La corde raide du risque


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North America » Canada
October 28th 2016
Published: December 26th 2016
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La semaine précédente, nous avions filtré nos objectifs personnels pour trouver un grand projet qui nous permettrait de nous dépasser, mais surtout de vivre une sacrée aventure. Pour moi et Chuck, cette partie était simple à déterminer : un long multipitch, idéalement du bas jusqu’au sommet du Chief. Mais cette fois encore, plusieurs variables jouaient en notre défaveur. La raison (officielle) pour laquelle nous venions à Squamish était pour que Chuck rencontre un employeur ; d’un commun accord, il s’agissait de la priorité. Or, les circonstances ont amené cette rencontre à être repoussée, toujours un peu plus. Mais elle eut finalement lieu, et nous nous retrouvâmes enfin dans la voiture, devant l’océan des possibilités :

- So, what do you think?

- Well, both would be fine, and probably dry, but Angel’s Crest definitely stands out in my mind.

- Yeah, that’d be great!

- But it’s starting to be late... would we have enough time?

(Silence)

- Ok, let’s go.

- Yeah, let’s do it!

Il n’en fallait pas plus. L’idée avait déjà suffisamment maturée, et nous étions tous deux confiants et aptes. Nos limites et nos attentes respectives étaient suffisamment claires pour que cette décision importante, bien que prise rapidement, ne soit pas précipitée. Quelques minutes plus tard, l’équipement était séparé, et nous partions affronter nos limites. Il est 14h, la voie fait 13 longueurs alpines (recherche de route et rappels), et on se souviendra plus tard que la tempête est supposée frapper avant minuit...

Deux semaines avant, je terminais une belle journée avec la montée de Black Tusk, une figure iconique de la région et un défi introductif classique en conditions alpines. Au pied de la section d’approche, une pluie fine s’installe, sans m’arrêter. Mais en contournant le passage qui fait la transition entre la randonnée et la grimpe, un vent de tempête se lève, et la température chute brusquement. Un autre grimpeur me croise et m’explique qu’il abandonne l’idée de monter. Trop risqué, et il ne sent plus ses doigts, sur le rocher. Alors que je couvre les derniers mètres qui me séparent de la cheminée menant au sommet, le doute me ronge... l’espace d’un instant. Une grêle commence et ne donne pas de signe d’épuisement...

La semaine suivante, je me sépare de mon groupe dans les mêmes environs, pour tenter une nouvelle randonnée décrite sur une carte, mais pas dans les indications officielles du parc. Après quelques minutes d’exploration, je repère ce que je crois être le passage à emprunter pour atteindre le glacier qui jette son aura sur notre campement depuis plusieurs nuits déjà. Mais je ne suis pas seul à vouloir l’emprunter ; des empreintes, que l’on confirmera plus tard être celles d’un ours, sillonnent la neige que j’aurais préféré vierge. J’entreprends donc de me diriger avec ma carte et quelques indices naturels pour trouver une voie de contournement et essayer d’atteindre mon objectif autrement. Le « Bear country » dépose progressivement son poids sur mes épaules, et ma situation de « tu-seul » prend de l’ampleur alors que je quitte les sentiers pour des bosquets d’arbres éparses.

Plus récemment, je m’engageais avec ma sœur dans une randonnée plus enneigée que prévue. Alors que le paysage grandiose des Icefields défilait à bonne vitesse, nous réalisons que la trace ne se rend pas jusqu’au bout, jusqu’à notre objectif. En fait, le second tiers est encore suffisamment clair pour que nous nous y engagions. Mais après s’être inséré à l’intérieur du paysage d’une immense vallée encaissée, le chemin laisse place à de la neige, qui nous monte aux genoux. Plus aucune indication pour nous diriger dans cette dernière portion vers le convoité lac. Sans carte ni raquettes, nous commençons par traverser un ruisseau sans pont, hésitants...

Ces expériences ont beaucoup en commun, mais ce n’est pas la montagne, les partenaires ou les obstacles qui les relient, selon moi. C’est plutôt cette décision de s’engager dans l’adversité et face à nos limites, limites qui pourraient très bien nous faire reculer, avec raison. Cet engagement pour autant réfléchit, prend place en un instant, et départage nos limites réelles de celles qu’on se donne par confort. C’est là, je crois, que réside ce sentiment de dépassement, de sortir de notre zone de confort. Mais en fait, si la décision d’engagement semble se prendre rapidement, su un coup de tête, c’est bien qu’elle ne se prend pas au moment où l’obstacle surgit. Et c’est là que réside l’expérience et la sagesse qui permettent de surmonter ces défis. Ce choix, en fait, a été pris bien avant de même mettre les pieds en montagne (qu’elle soit réelle ou métaphorique). Il est plutôt le fruit de nos envies, de nos connaissances, des informations que l’on trouve sur le chemin, et de l’état dans lequel on se trouve au moment de poser le geste de s’engager ; c’est notre capacité à reconnaitre nos limites, et surtout de les discerner des limites de notre confort. Et cette quête, sans fin, nous définis plus que tant d’autres choses.

Nous avons bien atteint le sommet d’Angel’s Crest ce soir-là. Au cœur de la nuit et sous une pluie en crescendo, nous nous sommes donnés cette fière accolade si naturelle après un tel succès. Le Black Tusk m’a laissé le parcourir sans relâcher sa bourrasque, ni sa grêle. Le courage aux aguets, j’ai fait mon chemin jusqu’u sommet, puis en bas de la zone alpine, les doigts gelés, mais le sourire bien figé sur mon visage, révérant le géant noir qui mie laissait partir. En contrepartie, nous n’avons pas atteint le lac Helen, pas plus que Sentinel pass, ni le sommet de Fairview. Les pieds mouillés et les jambes en feu, nous nous sommes pourtant félicités d’un retour bien mérité, les yeux pleins de grands espaces.

Car ce n’est pas le succès ou l’échec de l’entreprise initiale qui importe. C’est plutôt le bonheur de constater qu’une fois de plus, nous avons prit la décision consciente de quitter notre zone de confort pour aller à la rencontre de nos limites, quelles qu’elles soient pour nous. Et c’est de constater qu’une fois encore, avec ou sans écorchures, nous en ressortons grandis, toujours vainqueurs sur celui ou celle que nous étions plus tôt ce jour-là.



Bien sûr, ce constat est toujours plus clair avec une bonne bière de victoire... !


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