Chapitre 4 : Perdus au milieu de la Sibérie, le lac Baïkal


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Europe » Russia » Siberia » Lake Baikal
August 12th 2015
Published: August 29th 2015
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Les chapitres précédents sur Saint-Pétersbourg et Moscou donnent une certaine vision de la Russie : la vision européenne. Si la majorité de la population et le centre de gravité du pays restent fortement ancrés à l’Ouest, on ne peut réduire la Russie à sa partie occidentale. En effet, si l’on prend l’Oural comme limite de la frontière entre l’Europe et l’Asie, la Russie possède la majorité de son territoire en Asie. En outre, le plus grand pays du monde est frontalier avec une quinzaine d’autres Etats qui influencent le pays en termes de flux de traditions, de d’idées ou de populations. Que ce soit avec les Européens à l’Ouest, les Caucasiens dans le Sud-Ouest, les Centrasiatiques dans le Sud ou les Mongols et les Chinois dans le Sud-Est, le pays subit une forte influence de ses voisins.

On le voit dans les rues de Saint-Pétersbourg ou dans le métro de Moscou où les profils sont extrêmement variés, mais c’est à Irkoutsk, la plus grande ville au cœur de la Sibérie, que j’ai pu constater l’influence asiatique. Premier signe auquel je ne m’attendais absolument pas : les voitures roulent à droite, mais ont le volant également à droite. En posant la question, on a appris que ces voitures venaient en fait directement du Japon, car bien moins chères que les voitures européennes, américaines, ou même nationales. Un second signe a été les inscriptions publicitaires ou de signalisation parfois écrites en chinois ou en japonais. Enfin, un nombre de personnes beaucoup plus élevé qu’à Saint-Pétersbourg ou Moscou a des traits asiatiques. Cela s’est également ressenti sur la cuisine que l’on a pu gouter, avec notamment de délicieuses spécialités bouriates, l’ethnie régionale.

Notre séjour en Sibérie a été quelques peu difficile, et s’est rarement déroulé comme prévu. Nous avions planifié de passer une nuit à Irkoutsk, avant de mettre le cap sur Olkhon, une île au milieu du lac Baïkal et haut lieu du chamanisme, où nous aurions passé quelques jours. En expliquant notre plan à une fille de l’auberge d’Irkoutsk, celle-ci nous répond d’un air apitoyé : « Je vous déconseille sincèrement d’aller sur Olkhon. En ce moment, il y a des problèmes ». Alexis et moi nous regardons d’un air consterné, en imaginant déjà une rébellion bouriate prenant le pouvoir sur l’île. La fille continue en nous expliquant que depuis plusieurs jours, d’intenses feux de forêts font rage, ce qui compromet non seulement la vue incroyable, mais nous met également en danger. D’après elle, de nombreux touristes ont même déjà dû être évacués. Bon… nous voilà tous les deux à Irkoutsk, avec notre plan qui part en fumée.

Sans perdre espoir ni motivation, et surtout avec l’aide de la jeune fille qui connait un peu le coin, nous concoctons un plan B du tonnerre en divisant notre séjour en deux villes côtières du Baïkal : Sliudyanka et Listyanka.

La première est située sur la rive sud de l’immense lac. Engoncée entre plusieurs montagnes, elle compte une dizaine de milliers d’habitants, et semble perdue au milieu de nulle part. Entourés par la nature et les montagnes recouvertes d’un manteau de conifères, nous décidons d’y passer une journée. Nous sommes reçus avec chaleur chez Anya qui nous offre un thé, nous procure une carte, et nous donne de nombreux conseils. Sans perdre de temps, nous mettons directement le cap vers le lac pour une balade, et pourquoi pas un bain. Le spectacle est assez saisissant : derrière nous, immenses, se dressent les montagnes, véritables dômes vert foncé, alors que nous fait face un immense pan bleu clair. Le lac est voilé d’un léger brouillard, ce qui rend difficile de séparer sa surface du ciel, qui se fondent en un immense rectangle azur.

Il fait raisonnablement chaud et le lac est d’une attractive transparence, aussi n’hésitons-nous pas longtemps avant de nous baigner. L’eau est glaciale, mais le spectacle vaut le coup. La très légère nappe de brouillard qui recouvre la surface du lac donne à la scène une ambiance surréaliste, et se baigner dans une eau qui n’est pas salée, est -sans que je puisse l’expliquer- assez déconcertant. Avant que le soleil ne se couche, et que la température ne chute avec lui, nous nous séchons rapidement, et partons en quête d’un repas.

Nous finissons par atterrir devant une espèce de kebab proposant des shawarmas. En apercevant des jeunes bourrés devant, on hésite une fraction de seconde, mais la faim est la plus forte. On a à peine commandé que l’on commence déjà à regretter notre décision. Les quatre cinq jeunes, entendant que l’on n’est pas Russes, se précipitent sur nous, et commencent à nous parler. Je ne saisis pas grand-chose, mais pas besoin de comprendre la conversation pour percevoir qu’ils sont complètement ivres, et inconscients : ils puent l’alcool, parlent extrêmement fort, et ont pour deux d’entre eux les yeux un peu révulsés. Ok…

Je perçois un mélange détonnant entre la curiosité et l’agressivité ; ce sont des gamins d’une vingtaine d’années à peine qui se prennent pour des grands et veulent jouer les caïds. Alors qu’Alexis tente tant bien que mal de les canaliser, j’en vois un qui sort un énorme couteau de chasse de nulle part. La conversation continue, entre curiosité, rires et attitude menaçante. Le plus bourré d’entre eux, les yeux complètement révulsés, empoigne le couteau, et fait mine de menacer Alexis, en beuglant « Russian mafia » et en agitant la lame à quelques centimètres à peine de son abdomen.

Qu’est-ce que tu fais dans une situation comme ça ? Mon cerveau tourne à pleine vitesse en analysant les scenarii, et la réaction à avoir. Se détourner et rester seuls dans notre coin ? Partir en courant ? Lui faire une clé de bras en priant pour qu’il lâche le couteau ? Lui donner notre argent ? J’avoue que tous les deux on n’en menait pas large. Je tire mon chapeau à Alexis qui a géré ça d’une main de maître, en réussissant à maintenir la relation de « cordialité » et de « camaraderie » qui s’était instaurée au début de la conversation, et n’hésitant pas à relancer la conversation pour garder ce lien.

D’après ce qu’il m’a raconté ensuite, ils étaient au début juste curieux à propos de la France sur laquelle ils posaient de nombreuses questions : les films, la légion étrangère, les immigrés arméniens etc. Puis en constatant que l’on était complètement seuls ici, ils sont devenus de plus en plus confiants, puis agressifs en nous faisant explicitement comprendre que s’ils voulaient, ils pouvaient nous dépouiller (c’est à ce moment-là qu’est sorti le couteau et les « Russian mafia »).

De retour chez Anya, nous nous remettons de nos émotions dans notre chambre, et sommes rapidement interrompus par deux nouveaux invités, que l’on entend parler en français. Il est une heure du matin quand ils entrent dans la chambre et tentent une présentation dans un russe hésitant. On laisse planer tous les deux quelques secondes de silence, avant de leur répondre en français. Brune et Quentin, la trentaine, travaillant au Ministère des Affaires Etrangères, viennent de sortir de trois jours de transsibérien. Si l’on eut pu supposer l’inverse d’après les premiers mots (« oh putain fais chier, je croyais qu’on aurait une chambre pour nous tous seuls ») qu’on leur entend prononcer dans le hall d’Anya, nous sommes devenus super potes, et ils nous ont accompagné les jours suivant dans notre périple d’abord à Port-Baïkal, puis enfin à Sliudyanka.

On arrive dans cette dernière un peu avant la tombée de la nuit, sans aucune réservation. L’angoisse qui commence à monter augmente proportionnellement à l’obscurité qui point et finit par nous recouvrir. De plus en plus convaincus que l’on va dormir dehors, on finit par dénicher une auberge aux pieds de la montagne. La tenancière est aussi aimable qu’une porte de prison, mais elle se débrouille pour nous dénicher des lits sur lesquels nous nous effondrons -non sans avoir dégustés auparavant quelques délicieux chachliks (brochettes grillées). Le lendemain, on découvre un nouvel avantage de l’hôtel : il possède une banya. La banya est un sauna traditionnel russe, une espèce de bain turc dans lequel on se fait suer pour mieux se laver ensuite. Et autant vous dire qu’après une journée de vélo et d’ascension de montagnes sibériennes, c’est un véritable plaisir, que d’arroser les charbons brûlants, de se laisser envahir par la fumée et de voir le thermomètre grimper jusqu’à soixante degrés.



Après un nouveau festin de rois que l’on conclue par une partie de « bourguignon », nous disons au revoir à nos compagnons de route qui tentent l’aventure jusqu’à Olkhon, alors que nous regagnons Irkoutsk pour reprendre le transsibérien pour Vladivostok.

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