Trekking Rila Mountains, Bulgaria (ou Comment Devenir un Paratonnerre)


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Published: July 19th 2014
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16 juillet



Il fait nuit noire dans le dortoir du Hostel Mostel. J'attend que le cadran s'alarme ou que ma montre me bip mon réveil.

Je somnole.

Je ne dois surtout pas manquer mon lift gentiement offert par Wouter et Delphine, le couple belge rencontré à l'agence Zig Zag d'hier.



6h15AM.

Je me lève et prend de l'avance sur mes alarmes.

La journée s'annonce longue et pleine de surprises.

Je me douche dans la shared bathroom, agrippe mon packsack et ma Nikon, et quitte l'auberge qui tranquillement s'éveille.

Les flamands sont au rendez-vous.

Je prend place à l'arrière de leur chic voiture louée, collé sur la pyramide de packsack, et nous quittons pour le fameux monastère de Rila d'où notre trek de 4 jours doit débuter.

Je m'efforce à garder conscience dans la voiture mais mon manque de sommeil de la nuit passée me rattrape et m'assomme en plein coeur d'une conversation avec Wouter ...



... je revis soudainement alors qu'on atteint le stationnement devant le monastère. Sans plus attendre, nous agrippons les packsacks qui me servaient d'oreillers et nous nous lançons sur l'étroit chemin aux allures de rampe de lancement vers le haut des montagnes.

On annonce de la mouille en après-midi.

On se doit de quitter rapidement pour faire du millage avant de se faire possiblement tremper par la pluie bulgare.



Ce n'est que de l'ascension durant presque toute la journée. On passe de 1500m à 2500m en plus ou moins 7h de lente cadence.

Le trekking prévu devient davantage du hiking.

Une petite pluie fine vient brouiller l'air comme on l'avait prévu.



Nous sommes protégés dans les forêts de hauts conifères mais dès qu'on atteint les pentes herbacées, la mouillasse s'infiltre sans invitation. Heureusement, l'averse se calme rapidement, sans toutefois nous avoir épargné.

On quitte bientôt les forêts et les plaines pour atteindre les sommets rocailleux où le souffle colérique des hautes altitudes pousse les nuages à toutes allures aux travers des cols.

Nous sommes dans la tourmente de la troposphère du massif de Rila.



Cette petite chaîne de montagnes est surnommée la Water Mountain, pas à cause de l'eau qui s'est effondrée sur nos têtes mais plutôt, à cause de celle que soulève la terre.

En effet, la montagne déborde de sources d'eau claire qui fissurent le sol et saignent dans les pentes spongieuses sous nos pieds.

Marécages.

J'ai les orteils qui pataugent dans le creux de mes bottes alors qu'on atteint la hutte Ivan Vazov, perdu dans les inquiétants nuages gris que repoussent un vent violent.

Ce sera ici notre destination finale d'aujourd'hui.



Autour du bâtiment de pierres qui nous servira de refuge, un clan de chevaux sauvages remplacent les moutons qui reposent habituellement dans la verdure des pâturages montagnards. C'est surréel.

On s'avance et on passe au travers de la horde équestre à pas feutrés.

On se fait observer par les chevaux curieux qui nous hennissent des avertissements.



Enfin, on pose les pieds sur le portique et on cogne à la lourde porte du refuge.

"Hello. Hi"

Les hôtes barbus nous regardent sans mot dire.

Des visages de Bulgare des montagnes, des Rasputin cloîtrés.

Il y a 3 poilus, et puis 2 femmes aussi.

Et un clébard pas vite vite, gros comme un poney, qui a reçu sur la gueule trop de ruages des chevaux sauvages.



Je vais enfiler du linge sec alors qu'une des muettes barbes allume un feu de bois dans le poêle de la salle commune.

J'accroche mon linge humide et salie de boue au dessus du feu alors qu'on nous prépare un repas dans le poussiéreux silence du refuge.

Le gros chien me regarde.

Il s'approche et se met à violer ma jambe.

Je le repousse.



Une autre des barbes sort sa flûte et partage son talent en nous flûtant Mission Impossible.

Le clébard me regarde en salivant. Puis regarde le plafond.

Il ignore totalement d'où vient la jolie musique flûtée.



On nous sert une soupe aux lentilles, de la salade de choux et des patates huilées qu'une des barbes a fait cuire dans le poêle à bois, sous mon linge qui s'assèche tranquillement.

Une ambiance étrange s'installe: les poilus sirotent de l'eau-de-vie en chuchotant, le feu du poêle crépite et le chien fou regarde les mouches qui dansent autour de la faible ampoule mourante.

Calme et curieux moment.

Et mon linge de trek sent maintenant tellement la patate.





17 juillet



7h00AM.

Je me réveille dans le dortoir malpropre où j'ai dormi à poings fermés. Le couple belge est aussi là, s'étirant parmi les 15 lits vides. C'est pourtant la haute saison en Bulgarie.

Je vois par la fenêtre embuée que le ciel est clair et sans nuage ce matin.

La journée s'annonce moins grise qu'hier.

Je descend dans la salle commune, enjambe le clébard qui heureusement ne m'a pas rejoins cette nuit, et agrippe mon linge qui sent la patate.

C'est une autre journée qui s'annonce surprennante dans les montagnes de Rila.

On salue poliment le clan Rasputin qui nous souri (peut-être) de derrière leurs barbes effarouchées et nous quittons le bloc de béton qui nous a servit de refuge au milieu des landes.



Les paysages montagnards de rocs sont à perte de vue autour de nous.

Les chevaux sauvages sont regroupés un peu partout et ils nous regardent passer au travers de leur groupe en faignant l'indifférence.



On se rend à des points de vue époustouflants sur des lacs translucides formés par la fonte des neiges des hautes altitudes.

J'ai peine à croire que je suis ici, à presque 3000 mètres dans les montagnes au creux des Balkans.

On longe des crêtes qui plongent de chaque côtés vers des vallées rocailleuses ou, quoique plus rarement, vers des pentes qui s'étirent en de longues forêts touffues de sombres conifères.

Le ciel bientôt s'assombri, couvrant le soleil et réveillant une brise chahutant les nuages d'un bord à l'autre des cols.

Je suis un paratonnerre.



On s'approche bientôt du refuge de Mayovitsa.

C'est en fait ce que notre carte semble nous expliquer.

Les deux tiers de la route de la journée est fait... lorsque tout se complique.

La marche en forêt que j'avais en tête au départ... qui est devenu un trekking... puis du hiking... s'approche maintenant d'une quasi escalade.

Les montagnes que nous grimpons sont de plus en plus à pic, et les descentes dans les éboulis, de plus en plus risquées.

Heureusement que les averses ne sont pas au rendez-vous que je me dis... alors qu'un de mes genoux me lance un malencontreux avertissement: ça suffit les montées et particulièrement les descentes intenses sans bâtons de marche.



Et puis Clac.

Mauvais mouvement.

Mauvais signe.

Mes jambes ne s'amusent plus.



Notre promenade de la journée prévue de 6 heures s'allonge en un 10 heures donc... dont les 4 dernières seront de la pénible descente, d'un peu plus de 900 mètres, à petits pas dans les rochers instables.



Un intense mal de genou s'installe. La fatigue et la faim aussi.

Je serai heureux d'atteindre Malyovitsa et d'y boire, je l'espère, un café bien chaud.

Il y a un prix à payer pour voir d'aussi incroyables paysages, et moi, je paierai avec mon genou.



On atteint enfin le gite vers 19h00 alors que ma jambe gauche n'arrive plus à plier sans subir de chocs électriques.

Mauvais signe.

Je suis un paratonnerre.

Et demain s'annonce la journée la plus intense pour atteindre le dernier refuge avant le retour au monastère de Rila.



Dans le gite, on nous sert une salade fraiche de concombres, de tomates et de feta, et des bouts de viande sans goût. Assurément du congelé.

Les femmes suspicieuses qui nous servent le repas sortent assurément du congélateur elles aussi.



C'est calme dans l'immense bloc de béton où l'absence des randonneurs fait de l'écho.

Ambiance communiste.

L'utilité passe bien avant le style et le goût ici.

J'ai l'impression d'avoir atterrit dans l'est de la guerre froide.



Je m'installe au creux de mon sleeping bag au niveau du sol, sur un matelas éventré et rembourré de foin. Une paillasse.

Les tuiles usées au plancher et mes couvertures ont la pâleur et la fatigue du Communisme.



Mon genou souffre.

J'hésite pour demain.

Mon trek s'arrêtera ici... ou je risque le pire.

Je doute.

Et puis j'abdique.

Je fais le Gorbatchev et je décide

de tout arrêter.





18 juillet

Wouter et Delphine se sont levés de bonne heure ce matin. Les belge se lancent sur la montée qui les mèneront à Kirilova Polyana de l'autre côté des sommets ennuagés.

Je les regarde partir.

Pour ma part, j'essaierai d'organiser mon retour à Sofia comme je peux à partir d'ici.



Bon.

Impossible de retourner au monastère autrement qu'à pieds paraît-il. Je n'aurai donc pas le choix de changer mes plans et de rejoindre les hôtels silencieux au bas de l'inactive station de ski, en sens inverse du départ des Belges.



L'heure de descente jusque-là se fait en douceur, et mon genou tient le coup.

Les chevaux sauvages ne se rendent pas ici. Ils demeurent en altitude.

Si on se fie aux avertissements, les forêts de conifères qui longent la rivière cristalline dans la vallée sont plutôt le domaine des ours noirs. Les chevaux et les ours ne partagent pas le même territoire paraît-il.



J'atteint bientôt le chairlift paraplégique au bas des pistes en morte-saison et m'installe au pied du feu de foyer d'un resto-cabane servant d'après-ski. On m'y sert des patates pilées et des oeufs frits. On n'y parle que bulgare. C'est compliqué d'organiser quoi-que-ce-soit si loin de tout.

Et c'est alors que je sors mon atout... et j'appelle l'agence Zig Zag avec laquelle j'avais prit contact à Sofia. J'espère qu'elle saura me sortir de ce replis montagnard.



Heureusement, on me sort de là: d'abord en jeep, puis en bus public, puis en taxi jusqu'au centre-ville de la capitale bulgare.

Retour au point de départ

alors qu'il y a averse.

Je pense au couple belge dans les mordantes montagnes de Rila, trempé, affrontant la route abrupte presqu'invisible dans le déversement des rochers polis par l'annuelle fonte des neiges.

Courage à vous deux.

Mon verre de vin rouge servit par la jolie Sophie de Sofia, ce soir, sera en votre honneur.



Demain: retour au monastère de Rila à partir de Sofia, où je dois revoir Wouter et Delphine.



Etienne X


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