Une histoire sanglante dans un pays de douceur


Advertisement
Rwanda's flag
Africa » Rwanda » Province du Sud
July 3rd 2008
Published: July 3rd 2008
Edit Blog Post

Si Dieu avait réellement créé un paradis pour l'épanouissement des premiers humains, il l'aurait certainement fait au Rwanda. Nul endroit au monde ne ressemble plus au jardin d'Eden que ce minuscule pays verdoyant. Chaque ferme sur les pentes des collines avec ses eucalyptus, ses hibisucs, ses bananiers et ses champs luxuriants au milieu desquels se dissimule une petite maison en brique est a elle seule un jardin a découvrir.
Au Rwanda, tout n'est que douceur, calme et suavité.
Les montagnes ne nous écrasent pas de leur imposante majesté. Elles courbent leur dos rond, délicates collines s'étendant dans la brume. Et le Soleil des tropiques ne brule pas la terre de ses rayons ardents. Il se contente de la caresser, réchauffant et parfumant l'air. Meme l'aube et la brunante qui, dans certaines parties du monde sont l'occasion pour lui d'afficher ses couleurs les plus flamboyantes, ne se résument ici qu'a un étalage de teintes pastels. Au Rwanda, le Soleil salue les hommes tout en douceur, comme la caresse d'un amant.
Des hommes qui semblent d'ailleurs issus du meme moule que leur pays. Chaleureux, blagueurs, tous les rwandais sont toujours prets a rendre service. Chaque passant que je croise dans la rue me sourie et me salue. Rien de plus. Parfois, ils l'accompagnent d'un sonore : Umuzungu, ce qui signifie blanc en kirnyrwanda, mais nous leur pardonnons bien volontiers. Il y a effectivement si peu d'umuzungus ici qu'en voir un constitue certainement un évènement. Il semble n'y avoir aucune méchanceté présente en eux, aucune malice. Je peux m'aventurer seule la nuit dans les rues sombres de Butare sans me sentir le moindrement menacée. Personne n'a encore essayé de m'arnaquer. Tous les voyageurs que je rencontre et qui ont déja visité d'autres pays d'Afrique s'entendent pour dire que le Rwanda beaucoup trop tranquille si on le compare a ses voisins.
Cela peut paraitre surprenant pour nous qui ne connaissons du pays que son histoire sanglante. On s'attendrait a sentir de la violence chez ce peuple, mais il faudrait la chercher longtemps avant de la trouver. Si ce n'était de tous les monuments commémoratifs et de la journée de la libération qui aura lieu le ' juillet, il serait facile d'oublier qu'un génocide atroce a déchiré le pays il y a moins de 15 ans. Moi-meme, malgré tous les films et les livres que j'ai lu sur le sujet, je n'arrivais pas a réaliser que le Génocide se soit réellement déroulé ici. Cela me semblait inconcevable que tous ces rwandais, si calmes et doux, aient pris des machettes et des grenades pour s'entredéchirer. J'étais tout simplement incapable de superposer les images des deux univers: celui du Rwanda d'aujourd'hui avec ce que je savais des évènements de 1994. Il a fallu que je visite le Mémorial de Kigali pour finalement commencer a accepter l'amère vérité.
Ce ne furent pas les photos des charniers, des corps ensanglantés dans les églises, ni les témoignages des survivants racontant les derniers moments de leur père, frère ou enfant, ni meme les salles remplies des photos de ces memes enfants, si beaux et souriants, accompagnées d'une description détaillée des circonstances de leur mort, bébés projetés contre un mur, fillettes violées et éventrées ou gamins décapités qui me convinquirent de la vérité, de l'inimaginable vérité de ce qui s'était produit durant ces cent jours d'horreur. Ce furent les visages des rwandais qui visitaient le Mémorial avec moi, survivants de cette folie meurtrière, leurs cris angoissés, leurs pleurs alors qu'ils reconnaissaient sur une photo l'endroit ou leur famille avait péri et, peut-etre meme, le corps mutile d'une personne de leur connaissance qui imprima au bout du compte en moi l'inacceptable réalité du Génocide rwandais.
Mais cela ne la rendait pas plus compréhensible pour autant. Pourquoi ici ? Les Rwandais ne sont définitivement pas un peuple plus violent qu'un autre. De nombreuses personnes se sont penchées sur ce problème sans parvenir a fournir une explication satisfaisant : les classes sociales créées par les Belges, la dictature d'Habyarimana, la réticence de l'ONU a intervenir. Cela n'explique en fait que peu de chose et certainement pas comment le paradis s'est soudainement transformé en enfer.
Un enfer rendu encore plus tangible par la visite hier du mémorial de Murambi a Gikongoro. La-bas, dans une école en construction, cinquante mille personnes ont trouvé la mort de la plus horrible des manières : enfants a la tete arrachée par une grenade ou le crane fendu par une machette, femmes aux bras ou aux jambes coupées. Préservés par la chaux, les centaines de corps aux postures grotesques face a la mort empilés dans les dortoirs représentent le témoin indélibile de l'étendue de la cruauté humaine. Parfois, une femme aux jambes encore écartées ou tentant vainement de protéger son bébé des bouchers de l'Interhahamwe venus les exécuter.
Devant tant de violence sauvage, un seul mot semble convenir : insensé. Comment les miliciens de l'Interhahamwe ont-ils pu pénétrer dans ses salles, insensibles a la beauté sereine des collines, aux cris de détresse et aux supplications et massacrer tous ces gens. Tant d'horreur dans un décor si calme et paisible. Le contraste rend la vision des charniers encore plus insoutenable. Malgré la chaleur, je frissonnais comme si un froid d'outre-tombe envahissait mes os et chassait toutes mes larmes. Je n'ai meme pas réussi a pleurer lorsque la guide nous a raconté comment ses trois fils et son mari avaient été tué ici, dans cette école. On peut pleurer face a la mort d'un homme, mais que ressentir face a la brutale barbarerie de la boucherie de Murambi ? Je l'ignore. Je sais seulement que j'ai ressenti un immense vide glacé et perdu toute fierté d'appartenir a l'espèce humaine. Alors que je me promenais parmi les cadavres, j'ai aussi pensé a la dernière scène du film J'ai serré la main du diable dans laquelle le général Dallaire marche seul dans une rivière remplie de morts. Je ne prétends pas réussir un jour a comprendre ce que lui et toutes les autres survivants du Génocide ont vécu, mais en sortant hier du mémorial, je marchais, seule également, dans ma propre petite rivière.
Le rire semblait avoir disparu a jamais alors que, de retour parmi les bananiers et les eucalyptus, Devi et moi marchions silencieusement vers Gikongoro. Et pourtant, un peu plus loin sur la route, des enfants au sourire éclatant et au rire plein les yeux nous attendaient pour que nous partagions leurx jeux.
Il me faut croire que la vie sera toujours plus forte.




Advertisement



Tot: 0.082s; Tpl: 0.009s; cc: 6; qc: 44; dbt: 0.0342s; 1; m:domysql w:travelblog (10.17.0.13); sld: 1; ; mem: 1.1mb