatre heures. Sans une seule étoile dans le ciel.

Ca aura été bien le temps que ca a duré.


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