Harar (ሐረር), Ethiopia (ou Les Enfants Martyrs)


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Africa » Ethiopia » Harari Region
March 26th 2019
Published: March 27th 2019
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25-26-27 mars

"L'hyène pour la frapper, derrière l'âne tu dois te cacher" Proverbe Éthiopien



(Enfin à Harar)

Je me réveille dans un bel hôtel déniché à la va-vite dans mon Lonely Planet, tout juste avant mon parachutage sur Harar hier en fin d'après-midi: 30$ la nuit, et ce sera sans aucun doute le plus bel endroit où j'aurai dormi en Éthiopie.



À Dire Dawa, les chauffeurs de mini-bus ont été particulièrement voraces. Le peu de touristes ici a visiblement affamé la cohorte de charognards.



L'heure de transport séparant Dire Dawa (256 800 habitants) à Harar (196 000 habitants) a été particulièrement intérressante alors, qu'entassé à 20 dans la boîte mobile à moins de 50 Birr (moins de 2.50$ canadien chacun), une discussion envenimée a éclatée en amharique entre un regard fâché sous une burqa parfumée de curcuma et puis le jeune crieur-vendeur de ticket: ce dernier lui aurait chargé un 0.25$ de trop (enfin, c'est ce que je crois avoir compris).

On est prêt à se battre pour ses sous ici.

...

Tranquillement, je me remet de l'assommant trajet de bus d'hier (pas "assommant trajet de train", je précise). Quelques jours ici me permettront de ressusciter de ce coma enclenché par les transports.



Harar est une ville ne ressemblant à aucune de celles que j'ai visitées jusqu'à présent en Éthiopie. Majoritairement musulmane, la cité cache parfois ses femmes sous des voiles maintenant très colorés, avec des dorures et de la dentelle, multicolore ou monochrome comme des abat-jour.

Centrale, la vieille-ville fortifiée me rappelle Fès ou certains endroits labyrinthiques du Maroc. Dans ses rues, la pauvreté est criante. Des corps inertes et cadavériques jonchent les recoins ombragés, mi-nus et noir de mouches. Certains dorment peut-être, tête moulée sur une vieille godasse, tandis que d'autres, avec leurs yeux filtrés de lépreux, mâchouillent avec nonchalance du tchat, comateux et éparpillés dans des nids de feuillage, d'urine et de crachats comme d'imbéciles chevreaux.

(Tchat: drogue stimulante et addictive, sous forme de feuille, un peu comme la feuille de coca en Amérique du sud).



Groupés, des orphelins misérables rôdent ici aussi, en quête de petits larcins. À la vue d'un farangi (touriste), ils s'approchent en meute pour quêter, prêt à lancer des cailloux en cas de refus. "Safe city" que m'a pourtant dit un guide. "Safe city because people very religeous. Just be carefull with the kids" qu'il ajouta par la suite.

Certes, les gredins de la campagnarde Lalibela s'essayaient sans arrêt à se connecter aux touristes, mais dans les villes, particulièrement à Harar, les enfants chancreux, sans foi ni loi, sont prêt à tout pour survivre. Ce sont les enfants martyrs, et puis les vieillards aussi qui sont les premiers à souffrir dans les Pays sans espoir.



J'hésite à sortir mon appareil-photo dans la vieille-ville d'Harar. Pas que je sois spécialement nerveux de me le faire voler mais plutôt parce que je me sentirais honteux d'exhiber, dans cette âpre pauvreté, un jouet valant plus de deux année de nourriture pour un éthiopien. Bon. Il est vrai que je m'attendais à assister à de si tristes tableaux de misère en venant dans ce Pays. Mais si vous saviez combien le fossé est grand entre un Robert qui quête au Métro Crémazie pour s'acheter un paquet de MarkTen… et le fait d'enjamber un bébé nu qui dors sur un carton sale au milieu du trottoir.

...

Au coeur de la vieille-ville d'Harar se trouvent des musées dont celui du poète Arthur Rimbaud (1854-1891) qui, déçu de ses échecs littéraires passés, se serait installé ici, à Harar, pour se consacrer à du commerce louche de transport d'armes.



Alors que j'examine quelques photos en noir et blanc présentées au deuxième étage du Centre Arthur Rimbaud, un pop se fait entendre dans la ville, tout près d'où je me trouve: un pop en écho comme éclaterait la chambre-à-air d'un pneu de vélo. Pop.

J'ose un coup d'oeil par le volet d'une des fenêtres alors que dans le ciel, une nuée de rapaces, surpris par l'éclat soudain, vient de s'élever au dessus de la scène. Un mouvement de foule brouille le quadrilatère devant moi alors qu'une suite de pop s'ajoute en moulinet. 7 ou 8 coups peut-être: pop pop pop. Puis des hurlements et de la panique: là-bas, on a ouvert le feu.



Seul au deuxième étage du musée vide, recroquevillé, je me cache alors derrière un mur de plâtre comme si j'étais (peut-être) dans un jeux vidéo (... et n'est-ce pas ce qu'ils font dans les films aussi?) Il me faudra quelques secondes pour que l'information se rende à mon cerveau et pour que je comprenne que ces inhabituels sons de pop... se confirment… soudainement.. en coups de feu.

C'est que ça n'arrive pas ces choses là.



Je demeure donc derrière le mur, quelques minutes, nerveux, transpirant… alors que dans le brouhaha sous la fenêtre, une sirène rapidement se fait entendre. Aussitôt, un véhicule s'alarme pour rapidement s'éloigner du quadrilatère en urgence.

… puis le silence...



Et enfin, aussi rapidement que tout a éclaté, ce seront des marmonnements incessants qui closeront l'acte. Les rapaces reprendront tranquillement leur perchoir, m'annonçant peut-être que la voie est maintenant libre pour presque m'enfuir. Il va sans dire que je quittai rapidement la vieille ville après l'événement...

alors que rien ni personne ici ne semble énervé ou même conscient de la toute récente tragédie.



La version officielle serait qu'un voleur de tapis aurait été abattu. Mais la réalité serait beaucoup plus complexe: les heurts avec les forces de l'ordre ne sont pas rares ici paraît-il. "People are starving" que m'a informé après coup un brillant retraité dans les jardins d'une église.

"Ethiopia now in between something".

...



18h45.

Un bajaj (tuk tuk) ronronne à la porte de mon hôtel. Le jour doucement s'éteint alors que j'y prend place, accompagné d'un jeune guide bilingue connaissant quelques secrets sur Harar.

À l'orée de la vieille ville, depuis 1950, un vieil harari nourrit une horde de hyènes à la tombée de la nuit. Auparavant, les bêtes erraient à l'intérieur des murs, s'attaquant aux troupeaux et terrorisant les villageois. Et puis cet homme comprit qu'en les nourrissant, les bêtes arrêteraient d'hanter la ville. Voilà. Aujourd'hui, les touristes partent de loin pour être si près des hyènes. 



C'est au bout d'une route de gravier, au sortir de l'Erer Gate que mon bajaj s'arrête. Il n'y a que des champs devant nous, et puis quelques lumières floues de bâtiments au loin aussi. Rien ne laisse présager que des hyènes à quelque part, rôdent.

Le vieil harari déverse de la charogne sanglante sur le sol: des viscères de bovins et des lanières de peau de chèvres. Et puis l'homme se mets à siffler dans la noirceur, en lançant dans l'air des suites de syllabes comme des incantations.

Mon guide me le confirme: "he's calling them".



Le moteur de mon bajaj gronde toujours alors que ses phares illuminent un corridor en entonnoir dans le gravier. Le sorcier re siffle. D'un instant à l'autre, un portail s'ouvrira peut-être, laissant les bêtes sortir de l'enfer en rigolant:

gni gni gni.



Soudainement, le sorcier pointe sa lampe de poche sur un coin de noirceur inéclairé par le bajaj: une apparition, un monstre hirsute se poste là, avec son regard jaune et réfléchissant comme un panneau de signalisation dans la nuit. La hyène ne bouge pas, fixé dans le rayon de lumière comme une gargouille.

Maintenant assis sur un rocher usé et presque moulé à son derrière, le sorcier se mets à propulser des bouts de chair qu'il puise dans un panier en un mouvement de pêche-à-la-mouche. Dans la pénombre, d'autres hyènes passent furtivement, incertaines encore, attendant la première morsure de l'éclaireur. D'autres sifflements, puis d'autres incantations, et voilà que le premier démon s'avance enfin vers nous, à pas feutrés de prédateur, en trappant un bout de viande poussiéré sur le sol.

Rires derrière les rideaux, gni gni gni: la troupe peut maintenant brûler les planches. 



Quelques hyènes oseront s'approcher, pas à pas vers les bouchées de chair semées par le sorcier: sept ou huit bêtes tout au plus (quand même). Dos recourbés, presqu'en mouvement de devenir bipèdes, elles pinceront du bout des dents la viande, pour reculer rapidement par la suite, encore résistantes à cet anormal rapprochement avec l'être humain. Rares seront les hyènes qui viendront attraper directement les morceaux pendus au bout de la baguette du sorcier. Sauvages, ces bêtes ne sont pas fait pour être domestiquées.



Alors que je m'active à mitrailler de photos les nerveuses hyènes, voilà que les quelques touristes, discrètement, haussent le ton, murmurant comme lors de l'irruption sur l'arène d'un lutteur vedette. Sorti de l'obscurité, un Bélial fait son entrée, éclipsant la pâle présence des autres hyènes. "Go sit, go sit" que me lance mon guide, en m'invitant à aller rejoindre le sorcier sur son trône.

Je m'approche alors... et me colle au vieil harari qui me remet d'un coup son perchoir à viande. Sans faire la file, l'horrible Bélial s'approche, me pousse sans gêne et vient déclencher sa gueule de piège sur le bout de charogne suspendu, à deux pouces de mon nez. La hyène, dit-on, a la mâchoire la plus puissante de tout le règne animal.



Excité plus qu'effrayé, je nourris la bête à quelques reprises, comme ça, me faisant presque renverser à chaque fois par le glouton diabolique. Voilà. C'est exactement pour cette expérience que j'ai poussé l'audace de mon voyage jusqu'ici, presqu'au Djibouti. Ça valait certainement un 12 heures de bus ça (ou de pas-de-train).

...



Mes derniers jours se passeront donc ici, à ce presque luxueux hôtel d'Harar, là où j'ai osé mes dodos sous les couvertures, hors de mon sleeping bag. Les puces de lit sont un réel fléau pour les voyageurs, et avec le temps, je suis rendu très prudent.

Les gens de l'hôtel et des restos me reconnaîtront, presqu'à m'appeler par mon prénom ici. Malgré la déchirante pauvreté et les tragédies sur Harar, mon choix de m'éloigner d'Addis Ababa pour mes derniers jours éthiopiens aura certainement été le bon. Il me restera juste à devoir répéter ce 12 heures de bus… au retour vers la capitale maintenant.



Etienne X 



Notes à Moi-Même:

1- Ne pas acheter de souliers Adidos ou Niek

2- Les shoe-shine boys sont des pros.

L'un d'eux à nettoyé et ciré mes bottes de trek comme personne ne l'avait déjà fait.

Il a même lavé mes lacets, c'est pas peu dire.

Parce que je suis blanc, il m'a chargé le triple du prix: j'ai payé 30 Birr (1.50$) au lieu de 10 Birr (0.50$)

Jamais mes belles bottes brunes en cuir n'auront brillées autant.

Le seul hic...

c'est qu'elles sont maintenant rendu rouge-vin.

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