Ha Giang trekking blog


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Asia » Vietnam » Northeast » Ha Giang
December 26th 2010
Published: December 26th 2010
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Le ballet des deux-roues chargés de marchandises ne s'est pas interrompu.

Premier arrêt au cœur d'un petit marché sommaire où s'échangent vêtements et fruits entre des tas de détritus. Oranges, noix de coco et sa bogue verte, fruit du jacquier, dont l'épiderme est orné de petites aspérités triangulaires et régulières, pastèques mais également de nombreux légumes ornent les étals branlants. Un peu plus loin, halte salutaire pour estomac criant famine. Au menu : pousses de bambous et aubergines au vinaigre, porc grillé aux graines de sésame, morceaux de bœuf et ses oxalis, pousses de patates douces agrémentées d'ail, omelette aux herbes et riz. Pour la digestion, un thé vert particulièrement amer est servi mais il reste plus appétissant encore que l'alcool de riz contenu dans ces bocaux trônant sur l'étagère où barbotent cobras, scorpions ou autre bestiole tout aussi sympathique.

Nous reprenons la route. Peu à peu, le paysage devient plus vallonné. Des champs de thé vert courent sur les pentes douces. Ces arbustes sont régulièrement taillés, les feuilles tendres sont cueillies à la main puis séchées. Le summum du raffinement était paraît-il de faire manger ces feuilles de thé aux ruminants puis de les tuer pour en extraire l'élixir de thé de leur estomac...

Il existe quatre sortes de thé au Vietnam : le thé vert, le blanc, le jaune et le noir. Le thé blanc pousse à une altitude plus élevée. Le jaune est lui, parfumé avec des fleurs de lotus séchés. Les couleurs et la texture de la terre se sont également modifiées : ici le sable prédomine, des carrières sont creusées pour l'extraire et fabriquer des matériaux de construction.

Nous arrivons à Ha Giang où nous rejoignons notre hôtel aux couleurs bleu ciel. Un banian aux feuilles larges et coriaces, d'un vert clair apporte un peu de fraîcheur dans l'atmosphère encore lourde. Un bougainvillier mauve, des bonzaïs de ficus et d'autres arbres sont disposés tout autour de la cour. Le soir tombe, des cohortes de moustiques s'agitent en tous sens. Un peu plus tard, c'est au tour des lucioles : leurs mouvements rapides éclairent la pénombre de points luminescents éphémères. Une jeune fille vient échanger quelques mots en anglais. Son prénom correspond à celui de la bourgade « Giang » ce qui signifie « eau », son frère se nomme « Son » qui veut dire « montagne ». Ainsi certains prénoms font directement référence à des noms communs, souvent d'éléments naturels. Nuit bruyante et sommeil agité.

Une heure de bus nous sépare du point de départ de la randonnée. Nous longeons une rivière bordée de bananiers dont les stipes chargés s'allongent vers les flots, presque à portée de main. Çà et là, des roues à godets tournent sans relâche emportant au passage l'eau nécessaire à la culture du riz. Rassemblement des troupes autour de petites tasses de thé vert, très fort et presque froid. Les porteurs sont là, certains fument la pipe à eau ; d'autres trinquent, un verre d'alcool de riz à la main. Des enfants tournent autour de nous, très intrigués par le matériel sophistiqué que chacun emporte. Deux petits amoureux jouent sur un vélo démesurément grand.

C'est parti. Après quelques centaines de mètres sur la route goudronnée, nous obliquons vers un chemin. La montée est rude, il fait chaud, quelque chose comme 36°C. De temps à autre un air de vent agite les palmiers et sèche un peu la sueur qui s'empresse de perler à nouveau quelques secondes plus tard. Le regard est attiré par les éclats de micas dont le sable rouge est parsemé, ils reflètent et amplifient les rayons filtrant des nuages et en renvoient une lumière intense et irisée. A la première halte, nous découvrons ce magnifique sourire qu'arborent souvent les jeunes filles et les femmes vietnamiennes. Celles-ci appartiennent à l'ethnie des Mongs bariolés que nous retrouverons un peu plus loin au cours de notre voyage. D'autres pauses désaltérantes permettent de mieux apprécier la beauté des paysages, de détailler ces plantes nouvelles comme le gingembre ou le kapokier, d'admirer de près l'intrigante fleur de bananier.
Après quelque deux heures trente de montée, nous parvenons à un col derrière lequel se niche un village. Si les constructions s'intègrent si bien aux tonalités des paysages avoisinants, c'est que les matériaux de construction sont 100% naturels : les feuilles de palmiers et de bananiers pour le toit, les bambous pour les clôtures souples et basses, les essences de bois des forêts alentours pour les solides piliers et les planchers.

Des petits enclos aux formes variées délimitent les espaces de cultures légumières, à l'abri des animaux domestiques ou des prédateurs. Des poules et des canards picorent en toute liberté, de petits cochons noirs mais aussi des buffles se tiennent dans l'ombre des bâtiments.

Le sol de la maison d'accueil est en terre battue. Il y fait sombre mais bien plus frais qu'à l'extérieur. Il semble que tous les enfants du village se soient donnés rendez-vous ici justement.
Les petites filles sont déjà coquettes : elles portent souvent des colliers de perles ou d'argent. Hormis ces bijoux, les autres fantaisies que l'on peut voir se situent au niveau des sandalettes en plastique. Au- dessus du modèle de base en plastique blanc, vous trouvez celles avec incrustations de papillons roses ou de fleurs stylisées jaunes ou bleues...

Le pique-nique se déroule sur les nattes colorées. Les mangues bien mûres sont particulièrement appréciées. Après la séance photos ou aération des doigts de pieds selon les priorités, nous repartons. Le soleil s'est levé et renforce encore les contrastes des camaïeux de verts des arbres ou du riz, et l'ocre rouge de la terre. Sur ces paysages gorgés de lumière règne une atmosphère de calme et de paix, renforcée par ces tableaux idylliques : les buffles en train de paître ; cette famille se promenant abritée derrière une ombrelle.
Voici qu'apparaît l'arbre mythique de la route des épices : le cannelier. Ses feuilles ressemblent un peu à celle du laurier mais son écorce ne s'enroule pas comme dans mon imagination.Nous poursuivons notre route au travers de ces rizières patiemment sculptées et cultivées, nous observons quelques travaux des champs, des femmes surtout. Les rizières sont irriguées ici par les eaux des moussons. Chaque plateau surélevé sert de réservoir et l'eau s'écoule par un réseau de brèches ou par des rigoles de bambous grâce à la gravité. Nous passons à côté d'une maison isolée où le grand-père nous fait le salut militaire. Une petite turbine abritée par des feuilles de bananier tourne dans le courant d'eau situé à proximité. Cela permet d'alimenter une ampoule ou deux.

Le soleil rougeoie et commence à décliner lentement. Les derniers feux donnent à cette végétation touffue et verdoyante un charme fabuleux. Ce disque rond et pâle accroché au ciel et ces lianes luxuriantes du premier plan impriment ma mémoire et me font penser à un tableau du Douanier Rousseau. Un peu plus loin un hameau. Puis le chemin se prolonge en dalles de béton... un village plus conséquent apparaît, annoncé par quelques vélomoteurs pétaradants sur lesquels de jeunes hommes se dressent fiers comme des coqs. Sans se donner la peine de sourire, ils vous regardent droit dans les yeux, mi-méprisants, mi-indifférents. Nous repérons une rivière en contrebas pour nos ablutions futures.
Puis nous nous installons à l'étage d'une belle maison sur pilotis composée d'une première pièce aérée où les cuisiniers s'activent déjà pour le repas du soir, puis d'une salle tout en longueur au plancher en lattes de bambou sur lequel sont disposées nos nattes pour la nuit. Des ouvertures rectangulaires font entrer la lumière et seront fermées la nuit par des volets de bois. Il faudra également installer les moustiquaires aux piliers de bois qui soutiennent la maison. Avant que le soleil ne disparaisse nous filons nous glisser dans l'eau tiède. Ce bain réparateur ferait presque oublier la fatigue de cette première journée de marche. La profusion du souper achève de nous fortifier : frites à l'ail en apéritif puis rouleaux de printemps, porc grillé, salade de fleurs de bananiers, bœufs aux oignons, cristophine et pour faire glisser le tout, le fruit du dragon (Thanh Long) à l'écorce rose foncé et à la chair blanche piquetée de graines noires.Après quelques palabres, chacun se prépare pour la nuit, la première sous cet habitat. Des hôtes insoupçonnés se sont invités sous le balcon : un concert impromptu de coassements sonores se prolonge des heures durant. Le jour filtrant des volets de bois nous réveille les uns après les autres. Le carburant est prêt. Parfumé au citron ou au jasmin, le thé fera partie du rituel quotidien. Les gourdes remplies et les jambes fraîches, nous jetons un dernier regard sur l'architecture simple et confortable de notre abri et sur les hibiscus d'un beau rouge vif. Notre départ est hâté par le retentissement d'instruments de musique (un gong ?) au loin : un cortège funéraire s'avance à travers les rizières. Par discrétion, nous devons nous éloigner. Nous sommes parmi l'ethnie des Tay. A l'école, tous les enfants sont sagement alignés, un calot blanc sur la tête. Nous retraversons le village de Tân nam, puis la rivière aperçue la veille pour nous élever à travers les chemins pentus. Pas un souffle de vent ne vient renouveler l'air pesant, saturé de poussière ocre rouge.

A chaque pas, une découverte. Tout ce que nous connaissons déjà transformé, prêt à consommé est ici à l'état naturel : ainsi les arachides, ces frêles feuilles en forme de trèfle ou le teck, cet arbre aux fleurs blanches et au port majestueux tant exploité pour construire nos terrasses ou nos salles de bains... Nous reconnaissons le jacquier et ses gros fruits boursouflés, aperçus sur un marché. Là, en face, nous indique notre guide, c'est la forêt sacrée au sein de laquelle personne n'est autorisé à couper du bois car c'est le repaire des esprits. Il nous raconte également la survivance d'une étrange tradition. Avant de construire une maison pour s'installer, un jeune couple doit demander l'avis du chaman sur l'emplacement choisi. Celui-ci lance alors trois grains de riz à l'endroit désigné. Si le lendemain les grains n'ont pas été attaqués, cela signifie que les esprits sont favorables. Une grande solidarité et une bonne entente règnent en général au sein des villages : ainsi en cette occasion, de nombreux villageois participent à la nouvelle construction.

Nous rencontrons un papa et son jeune enfant, tous deux très souriants; des jeunes filles déménageant des vêtements sur une palanque. Puis, une femme gardant des buffles tout en cousant un panier annonce un second village où nos porteurs achèteront de toutes petites bananes. Un peu plus loin, nous saluons des femmes qui piochent vaillamment le sol pour déterrer un tuyau d'eau qui fuit. Toujours ensemble, toujours avec le sourire.
Juste avant de quitter le village, nous rencontrons une adorable vieille femme. Elle arbore fièrement ses 72 printemps et un large sourire qui laisse apparaître la noirceur des gencives frottées au bétel depuis si longtemps. La séance photo semble lui plaire particulièrement et le village retentit de son rire de petite fille. On ne peut nommer le bétel sans évoquer la légende qui s'y attache. Ainsi au temps du roi Hung, vivaient deux frères Tan et Lang qui se ressemblaient étrangement. Ils perdirent leurs parents très tôt et vinrent alors trouver le sage taoïste de la famille des Luu comme le veut la tradition. Le maître avait une fille de leur âge qui voulut épouser le frère aîné, Tan. Peu à peu l'époux se détacha de son jeune frère. Lang en souffrait. Un incident survint, aggravant encore sa peine : rentrant un soir des champs, Lang pénétra le premier dans la maison où régnait l'obscurité. Sa belle-sœur le prenant pour son mari l'accueillit à bras ouverts. Tan arrivant sur ces entrefaites en conçus d'injustes soupçons. Lang, n'en pouvant plus, s'enfuit un matin de très bonne heure. Traversant bois et fourrés, il arriva sur le bord d'une rivière. Epuisé, n'ayant point songé à emporter quelques vivres, il se laissa tomber sur le sol et se mit à pleurer. La nuit tomba, une rosée froide imprégna son corps et il mourut sur la berge. Les génies, le voyant mort de tant d'amour, le changèrent en un rocher. Le remords envahit le cœur de Tan et une inquiétude lancinante s'empara de lui. Un matin, n'y tenant plus, il laissa sa jeune femme endormie et partit droit devant lui. Pas la moindre trace. Il marchait, sans repos. Epuisé, affamé, il parvint au pied d'un rocher solitaire. Il le gravit, espérant de là-haut apercevoir quelqu'un. L'escalade eut raison de ses dernières forces et il mourut en embrassant la pierre de ses bras. Les génies le changèrent alors en un arbre droit et svelte.

Seule à la maison, l'épouse de Tan se désolait. Elle acquit bientôt la certitude que Tan était parti à la recherche de son jeune frère. Alors, elle se mit elle aussi en quête du fugitif. Elle marcha longtemps, longtemps. Un soir, vaincue par la fatigue et la faim, elle parvint à un rocher isolé que surmontait un arbre. La jeune femme embrassa le tronc de l'aréquier et mourut dans cet ultime effort. Alors les génies la transformèrent en une plante grimpante, la liane à bétel. A quelque temps de là, une terrible sécheresse s'abattit sur le Vietnam, brûlant toute la végétation. Seuls l'aréquier et la liane à bétel survécurent. Le roi Hung se rendit lui-même sur les lieux pour constater ce prodige. Emerveillé, il fit cueillir une noix d'arec et des feuilles de bétel qu'il mâcha. Il en trouva la saveur agréable et comme un jet de salive tomba sur le rocher calcaire, il fut surpris de la teinte rouge qu'il vit apparaître. C'est de cette lointaine époque que date l'usage de la chique de bétel et de la tradition de l'offrir pour les mariages, symbole d'une union qui se perpétue jusque dans la mort. L'ensemble des ingrédients est gardé précieusement dans des petits coffrets. Sur la feuille de bétel, il faut déposer une goutte de chaux, la noix d'arec et un morceau d'écorce de jambosier qui servira de gomme à mâcher. Ensuite, la feuille est enroulée et prête à être ingurgitée. Un peu d'eau est nécessaire pour rendre le mélange homogène. Elle sera ensuite recrachée. Le chewing gum est maintenant parfaitement constitué et peut distiller son amertume.

Nous poursuivons notre route à travers rizières, forêts et villages, le rythme de la marche permettant de saisir un instant le pouls de cette vie paysanne. Le personnage du chaman nous intrigue. Quelques bribes sur son compte ont été distillées au cours de la journée. C'est une sorte de sorcier, mémoire des peuples des montagnes, livre ouvert des rites ancestraux et des usages des plantes. La charge se transmet de père en fils depuis la nuit des temps. Nous voulons en savoir davantage mais il nous faudra patienter encore.

Une odeur suave envahit soudain l'atmosphère... c'est celle du longanier : ses fruits ne payent pas de mine avec leur coque brunâtre accrochée à une brindille. Une fois ouverte, s'échappe un globe blanc dont l'aspect et le goût se rapprochent de ceux du litchi. Un délice bien rafraîchissant. Plantation de manioc et leçon de choses : Minh déterre un plant pour nous montrer les tubercules accrochés à la racine de l'arbuste.

Montées et descentes en pente douce se succèdent au cœur de cette chaleur moite et étouffante. Le climat semble particulièrement favorable aux volatiles de tout poil : canards, poules et autres gallinacés pullulent. Leur nombre est impressionnant. En toute fin de matinée, nous faisons halte chez une famille qui nous accueille pour le dîner. Maison sur pilotis entourée d'enclos et d'abris pour les cochons et les chèvres. Toits en palmiers. Nous nous déchaussons avant d'accéder à l'étage. Le parquet est particulièrement beau, d'un éclat poli et doux au toucher. Même composition : deux grandes pièces prolongées par des terrasses. Une jeune fille assise en tailleur coupe des rondelles de manioc destinées à la fabrication d'alcool ou à la nourriture des cochons. Un jeune homme se tient debout de l'autre côté de la terrasse et tranche des tiges de bananiers puis les pilent dans un mortier. Cette bouillie servira également de ration pour les cochons.

La pièce de vie est meublée succinctement : un berceau, deux grands lits, une petite table basse et un meuble supportant à la fois l'autel des ancêtres... et la télévision. Les vêtements, les nattes et tout le matériel sont rangés dans les cases aménagées sous le toit. Grands-parents, parents, enfants : tous vivent sous le même toit. Pourtant, il est bien difficile de leur donner un âge, il semble même que l'état « intermédiaire » entre la jeune femme et la personne âgée soit fugace tant on rencontre peu de femmes que l'on qualifierait d'âge moyen.

Dans la grande pièce, une femme allaite son enfant, une autre tente de lui donner un peu de viande. Si les jouets sont rares, les enfants profitent d'une présence maternelle très forte.

Les nattes sont étendues pour le repas, un petit cochon noir a été égorgé pour l'occasion. Nous assistons à loisir à la préparation des boudins et à la cuisson. Le porc grillé sera agrémenté notamment de pousses de papayes ramassées en cours de route par les porteurs.
Après le repas, c'est l'heure du feuilleton chinois à l'eau de rose, doublé en décalage et par une voix monocorde que le personnage soit masculin ou féminin. Ces épisodes semblent très populaires puisque nous les retrouverons très souvent dans nos haltes.

Nous reprenons la route en début d'après-midi. L'air s'est encore alourdi. Nous franchissons de nombreuses barrières de bambous au travers des chemins : elles délimitent les espaces pour les troupeaux. Nous entrons dans le territoire des Daos à tuniques. Le costume, partie intégrante de l'identité d'une ethnie, est le plus souvent porté par les femmes. Chez les Daos, il se compose d'une robe tunique noire bordée de rouge au niveau des manches, de la ceinture, du col et du bas du vêtement. Deux bandes rouges sont également présentes sur les côtés.

Nous croisons un grand- père que le guide semble bien connaître. Il est fier de nous présenter son petit- fils qui porte un bonnet chargé de médailles censées le protéger du mauvais œil. Des jeunes filles Dao descendent de lourdes poutres de bois sur leurs épaules. Un peu plus loin, nous passons près d'un homme affairé : il achève de tendre sur une toile une pâte blanche de faible épaisseur. Celle-ci se compose de riz et de feuilles de mûrier pour donner, une fois séchée, le fameux papier de riz.

La journée s'étire, la moiteur a transpercé les vêtements. Une rigole d'eau fraîche est à portée de gourde et de mains : arrosage collectif. Nous arrivons : chevaux et coucher de soleil sur la palmeraie. Des jeunes jouent au volley-ball sur un terrain poussiéreux : je les rejoins pour échanger quelques balles. L'orage gronde. Est-ce parce que le ciel s'est obscurci que la maison sur pilotis paraît bien plus sombre que celles déjà vues ou est-ce l'essence de bois et la proximité de la végétation qui donne cette impression ?
Nous installons nos nattes : nous sommes près de l'âtre et de la porte : ce n'est pas la position la plus tranquille. Ce soir, purée maison à l'ail ... pas très exotique mais tellement bon. La nuit sera agitée : l'orage a éclaté en même temps que les sanglots d'un enfant malade que sa mère n'arrive à calmer qu'après de longues allées et venues. Puis c'est le néon qui joue au stroboscope dans un bourdonnement d'essaim de guêpes. Dès 5h, les hôtes s'affairent dans un va-et-vient incessant. Pour le petit déjeuner, ils nous ont préparé des crêpes à la banane, délicieuses. Le lever sera pourtant difficile malgré ces odeurs appétissantes.Ce sera une journée de marche plus courte, essentiellement de la descente, à travers champs et bois. Nous croisons un système ingénieux de décorticage du riz par la force de l'eau : un tuyau de bambou canalise l'eau ruisselante et se déverse dans un manche creusé. Le poids de l'eau fait monter le pilon situé à l'autre extrémité. En descendant, le manche se vide et fait descendre le pilon qui retombe sur le riz contenu dans un mortier et ainsi de suite. Un bruissement d'eau, nous arrivons à une cascade.C'est l'effervescence : des jeunes gens creusent la pierre pour faciliter l'écoulement de l'eau lors des crues. Un peu plus haut, une forge où s'appliquent deux gaillards, l'un à l'activation du soufflet, l'autre à l'élaboration de burins nécessaires au percement des roches en contrebas. Un astucieux escalier, taillé dans un gros bambou permet de franchir aisément les différences de niveaux. A quelques pas, nombreux sont ceux qui participent à la construction d'un bâtiment public, en bois clair. Les uns scient, les autres rabotent, d'autres encore mesurent ou ajustent les planches. Les outils sont rudimentaires, le mètre un morceau de bambou. Tous ces travailleurs lèvent le nez pour nous voir traverser la rivière à pied, guettant certainement une glissade ou une perte de cargaison qui les auraient distraits. Heureusement pour nous, tout se passa sans encombres. Passés sur l'autre rive, nous remontons. Des blocs erratiques de pierres grises ont échoué çà et là et ponctuent le paysage. En face, les flancs des collines ne sont pas assez exposés pour pratiquer la culture en terrasse. C'est la culture sur brûlis qui est encore adoptée au vu des pentes calcinées.Les arbres sont coupés à la saison sèche et les abattis brûlés, ensuite ont lieu le semis, la plantation sur les cendres. L'essart ainsi obtenu n'est ni irrigué, ni labouré et peut être exploité quelques années, parfois une seule, avant d'être laissé au repos.

Une jeune femme empruntant le même chemin que nous entame la conversation. La langue est une barrière mais avec les gestes nous parvenons à échanger. De nouveau des rizières et des buffles. Nous arrivons à la bourgade de Quang Nguyên en fin de matinée. Une maison sur pilotis, propre et accueillante nous ouvre ses portes. Le repas du midi se compose d'un bouillon de nouilles, d'aromates et d'œufs. Sieste et massages occupent une bonne partie de l'après-midi puis nous déambulons dans la rue principale du village qui dispose d'équipements plus sophistiqués. En effet, en plus de l'école, on trouve un dispensaire et un bureau de poste et de téléphone, devant lesquels, comme devant tout bâtiment public, flotte le drapeau rouge à l'étoile jaune. Des petites boutiques, un boucher, un moulin électrique bordent ce village-rue.
En contrebas, au milieu de la rivière, un camion s'enlise dégageant un épais nuage noir. Un peu plus loin, des femmes, l'eau jusqu'aux genoux, lèvent un filet de pêche. Des grappes d'enfants jouent, se bousculent et crient. La plupart salue les étrangers du sésame « Hello ». Retour au bercail et discussion animée autour de chips de crevettes suintant de graisse. Notre guide expose sa vision de la société. Une société régie par les équilibres du ying et du yang, où l'homme doit assurer son rôle et maintenir une autorité sur son épouse, où il est inconvenant qu'une femme gagne plus qu'un homme ou soit plus ambitieuse, où l'homme ne doit jamais perdre la face. Il indique ainsi qu'avant le mariage, la jeune fille veille à montrer son éducation à sa future belle-mère qui est particulièrement attentive au respect de la tradition et des bonnes manières. Ces dernières consistent aussi bien à savoir couper en petits morceaux la nourriture proposée qu'à respecter la place attribuée à la femme. En effet, sur un lit, la femme ne doit jamais s'asseoir à l'endroit où l'homme pose sa tête...

Surconsommation d'électricité, tout se coupe vers 19h30 après un copieux repas à base de chèvre. Tout le monde s'endort tôt et dans le plus grand calme : une journée sportive nous attend le lendemain avec quelque 9 heures d'efforts.

La marche d'approche, longue et brumeuse, se déroule sur des chemins de terre rouge en bon état. Nous attaquons les choses sérieuses après 2 heures. La température est fraîche et le brouillard épais ce qui offre l'avantage d'échapper aux sangsues qui n'auraient pas manqué de savourer le sang neuf mais l'inconvénient de ne pas profiter du nouveau paysage offert. Si les porteurs se soutiennent à l'alcool de riz, j'avale, pour ma part, à deux reprises un petit sachet de granulés, amers et sucrés. Indication thérapeutique du « Korean Ginseng », un bon coup de fouet. Aucune image de la traversée -pourtant exceptionnelle- de la forêt tropicale ne s'est imprimée dans mon esprit. Les yeux rivés au sol, je ne garde le souvenir que d'un dédale de troncs et de pierres plates, de terre ocre jaune virant à la boue à mesure que le brouillard se transforme en bruine.
Il y a bien quelques flashs qui subsistent : des fougères arborescentes, des lianes épiphytes, des conifères. Comme nous approchons de la frontière chinoise, un officier nous accompagne pour cette partie du chemin : il m'offre un bouquet, mince témoignage de la beauté de la flore croisée. Nous sortons de la forêt dense, il fait froid, ce qui explique également que la faune ne se soit pas davantage manifestée lors de notre traversée en forêt. Des villageois descendent également, ils sont pieds nus ! Les premiers arrivés ont allumé un feu. Dégustation de boules de riz au thon. Nous ne traînons pas et repartons pour une courte descente qui nous amène au gîte du soir, parmi l'ethnie des Nungs. De nouveau une belle maison sur pilotis. Une petite turbine toute proche ronronne dans le courant d'eau. Un coq est coursé pour le repas du soir. Nous nous installons près du feu et nous laissons emporter par le récit de Minh qui nous en révèle un peu plus sur le chaman. Son rôle est important et mystérieux : il a des pouvoirs de guérisseur acquis notamment grâce à une grande connaissance des plantes et de leurs usages mais il peut aussi avoir un rôle maléfique.

Il peut arriver par exemple, une fois par an, que le chaman d'un village désigne mentalement une victime et l'empoisonne. Le seul espoir de cette dernière est d'aller quérir l'antidote chez un autre chaman.

Les rituels notamment ceux de l'initiation, du mariage et de l'enterrement sont propres à chaque ethnie. Au cours de ces cérémonies , le chaman tient souvent un rôle majeur.

Chez les Dao à tuniques, les garçons sont initiés vers l'âge de treize ans. A cette occasion, tous les animaux que possède la famille doivent être tués et partagés avec les villageois. Cette pratique est coûteuse mais essentielle : l'initiation d'un garçon pour une famille vietnamienne est en effet une grande fierté car c'est lui sui sera le garant du culte des ancêtres. Ce dernier consiste notamment à se remémorer les faits et gestes des ancêtres sur neuf générations et à les prier.
Le mariage est également très codifié. Il dure trois jours. Le chaman intervient de nouveau : il prépare les mariés et animera la cérémonie. L'homme est isolé sur l'une des terrasses attenantes aux grandes pièces des maisons sur pilotis afin de méditer sur son sort futur. Il est drapé d'une étoffe de couleur jaune. Pendant ce temps, les familles des mariés et les villageois partagent un repas bien arrosé dans la grande pièce. Après cette journée, le jeune homme dort une dernière fois seul. Le lendemain, la mariée, revêtue du tissu jaune offert par le jeune homme, parcourt tout le village. La maison est prête : des jeunes filles accueillent les personnes sur le seuil de la porte principale et les invitent à chanter. Un bateau en feuilles de bananier est symbolisé sur le sol, les époux le traversent et se dirigent vers les chamans. La cérémonie peut commencer : les ancêtres sont honorés et la vie de futurs époux jusqu'à cet instant est détaillée devant l'autel des ancêtres. Puis les repas se succèdent. Le couple ira vivre entre trois et cinq ans chez les parents de la mariée puis retournera ensuite chez les parents du mari.

L'enterrement suit également un protocole particulier à chaque ethnie. De manière générale, la tradition est d'enterrer les morts dans des cercueils selon une géographie précise liée à la symbolique du dragon dont chaque partie du corps est représentée par un élément naturel comme la rizière ou la montagne. L'enterrement est un événement joyeux pour les personnes ayant atteint un âge honorable (70 ans) : elles vont ainsi rejoindre les ancêtres. La cérémonie est rythmée par les lamentations des pleureuses et par des musiques. Au bout de trois ans, les morts sont déterrés, les os nettoyés et conservés dans des boîtes et de nouveau enterrés, cette fois dans une autre partie du corps du dragon. Cela explique l'observation de tombes ou de stèles disséminées au sein des rizières ou des champs cultivés.

Le repas est servi dans une maison voisine. Les porteurs sont déjà bien échauffés par l'alcool de riz : c'est leur dernière nuit ensemble. Les « Tchu tchu coué » ou « tchin tchin » vont bon train. L'hôtesse fait également plusieurs fois le tour de notre groupe mais obtient moins de succès qu'avec les autochtones...que nous laissons à la fête pour regagner notre duvet. Le feu se meurt dans l'âtre, il ne fait pas bien chaud. Nous nous endormons bercés par le bruit de l'eau jaillissante et par les rires lointains. Réveil sous la brume puis nous repartons pour cinq heures de marche.
Les paysages se sont modifiés : ici le climat ne permet qu'une récolte de riz par an. C'est l'époque de la mise en eau des parcelles ou du repiquage. On trouve également des cultures de maïs ou de légumes. Les paysages sont splendides : maisons nichées au cœur des replis de la montagne, miroirs d'eau aux formes harmonieuses, étages infinis d'un palais naturel conduisant à la rivière en contrebas, palette complète de tons de l'ocre au vert le plus pâle.

Une paysanne lance par poignée l'engrais sous forme de grains ronds et blancs, contenus dans un large panier. Une jeune femme souriante, quelques légumes dans les bras, poursuit sa route dans l'autre sens. Nous croisons également l'ancêtre de la brouette, tout en bois : cadre, essieu et roue. Les femmes de l'ethnie des Nungs sont reconnaissables à leur corsage bleu, leur jupe noire et leur foulard à carreaux à dominance verte ou bleue.
Un chantier de construction de rizière : toutes les bonnes volontés s'y mettent et s'alignent le long du premier niveau délimité. Les outils sont sommaires : pioches pour les femmes, binettes larges et courbes pour les hommes, semelle de bois reliée à trois cordes pour évacuer la terre vers le bas. Un peu plus loin, c'est séance de gymnastique à l'école communale. Des élèves sont également sagement assis devant des pupitres rudimentaires. Nous contournons la vallée pour continuer notre descente. Davantage de troupeaux : buffles, vaches à bosses et chèvres essentiellement. Forêt de jeunes pins. Nous apercevons maintenant la ville de Xin man, tout en bas. Le chemin est très fréquenté, notamment par des enfants. Pont suspendu au- dessus de la rivière, de petites criques invitent à la baignade mais il nous faut remonter jusqu'au village, tout là haut, il fait de nouveau chaud. Le trek touche à sa fin : nous remercions les porteurs après un dernier repas ensemble puis nous gagnons l'hôtel Gia Long pour une bonne douche presque tiède et une sieste dans un vrai lit. L'après midi passe très vite entre des échanges de badminton avec des jeunes rencontrés dans une cour, quelques pas dans les rues de la petite ville où les marchands ambulants tiennent le haut du pavé. Il paraît qu'il y avait un étal de viande de chien : nous nous sommes contentés d'un ravitaillement de baume du tigre, le médicament miracle ici. Même petit restaurant que le midi : choux ; liserons des marais, porc bien gras, boulettes de bœuf et une mangue en dessert. Malgré un coucher à une heure tout à fait raisonnable, nous ne pouvons trouver le sommeil que tard dans la nuit : notre chambre jouxte une pseudo discothèqu

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