C.2 : go to the north


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August 17th 2017
Published: August 17th 2017
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Il est bien 10 heures quand je me réveille. Le soleil tape fort, il fait chaud dans ma petite tente, j’ouvre pour aérer et je me fais un festin de chocapic saucisson. Non pas en même temps pour les oreilles sensibles, mais l’un d’abord et comme ma faim n’est pas encore tarie, je l’écope de bonnes rondelles de mon saucisson basque. Fort de cette expérience, je vais en fait la renouveler tous les jours jusqu’à épuisement de mes réserves. Ce sera le seul et unique menu de mes repas quotidien pendant quatre jours. Vous l’avez compris hier, je ne suis pas un homme de raison.

Aujourd’hui marche sur Longford puis sur Carry on Shannon. Je croise un homme encore, à croire que les femmes se cachent ou fuient la compagnie des étrangers. Ce qui n’est pas forcément de mauvais augure. Cet homme en l’occurrence a besoin de compagnie, il m’avoue fuir sa femme et il est content de me trouver sur sa route. Je ne comprends pas tout mais suffisamment pour retenir que sa femme lui crie dessus. Faire un bout de chemin en silence lui fait du bien. Nous nous quittons reconnaissants, le chemin du retour sera celui de la réflexion pour lui.

La solitude me quitte vite, mon amie la pluie me retrouve dès ce deuxième jour et nous nous verrons tous les jours. Je suis un trop bon compagnon de route, sur le chemin comme dans ma vie, je ne sais pas trier mes amitiés. Il y a toujours une part de lumière avant la part d’ombre, la pluie a le mérite de nourrir la terre à défaut de nourrir mon enthousiasme. Au bout de 40 km je m’arrête, il fait nuit, l’accalmie de la pluie et le silence environnant me donne envie de planter ma tente. Il n’est « que » 22h mais je mérite de m’arrêter.

Marche monotone direction Sligo. Depuis hier j’ai quitté les sentiers battus que je ne retrouverai qu’aujourd’hui je l’espère. Au détour de quelques abris je ne fais pas encore fuir tout le monde. Un jeune vient me parler, son accent est compréhensible, il doit faire des efforts pour moi. Sous la pluie et à l’étranger, témoigner ! Je repars chantant, tout ne va pas si mal.

Collooney : trahison. Je ne fais pas de stop mais la pluie incessante doit me rendre misérable pour qu’une personne s’arrête
et me force à monter dans sa voiture. C’est un catholique très content de parler avec moi. Il me dépose à Coolaney. Dans le patois scout, j’ai « crassussé » 10 km. Crassus était un légionnaire romain doué pour sa ruse afin de manquer toute activité.

Ce n’est pas de mauvaise guerre : contre infortune bon cœur, à défaut de soleil le bon Dieu m’envoie des bonnes âmes.

Je suis dans le plein nord de l’Irlande, centre Ouest plutôt. A ma droite la mer, devant moi les premières montagnes que je dois gravir. Je marche ainsi jusqu’à la tombée de la nuit. Je dois réfléchir à mon troisième bivouac. Je sens, je dois me laver, le comble est que je me fais saucer depuis deux jours et que toutes mes affaires sont trempées. Mon odeur me fait braver l’impossible. Il fait froid, je suis en altitude, devant moi des forêts de pins tandis que dans le creux des vallées quelques fermes paisibles. La brume du soir s’installant je m’enfonce dans une petite rivière. Il y a un bon, un petit barrage, ce qui me permet de rêver à une fausse plage pour me laver, et à un faux lavoir pour frotter au savon mes premiers vêtements sales. Ce n’est pas de la tarte, frotter mes chaussettes boueuses me permettent de tenir dans cette eau glacée. Je la bois, je m’y nettoie et comble de joie : je mets des vêtements propres. Ceux que j’ai nettoyé ne sont finalement pas moins sec qu’avant, mais au moins sont-ils propre. Je continue à marcher une heure encore afin de me réchauffer avant de m’arrêter.

Il ne fait vraiment pas beau, des nuages et beaucoup de vent. Un vent terrible qui claque entre les pins en mouvements. C’est dans cette atmosphère que je construits mon premier campement en forêt. Ma bêtise de marcher le plus tard possible me fait perdre toute motivation d’allumer un feu dans cette forêt trempée, où aucun feu ne partirait sans un nouvel exploit de ma part. Je préfère dormir. La nuit ne sera pas terrible. Sentir bon ne fait pas tout. Le bruit des arbres en pleine bataille avec le vent m’impose un vacarme digne d’une bouche de métro. Et puis le froid. Ce froid sans pitié d’un mois de juillet sans aucune clémence ni cohérence. Ce qu’il fait froid. Je ne sais plus dans quelle position me mettre afin d’essayer de dormir un peu, dans les bras rêveurs et chauds de Morphée.

Je me lève, l’aurore commence à poindre, pas de temps à perdre : me réchauffer en marchant. Je démonte tout. Trouver un bivouac reste providentiel dans cette lande épaisse où les rocs, les pentes et les excréments de moutons empêchent toute surface plane et molle. Le sous-bois où j’étais n’était pas si mal en fin de compte. La mousse sur laquelle je dormais n’était pas chauffante, c’était tout. Le vent en haut des cimes reste toujours aussi impressionnant. Dans cette montagne à 7h du matin, aucun bruit, quelques clochettes de moutons, une humidité effarante, je me sens vraiment seul dans mon jardin. Ce n’était ni les palais de Dublin, ni les falaises de Sligo qui me donnèrent cette impression d’être dans un endroit comme nulle part ailleurs. La vie sauvage nous transporte loin jusque dans les origines de notre création. C’est cela qui rend une forêt comme toutes les autres, sous un temps morne et couvert, c’est cette vie sauvage qui rend un lieu unique au monde.

Je marche et marche encore, je suis dans les Ox Moutains et je quitte la forêt pour des sommets plus arides. L’absence d’arbre me donne cependant un meilleur panorama, je retrouve la mer au loin, ce qui fait battre mon cœur de marin. Depuis ce matin je n’ai croisé personne. Me voilà devant des éoliennes maintenant. Je pourrai jouer au chevalier fou que personne ne me verrait. La pluie redouble en intensité. Oui parce qu’il pleut comme toujours. Partez du principe qu’il pleut tout le temps, je vous le dirai bien assez quand le soleil sera là. La seule question est : peut-il assez faiblement pour me permettre de marcher. Là non.

Je suis abruti par ma fatigue et ma solitude. Je m’isole sur le chemin, emmitouflé dans sursac que j’utilise alors comme sarcophage. Mon heure n’est pas encore venue, un couple me sort de ma léthargie. Ils doivent vraiment me prendre pour un abruti sous son sac minable qui l’empêche seulement d’être fouetté par la pluie et non de rester sec. Ils venaient d’en face de moi, donc ils doivent s’en aller de derrière moi. Ils sont gênés de me laisser. Je les rassure, tout enfant de voyage que je dois être pour eux. Je leur réitère ma joie de faire ce que je fais, même de marcher sous la pluie. Alors quand dire c’est faire, je me lève et reprend mon chemin, plus convaincu par mon propre discours qu’eux même. La pluie n’arrête pas le « pilgrim ». Avec du recul la pluie est souvent mon compagnon de fortune durant mes expéditions. J’ai la malédiction du temps qui coule en mon sang breton. L’enfant de la pluie l’apporte sur les routes pèlerines qu’il entreprend.

Un village enfin, la fermière me regarde médusée. Un touriste sous la pluie ! « Ils ont que ça à faire les touristes de marcher toute la journée sous la pluie ». La pluie est vraiment très forte, sans mot dire je me mets sous l’abri de sa ferme. Je lui baragouine quelques mots mais je ne fais même plus l’effort de me faire comprendre. Ma situation de fait était assez éloquente. La fermière revient de sa surprise et me laisse finalement faire.

La pluie commence à ralentir, la fermière sort pour me proposer un morceau. Je l’assure ne pas vouloir la déranger en m’excusant de ne désirer alors que son abri. Il faudra ma fiancée bien des années plus tard pour que je comprenne qu’accepter c’est aussi faire plaisir à l’autre, de nous faire plaisir. Pour l’heure je suis encore plus orgueilleux, je n’ai besoin de personne, je suis un chevalier fou qui me bat contre les marées célestes. La fermière me trouve vraiment fou oui. « Pourquoi n’allez-vous pas en vacance au soleil ? » me demande-t-elle ? Ah je la comprends oui, quel décalage. Je suis dans un trou pommé, avec une météo des moins clémentes. Loin de tout office de tourisme j’arpente les sentiers d’Irlande. Je ne suis même pas Irlandais, et je veux faire le tour de ce pays. Serais-je français uniquement parce que mon pays s’est fait rattaché à la couronne de France ? Non je suis celte Madame, je fais le tour de votre pays, après avoir fait le tour du mien, la Bretagne. Je n’ai jamais fait le tour de la France, même si étant scout je l’ai arpentée sur des kilomètres. Ma chère Dame, que diriez-vous à un jeune parisien déraciné ? D’aller au Maroc en vacance se déraciner plus encore ? Non, mes vacances se sont mes racines, ma culture, mon sang et ma gloire. C’est tout ce que je recherche dans ce bro celtie, cette année c’est l’Irlande. Ma gloire c’est de marcher envers et contre tout dans votre pays trempés. La foi je la trouve sur vos visages qui me sont familiers. Je la trouve dans vos ajoncs, dans vos sentiers côtiers, dans vos pubs rythmés, dans votre solitude sauvage. Je dirai à mon frère lors d’une missive au cours de ma pérégrination, que les jeunes partent s’éclater en vacance. Mais moi je suis assez éclaté comme cela. Certes mon passé est particulier, mais la vie parisienne faite de labeur et d’études à répétition, de sorties pour se vider la tête parce qu’il faut constamment la remplir, non, moi je m’enracine en vacance, je ne m’éclate pas. Je me recentre.

Mon éloquence anglaise n’est pas allé aussi loin avec cette dame, je lui dis cependant en substance que la vie parisienne m’amène ici, le cloître annuel entre des murs bétonnés me vantent les paysages les merveilleux des terres inhabitées. Je lui dis aussi que mon but n’est pas de souffrir en vacance. Mais les épreuves artificielles, les histoires idiotes et mondaines, l’inhumanité dans laquelle se fréquente des millions d’habitants dans la capitale, tout cela enchante les vraies souffrances naturelles que me donnent les affres de la météo. Je lui dis enfin que je suis heureux de me retrouver seul avec Dieu dans la tranquillité de sa création.

Ma marche continue inexorablement. Je dois marcher contre le vent ce qui me ralentit beaucoup, mais me permet de sécher plus vite aussi. Monotone est ma route, les heures sont encore longues. Je sais cependant que je devrais arriver au Easky Lough. Je veux arriver là-bas et voir au plus près ce qu’il en est. C’est un grand lac de montagne. C’est toujours exaltant de trouver ce genre de grandes étendues d’eau au sommet des monts. Notre vue s’est habituée à un relief en cascade incessant puis nous tombons nez à nez avec un lac de montagne. Tout autour de nous n’est que pics acérés mais une étendue tranquille, plate que rien n’agite. L’eau dans la montagne, le plat dans la vallée, voilà de quoi rehausser mon moral et ma curiosité.

Le paysage change heureusement. Je suis en plein marais, le pied au sec pourtant. Des gros parpaings de bois juchent les chemins. Des cavaliers plantés dedans permettent au marcheur de ne pas glisser sur ces bois gorgé d’eau. C’est amusant et atypique. Je monte la montagne je la redescends. Le lac est toujours loin et hors de vue. La route est interminable et comble de tout : je n’ai plus d’eau.

Heureusement j’arrive dans un village, une femme (enfin !) très aimable accepte que je remplisse mon sac d’eau. Quand je ressors c’est pluie battante dehors. Rien qui ne donne envie de sortir. Je reste sur le pas de la porte tentant de m’abriter. La femme alors me propose de rentrer à nouveau chez elle. Je décline, lui assurant que dès que la pluie se calmerait je partirai. Voyant mon déterminisme austère elle m’invite juste à sonner chez elle si je voulais quoi que ce soit. Mon entêtement ne tient pas longtemps alors que la violence de la pluie recommence à me tremper. Je sonne, elle m’accueille avec un large sourire qui voudrait dire : victoire.

Son mari lisait le journal dans le salon au coin du feu. C’est un petit salon, une petite maison, un couple âgé à la retraite finalement heureux d’avoir de la compagnie. Cela va être le marathon de la compréhension pour moi de devoir discuter avec eux. Ils sont très gentils cependant, et c’est un langage que tout le monde comprend. Le thé arrive, puis les muffins. Je me réchauffe avec eux et suis heureux d’être là. Je reste gêné, crasseux que je suis avec mes gros sabots, de m’inviter dans leur salon feutré. Ils restent pourtant très simple et nous discutons plus d’une heure durant. Nous parlons un moment de tourbe, car c’est ce qui brûle dans leur cheminée. Il remarque mon inconnaissance de la chose, même en Bretagne nous nous réchauffons auprès de buches sèches et non de terre pétrie par les excréments de moutons et séchées à leur tour en briquette. Cela fonctionne pourtant et mon hôte est tout fier de me faire visiter son entrepôt de tourbe. Dans le salon il me lâche que « c’est pitié de devoir se chauffer à pareille saison ». Oui c’est grande pitié, pitié aussi de m’accueillir et de me nourrir, pitié pour que je puisse dormir ce soir sans geler.

J’arrive à Ballina, puis Crossmolina. Il fait encore jour mais plus pour longtemps. Je dois pousser jusqu’à trouver une lisière de forêt. Un vent très fort m’y oblige pour m’abriter. Je suis très heureux car le ciel s’éclaircit pour la première fois depuis deux jours. Je peine à marcher contre le vent, mais je me sèche, je hurle ma joie sans troubler quiconque étant à nouveau seul à monde, avec des grandes étendues à droite et à gauche. Et le vent est si fort que je ne m’entendrais pas moi-même si je ne criais. La nuit venue, arrivé dans la forêt, j’installe ma tente dès le premier plat trouvé. A peine installée qu’il se remet à pleuvoir des trombes.

Après-demain c’est dimanche, et je stresse un peu. Je dois bien étudier ma route car je dois être à Newport sans faute pour la messe là-bas. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus agréable quand on est marcheur sauvage. Devoir retourner dans une ville, en calculant l’itinéraire en fonction de l’horaire, c’est se sentir moins libre de ses mouvements. Mais comment ne pas rendre grâce à Dieu pour cette terre qu’il a créée et la vie qui la peuple ? Je ne serai qu’un vagabond si je marchais sans but. Tout tour de l’Irlande que je fais, je veux demeurer un pèlerin et je vais toujours à la messe dominicale quoiqu’il m’en coûte.



Que Dieu bénisse l’Irlande, ses paysages impressionnants, cette solitude retrouvée, ces déserts de landes, Easky Lough, les moutons mes seuls amis partout. Il pleut toujours dehors, mes chaussures commencent à souffrir du manque de sécheresse. Mais surtout, oh mon Dieu, sauvez nous de la pluie !

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18th August 2017

Très beau récit
Ca c'est du récit mon gars, cea donne trop envie ! Sans parler que j'aime bcp ton style d'écriture, j'ai lu le premier paragraphe et j'ai pas pu décrocher avant d'avoir fini :)
5th August 2019

merci vieux, un peu comme moi quand je regarde tes vidéos !

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