Adieu Aberdeen


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November 21st 2008
Published: November 21st 2008
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Et voilà, après 5 semaines à galèrer dans ce qui s’est avéré l’un des pires hôtels d’Aberdeen, nous avons finalement démissionné, excédés par le bordel inimaginable qui nous tombait dessus à chaque fois que nous passions la porte de cet endroit maudit. Et je n’exagère même pas. Durant ces dernières semaines, il nous est arrivé, et surtout à moi qui, en tant que réceptionniste, doit gérer toutes les doléances et tous les pépins qui surviennent dans l’hôtel, tous les problèmes possibles dans le domaine de l’hôtellerie. Je pense que la seule chose qui ne soit pas survenue est un feu. Et encore, il y en a eu un, mais nous ne travaillions pas à ce moment-là. Un matin, le gardien de nuit a senti une odeur de fumée. Il s’agissait d’un feu dans la cheminée non ramonée depuis Dieu seul sait quand. Est-ce que cela nous a empêchés de refaire un feu dans ce foyer le lendemain ? Pas du tout. Ce qui est d’autant plus troublant quand on sait que l’alarme d’incendie ne s’est même pas déclenchée malgré la présence de fumée noire dans le hall d’entrée.
C’est bien simple, les problèmes me collent à la peau à la minute où je commence mon quart de travail et ça n’arrête jamais. Entre les clés qui disparaissent, en particulier celles de la cave à vin au point où l’on en arrive parfois à servir le vin quasiment au moment du dessert, les femmes de ménage qui finissent rarement de nettoyer les chambres avant 17 hrs et les clients obligés d’attendre dans le bar qu’elles soient prêtes, le système informatique fréquemment en panne et les employés qui ne rentrent pas travailler, car ils ont la gueule de bois, il est impossible de s’ennuyer dans ce travail.
La semaine dernière, durant un mariage de plus de cent invités, alors que l’hôtel était complet, nous n’avions plus un seul penny en monnaie pour faire fonctionner le bar, les cuisiniers avaient oublié de couper le gâteau de mariage pour le buffet et la réservation de deux chambres pour les invités américains VIP de la mère de la mariée avait disparu du système informatique. J’ai donc dû envoyer d’autres clients dans un autre hôtel d’Aberdeen pour leur libérer une chambre chez nous. Et pour couronner le tout, ce fut à ce moment précis que les fusibles ont décidé de sauter, privant une aile entière de l’hôtel d’électricité et faisant résonner un concert de sonneries de téléphone à la réception : «ma télévision est en panne» ou encore «je n’arrive pas à faire fonctionner mon séchoir à cheveux». Bien entendu, personne ne savait où se trouvait la boîte électrique. Je croyais que la soirée ne finirait jamais. À la fin, je n’avais plus qu’une envie, me cacher au fond d’un trou et pleurer toutes les larmes de mon corps. Pourtant, je suis seulement rentrée dans notre bien-aimée staff house pour dormir quelques heures avant de prendre mon courage à deux mains et de retourner travailler à 7 heures le lendemain matin.
Généralement, je trouve les problèmes et le bordel stimulants. C’est toujours mieux qu’un travail routinier et ennuyant. J’aime l’action et je dois avouer que la pire tâche d’un réceptionniste consiste à devoir rester planter derrière son comptoir pendant des heures dans l’attente improbable d’un coup de téléphone ou de l’arrivée d’un client. Sauf qu’une suite ininterrompue de problèmes insurmontables et de personnes en colère, à la longue, c’est éreintant. Chaque fois que je mets le pied dans l’hôtel, je me demande ce qui va encore survenir pour me compliquer l’existence. Si j’ai décidé d’arrêter l’école pendant un an, c’était avant tout pour prendre une pose de la vie stressante de la faculté de médecine. Au bout du compte, le seul changement que j’aurai eu réside dans la nature du stress que j’ai à affronter.
Vais-je m’ennuyer de cet hôtel, oserais-je dire maudit, ou du moins hanté ? Peut-être dans quelques mois lorsque toute la frustration accumulée se sera envolée et qu’il ne me restera que les souvenirs nostalgiques d’une époque de ma vie qui, malgré tous ses défauts, demeure une expérience unique et hors du commun ? Quand, en effet, aurais-je de nouveau l’occasion de travailler dans un manoir typiquement anglais, de me promener la nuit parmi les salles couvertes de tapisseries aux riches motifs et de boiseries sombres, parmi les odeurs de fumée et d’humidité à la lueur tamisée de chandelles ? Lorsque, rarement, tout était calme et silencieux dans le grand hall d’entrée, les fantômes du passé paraissaient réellement resurgir d’outre-tombe pour revenir errer dans les chambres vides et je croyais sans peine les gardiens de nuit qui affirmaient avoir aperçu une forme blanche diaphane dans la salle de bal. La légende raconte, en effet, que le manoir aurait été construit par un gentleman résidant de l’autre côté de la rivière Dee pour sa maîtresse et que, lorsqu’il la quitta, de désespoir, elle se donna la mort en se jetant du haut du grand escalier. Il s’agirait de son fantôme que les noctambules téméraires peuvent rencontrer au détour d’un couloir sombre.
Peut-être m’ennuierais-je également des processions d’hommes en kilt lors des mariages, d’écossais avinés chantant à tue-tête ou de mariées angoissées par la livraison de leur gâteau, de leurs fleurs ou par le déroulement de la cérémonie. Ou encore des odeurs délicieusement torturantes s’échappant de la cuisine lorsque les deux chefs, James et Russell, s’éclataient à leurs fourneaux.
Quoiqu’il en soit, l’aventure de l’hôtellerie écossaise est bel et bien terminée pour moi. Hier, lors de ma dernière journée de travail, j’ai dit adieu à tous les employés, déambulée une ultime fois dans les corridors poussiéreux en espérant ne plus jamais y remettre les pieds. Mais je sais bien que c’est une pensée irréalisable. Il me faut toujours attendre qu’Anne-Marie termine également jeudi pour pouvoir vraiment dire définitivement adieu à cet endroit et réellement penser à la prochaine étape de mon périple : l’Andalousie. En effet, pour se remettre de nos émotions, Anne-Marie et moi avons décidé de nous offrir un mois de vacances dans le sud de l’Espagne avant de rentrer au Royaume-Uni pour retrouver un travail après Noël. Et ce ne sera pas à Aberdeen. Je crois pourtant que cette ville me manquera. Sous ses airs rêches, je commençais à bien l’apprécier.
Pourtant, si vous demandez à tous les voyageurs y ayant séjourné, peu d’entre eux auront des commentaires élogieux à offrir sur cette ville industrielle et moderne du nord de l’Écosse. Entre son port sale et glauque, sa plage de sable blanc à l’américaine bordée de parcs d’attractions et de fast-foods et sa rue principale où s’entassent les dernières marques de vêtement à la mode dans les vitrines des grands magasins, Aberdeen ne possède pas, au premier abord, le charme d’autres villes écossaises. Et lorsque le temps se met à la pluie, ce qui survient hélas plus que fréquemment dans cette partie du monde, les façades grises et monotones de la cité de granite se confondent avec le ciel au point où la ville entière semble pleurer son isolement nordique. Pour mieux l'apprécier, il faut y séjourner plus longtemps qu’une nuit pour attraper un traversier en partance pour les Orcades, visiter la résidence de la reine à Balmoral ou poursuivre sa route vers Inverness. Aberdeen se découvre peu à peu à l’explorateur persévérant, ou peut-être seulement un peu plus ouvert d’esprit, qui sait dépasser ses airs de laideur. Il faut alors la prendre telle qu’elle se présente, avec son passé et ses cicatrices, rude et sans ornement, mais si éloignée de tous ces lieux touristiques artificiels.
J’aimais particulièrement me promener sur la plage à marée haute lorsque le vent du nord transformait les vagues en moutons d’écumes (ou white horse comme ils disent par ici) blanche venant se fracasser sur les rochers de la digue et qui poussait vers la côte des nuages noirs de pluie teintant le ciel d’un millier de tons de bleus ou de gris. Et depuis que le mois de novembre s’est installé, la lumière du nord sur l’océan et la ville est incroyable. Comme Aberdeen se trouve à la même latitude que le Labrador, le temps d’ensoleillement à cette période de l’année est très réduit. Vers midi, le Soleil s’est à peine élevé au-dessus de la cime des collines et vers trois heures, il commence à décliner ce qui fait que vers quatre heures, le ciel est déjà teinté de l’or et du pourpre de la brunante. Le résultat est que la lumière, depuis quelques semaines, n’est jamais vive, mais toujours douce et caressante, comme si le Soleil ne se décidait jamais à briller complètement. Même si cela peut-être difficile à supporter parfois et plutôt déprimant, il n’en demeure pas moins que cela transforme Aberdeen, la rendant plus suave et tranquille. Et lors des nuits de plus en plus longues, alors que je marchais sur le bord de la mer pour rejoindre Anne-Marie et Max qui finissaient de travailler au Silver Darling, le meilleur restaurant d’Aberdeen, spécialisé en poissons et fruits de mer, situé dans l’ancienne douane à l’entrée du port et que seul le bruit des vagues invisibles venaient interrompre le silence pesant de la nuit, j’aurais dit à quiconque qu’Aberdeen était une ville féerique. Cette impression était d’autant plus renforcée par les dizaines de lumières à l’horizon, seul signe des pétroliers attendant de rentrer au port. Puis, plus tard, par les immenses baies vitrées du restaurant, lorsque tous les clients partis nous sirotions un café ou lorsque, merci au charmant manager de l’endroit, nous avons pu y souper pour la plus grande extase de nos palais sans pour autant défoncer notre budget, nous pouvions même admirer les immenses carcasses d’acier passer à quelques mètres de nous dans l’embouchure étroite de la Dee. Car bien qu’Aberdeen soit bâtie sur le bord de la mer, son port se situe le long de la rivière. Parfois, j’avais de la difficulté à croire que de si imposants navires puissent manœuvrer dans un espace si réduit. De plus, comme la ville est relativement petite, à partir de son centre-ville, construit sur la crête d’une colline parallèle à la rivière, il suffit de descendre quelques rues pour se retrouver au milieu du gigantesque port, animé à toute heure du jour ou de la nuit et cœur économique de la ville depuis le développement intense de l’industrie pétrolière dans la mer du Nord. En quelques minutes à peine, il est possible de marcher de la plage silencieuse au port, puis au centre-ville animé.
Et puis, pour vraiment apprécier Aberdeen, il faut prendre le temps de connaître les endroits qui sortent un peu de l’ordinaire, souvent dissimulés dans des rues moins achalandées et que seuls les Aberdiniens de longue date connaissent. Ce sont tous ces lieux, tels que le Beans & Books, un café-librairie où il est possible de siroter un café tout en lisant l’un des nombreux livres usagés traînant sur les étagères des bibliothèques ou le Slain Castle, un pub du centre-ville où les gargouilles et les armures se mêlent dans un décor gothique et draculéen.
Ce sont toutes ces petites choses, ces petits lieux discrets qui font que je me sentais de plus en plus chez moi à Aberdeen. Ou peut-être est-ce seulement la nostalgie du départ qui me fait penser ainsi…
Je suis tout de même demeuré suffisamment longtemps à Aberdeen pour me faire passer pour une véritable écossaise et même voir ma photo publiée dans un journal local. Cet après-midi, alors que je marchais sur Union street, la rue principale, une photographe m’a accostée en me demandant de poser pour elle. L’Evening Express d’Aberdeen recherchait des citoyens pour la rubrique «City Street Style». Apparemment, j’avais le look citadin et elle ne me croyait même pas lorsque je lui affirmais ne pas être originaire d’Aberdeen ni même d’Écosse. Elle m’a malgré tout prise en photo, désespérée de ne trouver que des filles en jeans au centre-ville. Ironiquement, ce journal est celui qui est distribué chaque jour dans toutes les chambres de l’hôtel où je travaillais. Malgré tout mes efforts, je n’arrive pas à quitter cet endroit définitivement. Même en photo, je dois y retourner. Une chose est certaine cependant, samedi soir, je serai à Malaga en Espagne et la grisaille froide d’Aberdeen ne fera plus partie que de mes souvenirs de voyage.



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22nd November 2008

Espana, si!
Salut! Trop cool, le sud de l'Espagne! Profite à fond de Malaga, et j'espère que tu pourras aller à Séville et Grenade, vraiment à ne pas manquer.

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