Chapitre 34: le Roi de la Vallée


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Africa » Egypt » Red Sea » Hurghada
October 26th 2018
Published: December 31st 2018
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Après cette petite croisière léthargique sur le Nil, retour vers le désert avec un programme chargé : les temples de Karnak, le temple d'Hatchepsout, et la mythique Vallée des Rois.

Plus grand complexe religieux de toute l'Antiquité, les temples de Karnak ont été construits et développés par plusieurs dynasties de pharaons pendant plus de 2000 ans. Comme de nombreux temples égyptiens, les temples de Karnak ont abrité des Chrétiens fuyant les persécutions romaines. Medo nous explique rapidement que les Chrétiens y trouvaient un sanctuaire où pratiquer leur fois à l'abri de la répression des Romains. En navigant dans la longue forêt de colonnes, je discute avec Alex de l'histoire des Juifs sous l'Egypte Antique. Après son retour de Jordanie, il me raconte notamment comment le peuple juif est progressivement devenu une menace pour les Égyptiens. En effet, ces derniers considéraient le peuple élu comme des immigrés qui, non seulement se multipliaient, mais parvenaient à s'enrichir jusqu'à occuper les positions de plus en plus élevées dans la hiérarchie égyptienne. Ceci n'a pas été sans provoquer des remous dans l'establishment qui a lancé des persécutions contre les Juifs. Ces derniers ont été forcés à fuir dans le désert jusqu'à la biblique traversée de la Mer Rouge pour rejoindre le pays de Canaan et y fonder Israël sur la terre promise.

No rest for the wicked, on enchaîne avec le temple de la reine Hatchepsout, première grande figure féminine de l'Histoire (connue). A la mort de son mari, elle s'est déclarée 'Pharaon' en se faisant passer pour la fille du dieu suprême Amon, la rendant ainsi intouchable à ses détracteurs. Son règne apporta la paix en réétablissant les routes de commerce et en commissionnant plusieurs centaines de projets de construction. Quand son fils Thoutmosis III fut en âge de régner, elle refusa de lui céder le pouvoir. Peu de temps après elle mourut dans des circonstances non élucidées. Thoutmosis III fit effacer son visage et son nom de la plupart des peintures, et ordonna la démolition de ses constructions les plus importantes.

Alors que la plupart des autres se réfugient vers la piscine, Alex et moi profitons de l'après midi de quartier libre pour aller explorer Louxor. C'est bien le problème avec ce voyage organisé, on a un programme super chargé et on est constamment trimbalés des sites archéologiques jusqu'à nos hôtels cinq étoiles. Mais de l'Egypte d'aujourd'hui, on ne voit que les fragments de vie que l'on peut glaner depuis la fenêtre de notre bus climatisé. Or depuis les pharaons, le pays a sacrément évolué: soumis aux influences des Grecs, Romains, Byzantins, Perses, Arabes, Kurdes, Mamelouks, Ottomans, Portugais, Français, Britanniques, le pays a été un phare de culture lors de l'âge d'or de l'Islam au Moyen-Âge, le fief de Saladin pendant les croisades, la capitale des califats fatimide et abbasside, le siège de l'intemporelle université Al-Azhar. Terre du tiers-mondisme et du panarabisme, le pays est devenu un des acteurs majeurs des luttes de pouvoirs moyen-orientales à travers notamment la Guerre des Six Jours et la Guerre du Kippour. Lieu de naissance des Frères Musulmans, le pays a aussi été l'un des principaux théâtres des Révolutions Arabes conduisant à la déposition de Moubarak et la prise de pouvoir par les Frères Musulmans, évincés par le coup d'Etat du maréchal al-Sissi. Au carrefour de l'Afrique, de l'Asie et de l'Europe, la société égyptienne s'est enrichie de cette évolution séculaire (pourtant une goutte dans l'océan du temps à l'échelle de l'Egypte Antique). Et avec ce voyage, c'est aussi toutes ces facettes plus récentes que je tenais aussi à découvrir.

Et confirmant ce que j'avais entendu, Louxor se révèle en effet une ville très sympa. Elle intègre à la fois des sites historiques et des aspects contemporains tout en gardant une dimension humaine, avec de nombreux petits commerces et cafés où les hommes viennent se rejoindre à l'ombre des palmiers. En serpentant dans les ruelles du souq, Alex et moi dénichons un boulanger qui vend des sandwichs aux falafels largement garnis de tomates fraîches et de persil; un vrai régal... qui coûte littéralement 40 fois moins chers que nos repas quotidiens.

Après un petit café bien serré, on se balade dans le marché, où tout le monde cherche à nous vendre tout et n'importe quoi; ça va des souvenirs antiques en plus ou moins bon état, aux narguilés clinquant, en passant par des bijoux et autres étoffes... Chacun cherche à nous attirer avec plus ou moins d'insistance dans son échoppe en utilisant différents stratagèmes: une main tendue, une tasse de thé, un 'where do you come from' immédiatement suivi d'un 'aaah, mais je parle français'. Connaissant le petit manège je fais bien attention à ne pas me laisser piéger, mais ma détermination flanche devant le magasin d'épices dont les montagnes de poudres colorées attirent mon oeil. Le patron, Omar, me voyant imperceptiblement ralentir ne laisse pas passer sa chance et me prend par l'épaule. Bon allez... dans tous les cas j'ai besoin de ras el-hanout, alors autant profiter de la visite. Et Omar commence son petit manège : en passant devant chacun de ses nombreux étals, il pioche une pincée d'épices dans un bocal et l'écrase dans ma main tendue. Ici du cumin, là du safran... rouge, brun, ocre, cumin, cannelle, coriandre, tout commence à se mélanger dans un tourbillon olfactif. Les poudres, herbes et graines qui défilent dans ma paume font maintenant place à deux petites noix d'aspect plus ou moins inconnu. "Alors, qu'est-ce que c'est maintenant?" me demande Omar avec un sourire satisfait. La peur se lit instantanément dans mes yeux. "OUI, DIS MOI TOUT DE SUITE : QU'EST-CE QUE C'EST QUE CA?". Au moment où il prononce le mot magique de cacahuètes, mes pires craintes se confirment. Moi qui ai passé plus de vingt ans de ma vie à mettre le plus de distance entre mon corps et l'oléagineux, me retrouve comme ça sans aucune précaution ni avertissement en contact direct avec cette noix du démon. Sans un mot, je laisse tomber ma main et ce qu'elle contient, et file à toute vitesse vers le restaurant le plus proche pour me laver les mains une dizaine de fois, sous le regard ébahi d'Omar.

Le lendemain, nouveau lever aux aurores pour aller explorer la mythique Vallée des Rois.

Medo nous explique comment, craignant que leurs tombeaux ne soient découverts et ouverts par les pillards, les pharaons avaient décidé de creuser des tombes et de se faire enterrer en plein désert, dans un endroit isolé de Thèbes la capitale. Pendant près de 500 ans, c'est plus d'une vingtaine de souverains successifs qui y ont trouvé la paix éternelle. Parmi eux, on trouve notamment Seti, Ramsès II, Akhenaton, Toutankhamon, Hatchepsout, et Thoutmosis III pour ne citer qu'eux.

De nombreux mystères entourent la légendaire Vallée des Rois. Par exemple, cela me semble hautement improbable que des milliers d'ouvriers aient travaillé au creusement et à la construction sans que le secret ne soit jamais découvert. De mêmes, les archéologues qui ont découvert les tombes sont tombés malades et sont morts dans d'étranges circonstances quelques semaines plus tard. Bon, on trouve forcément des explications rationnelles en pensant aux bactéries enfouies pendant des millénaires dans un espace clos et humide, mais bon... c'est quand même beaucoup moins glamour qu'une malédiction pharaonique.

Toutes les tombes ont été ouvertes et raflées par les pillards avant leur découverte par les archéologues. Toutes à l'exception d'une seule, celle de Toutankhamon. Ce dernier n'a été qu'un roi mineur parmi la longue lignée des pharaons, pourtant son nom et son visage sont aujourd'hui connus de tous, simplement pour cette raison. Lorsqu'en 1922, Howard Carter en a fait la découverte, les richesses et les trésors qu'il y a trouvés avec son équipe dépassaient l'entendement. Quand on pense que ça n'était qu'un roi mineur, on ose à peine imaginer les merveilles qu'ont pu découvrir les pillards en ouvrant la tombe de Ramsès II ou de Thoutmosis III...

La plupart des objets restant dans les tombes se trouvent aujourd'hui dans des musées (principalement européens d'ailleurs), mais quand on descend dans les tombes de chacun de ces pharaons comme j'ai pu le faire, l'émotion reste intacte. Essayez de vous imaginer : après plusieurs heures de bus en plein désert, vous vous retrouvez dans une vallée abandonnée sous un cagnard difficile à supporter. Vous voyez ces escaliers qui semblent émerger de nulle part et qui s'enfoncent dans l'obscurité à l'intérieur de la terre. Quand il y en a une, vous essayez de vous tenir à la rampe et laissez vos yeux le temps de s'habituer à la faible lumière dispensée par les quelques néons. La température a drastiquement chuté, l'air a changé, et il règne une odeur étrange. Alors que vous vous enfoncez sous terre, vos yeux commencent à remarquer les peintures sur les murs. Une jambe, un pagne, des bras tendus, une offrande, un masque, une tête de faucon, des étoiles. Comme fous, vos yeux commencent papillonner partout quand ils réalisent l'immensité de ce qui les entourent. C'est une véritable histoire peinte sur les murs, comme un film qui se déroule à mesure que vous progressez vers le tombeau du pharaon. Ce qui rend la chose incroyable, c'est que toutes ces peintures sont en couleurs. Et non, ça n'a pas été rénové par les archéologues, mais ce sont bien les mêmes couleurs que les artisans ont appliquées quelques 3500 ans plus tôt, mêlant les pigments de charbon, de lapis-lazuli, de malachite, ou d'oxydes de cuivre à du jaune d'oeuf et des fragments de rouille utilisés pour 'fixer' la peinture sur la roche. Plutôt efficace.

Avec la Vallée des Rois s'achève la partie historique de mon voyage. En effet, j'avais prévu de m'accorder deux-trois jours de détente sur les bords de la Mer Rouge après les aventures trépidantes dans le désert. Je ne sais pas trop à quoi m'attendre et j'ai un peu peur de me retrouver dans une station balnéaire de luxe sans rien à faire. Mais bon, pour juger il faut d'abord arriver jusqu'à Hurghada, ce qui n'est pas si simple que ça quand le bus se gare sur le bas côté de la route. Ca n'est ni un changement de chauffeur ni un contrôle de sécurité; non on est en plein désert et ça fait maintenant une demi-heure qu'on est là. Et une demi-heure sans clim en plein soleil saharien, on les sent passer. Les gens s'échauffent dans le bus et on nous annonce qu'un 'petit problème mécanique' empêche le bus de redémarrer. La SNCF n'a qu'à bien se tenir.

Une heure et un litre de transpiration plus tard, le problème est réglé et le bus repart. Medo avait l'habitude de claquer sa langue trois fois dans le micro du bus et de nous expliquer l'histoire du monument que l'on s'apprêtait à visiter: des pyramides millénaires, un temple bâti dans une montagne, des tombeaux ensevelis etc. Mais Medo est rentré au Caire et c'est maintenant Walid qui s'occupe de nous. Pas vraiment le même style: pas de claquements de langue, pas de hurlements, pas d'explications passionnées. Walid égraine d'une voix monocorde le programme des trois jours qui suivront sans même prendre la peine de se retourner pour nous regarder; "à-Hurghada-vous-pourrez-faire-beaucoup-de-shopping. Les-lieux-d'intérêt-sont-la-marina-et-le-casino, ainsi-que-la-Sheraton-street-qui-est-pleine-de-restaurants-et-de-centres-commerciaux". Bon... eh bien on dirait que mes craintes sont confirmées.

Et en effet, j'ai détesté les quelques jours que j'ai passé sur les bords de la Mer Rouge. Je me suis retrouvé enfermé dans un hôtel cinq étoiles avec un bracelet collé au poignet, et à me faire infantiliser pendant trois jours. Je vous donne un exemple : j'étais en train de déjeuner sur le bord de la piscine et j'avais laissé mon sac sous la haie de plantes surplombant la terrasse, juste derrière mon siège. La serveuse me fait remarquer que le sol est trempé par l'eau utilisée pour arroser les plantes, mais son visage s'affole quand je fais mine de me lever pour aller récupérer mon sac qui est juste derrière moi. Cette dame d'une cinquantaine d'années s'y oppose catégoriquement et va ramper à quatre pattes derrière moi pour exhiber triomphante mon pauvre sac, alors que je n'avais quasiment que le bras à tendre.

C'est vraiment un aspect de l'Egypte -ou de ce voyage- que je n'ai vraiment pas aimé. Ces stations balnéaires empestent le néocolonialisme: ça te sert du habibi à tour de bras, et ça joue une espèce de jeu de condescendance paternaliste quand ce n'est pas de la domination pure et simple, c'est à vomir. Pour quelqu'un qui recherchais un côté aventure après s'être fait trimbaler de site en site, je me fais infantiliser comme un gosse de cinq ans et servir comme un pharaon. Mais avec le recul, je me rends compte que 'faire' l'Egypte en sac à dos est extrêmement difficile dans la mesure où le tourisme qui est encouragé dans ce pays est un tourisme de luxe. Je n'ai vu aucune auberge de jeunesse, aucun moyen de transport public pour accéder aux sites; tout semble géré par les hôtels de luxe et les compagnies de tourisme organisé. Si j'avais une critique à faire à ce voyage, ça serait sans aucun doute celle-là. Pour autant, j'ai adoré ce voyage et encore plus ce pays. Outre la nature extrême, outre le sourire et l'espièglerie des Égyptiens entre eux, c'est le poids de l'Histoire que je retiendrai. Une histoire grandiose et écrasante qui remonte aux premiers pas de l'humanité civilisée. Je vois presque les gens de l'Egypte Antique comme des extra-terrestres tellement leur avancement artistique et technologique a été si poussé et si tôt. L'écriture, l'agriculture, le commerce, l'architecture, l'art, la religion, la médecine, les mathématiques, l'artisanat, l'irrigation, les rites funéraires, une organisation politique, sociale, judiciaire, militaire, religieuse... La plupart de ces items étaient là avant les Egyptiens, mais ce sont véritablement eux qui ont su étendre les limites de chacun de ces concepts jusqu'à des profondeurs inégalées, lançant ainsi les bases de la civilisation. Ca marque un homme.


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