Ma premiere semaine de chirurgie


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Africa » Rwanda » Province du Sud
June 23rd 2008
Published: June 23rd 2008
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Etant finalement arrivée à Butare jeudi, j’avais particulièrement hate de débuter mon travail à l’hopital universitaire de Butare. Je me suis donc présentée le lendemain matin, prete à suturer des plaies, drainer des abcès, réduire des fractures et assister à des opérations. Bref, prete à accomplir toutes les actions qui font rever les étudiants en médecine débutants un stage de chirurgie. Malheureusement, commencer en chirurgie un vendredi ne représentait pas nécessairement la meilleure stratégie.
En effet, le vendredi est la journée réservée à la tournée générale des patients. Donc, après le «staff meeting » du matin ou l’étudiant de garde présente les nouveaux cas, nous sommes tous partis, le troupeau d’étudiants, de résidents et de médecins avec le patron, Dr Ignatius, un vieux grand-papa ougandais vraiment adorable qui se désolait de la défaite d’Hillary dans la campagne présidentielle, pour visiter les chambres des patients hospitalisés.
En fait, chambre ne semble absolument pas le mot approprié pour représenter la situation de cet hopital. Il faudrait plutot parler de dortoirs ou règnent une odeur nauséabonde et dans lesquels les patients avec des maladies toutes plus incroyables les unes que les autres s’entassent par dizaines. Alors, pour ma première journée, j’ai eu droit au défilé des pires cas qu’un département de chirurgie pouvait produire. Dans ce musée des horreurs, la succession des tumeurs nécrotiques, parfois grosses comme un ballon de soccer, des plaies purulentes et des pansements grouillant de mouches me paraissait sans fin. Lors du dernier patient, un vieil homme avec une tumeur qui avait transformé son pénis en un véritable chou-fleur, la puanteur avait atteint un tel sommet que j’ai craint de m’évanouir.
Et le plus étrange dans tout cela, ce n’est pas la saleté, la misère ou bien la pestilence, c’est de constater avec quel calme toutes ces situations extremes sont gérées, à la fois par les patients et les médecins. Au Canada, si une femme avait eu la moitié de la jambe arrachée par une moto comme celle que j’ai vu ce jour-là, elle ne resterait pas tranquillement au lit attendant qu’un chirurgien se décide peut-etre à tenter une intervention. Elle se révolterait et exigerait d’etre soignée. Moi-meme, si je voyais les os de ma jambe saillir d’une plaie, je paniquerais et exigerais d’etre soignée immédiatement. Ici, des situations qui, pour nous, seraient absolument inacceptables, font partie de la routine habituelle.
Lorsque nous sommes finalement ressortis à l’air libre, j’ai pris une grande bouffée d’air frais, tentant vainement de me débarrasser de l’odeur de putréfaction qui semblait collée à ma peau et me demandant quelles autres surprises ma première journée allait me réserver. Et la réponse fut : aucune ! Après la tournée, tout le monde s’est dispersé. La journée était terminée. Aucune chirurgie ni aucun nouveau patient, hormis les urgences, le vendredi.
Aussi, le lundi matin, lorsque je me suis présentée à la réunion, j’étais bien décidée à assister à au moins une chirurgie. N’étant pas encore certaine du fonctionnement du service de chirurgie, j’ai décidé de suivre l’interne qui m’avait fait visité l’hopital, Aimé, durant sa journée de garde.
Durant tout l’avant-midi, nous avons donc posé des platres, lavé des plaies et traité toutes les petites urgences qui se présentaient, jusqu’à ce qu’un garcon d’environ 10 ans se présente avec une douleur abdominale aigue vers 15 hrs. En larmes, il se tordait de douleur sur sa civière. Petit questionnaire, court examen et on conclut qu’il s’agit bien d’un problème chirurgical. Le Dr Claude, le résident de garde avec nous ce jour-à, pense à une intussuseption iléo-caecale, ce qui en langage clair signifie qu’une partie de l’intestin du gamin serait renfoncée dans son colon, comme un doigt dans un ballon. Mais impossible d’en etre certain puisque le seul examen disponible ici est la radiographie simple. Nous lui en prescrivons une quand meme, au cas ou. Seulement, trois heures plus tard, le garcon se trouvait toujours dans la salle d’examen à gémir. Aucun brancardier ne l’avait encore emmené en radiologie. Le Dr Claude réussit finalement à en trouver un pour l’y conduire et il revint quelques heures plus tard avec un cliché ne montrant rien de particulier. Il allait donc falloir opérer pour comprendre ce qui arrivait dans le ventre du garcon. J’allais donc pouvoir enfin assister à ma première chirurgie en sol rwandais. J’ignorais à ce moment qu’il me faudrait encore patienter presque jusqu’à minuit avant de finalement voir un anesthésiste endormir le garcon, mettant ainsi un terme à ses gémissements. Car durant tout le temps ou nous attendions, d’abord le Dr Patrick, le medecin du garde, puis l’anesthésiste, puis finalement les instruments que personne n’avait songé à stéréliser, et encore le Dr Patrick qui était reparti chez lui souper, aucune médication contre la douleur ne fut administrée à l’enfant qui souffrait le martyr. Parfois, il devenait si épuisé qu’il en oubliait de pleurer. Il se contentait de rester prostré dans sa petite civière, respirant avec peine.
Enfin, tout fut prêt et nous pumes opérer. Ce fut vite fait et bien fait. Le Dr Patrick est un excellent chirurgien et professeur. Comme il y avait deja un résident et Aimé, l’autre interne, je n’avais absolument rien à faire durant l’intervention, ce qui me convenait tout à fait. A l’heure ou nous sommes entres au bloc opératoire, j’étais si fatiguée que j’avais de la difficulté à tenir debout. J’aurais encore moins tenu un scalpel ou une aiguille, d’autant plus que le garcon était séropositif. Comme la majorité des patients d’ailleurs. Mais juste avant de referme l’abdomen du patient, le Dr Patrick s’est tourne vers moi et m’aspergeant les mains de sang et de liquide, me dit : « you didn’t get any blood, my friend. Now you are part of the gang. » Et c’en était fini de mon bapteme de la chirurgie. Moins d’une demi-heure plus tard, je dormais du sommeil du juste qui ne s’est pas assis pour plus de quelques minutes depuis plus de 14 heures.
Le reste de la semaine, je l’ai passé en alternant les chirurgies, les gardes et les journées d’apprentissage données par le Dr Patrick. Mercredi, il nous a enseigné à faire des sutures. Aussi, jeudi matin, lorsque j’assistais à sa chirurgie, j’ai eu l’honneur de « refermer » le patient. Par chance, il s’agissait un très vieil homme qui ne se formalisera pas d’une cicatrice sur le ventre, car mes premiers points étaient loin de mériter l’éloge de « muy bien ! » dont m’a récompensé le Dr Marcos, le neurochirurgien cubain, en examinant mon travail.
Le plus ironique avec ce patient est qu’il n’avait absolument pas besoin de la chirurgie qu’il a subi. Entre deux patients se présentant pour le meme problème, la rétention urinaire, un avait besoin de se faire enlever la prostate et l’autre d’une dilatation du conduit urinaire (une intervention qui ne se fait qu’à Kigali). Or, le résident de garde a mélangé les deux cas et nous avons ouvert donc un patient pour constater que sa prostate était en parfaite santé. Le pauvre homme a quand meme 5 points du suture sur le ventre et a subi une anesthésie, ce qui n’est pas sans risque compte tenu de son age. Et l’autre patient, celui qui avait réellement besoin de se faire enlever la prostate ? Et bien, il devra attendre jusqu’ à lundi avant de pouvoir uriner à nouveau, car le tableau chirurgical de cette semaine était rempli.
Dans ce service de chirurgie, les miracles de débrouillardise cotoient les pires abberations, comme celle d’échanger deux patients. Jeudi matin, pendant que je suturais le malchanceux qui avait été opéré inutilement, le Dr Marcos réussissait à résséquer une tumeur au cerveau sans causer de séquelles neurologiques.
Je suis particulièrement touchée par le cas d’un enfant de 3 ans que j’ai opéré deux fois cette semaine avec le Dr Claude. Il est brulé sur 60 % de son corps. Il faut l’amener en salle d’opération régulièrement pour refaire son pansement et nettoyer ses plaies pour éviter l’infection. A chaque fois, ses cris de protestations et ses pleurs hantent les corridors. Le simple fait de le bouger provoque une souffrance intolérable. Et comme il ne bouge pas, sa peau deja fragilisée par les brulures, s’érodent peu à peu. Vendredi après-midi, après la tournée générale, en l’enduisant de crème antibiotique, j’ai remarqué que l’on pouvait voir son crane au milieu des plaies sur son crane. Les médecins sont néanmoins optimistes. Il se trouve sur la voie de la guérison et, à moins que ses plaies à vif ne s’infectent, il devrait s’en sortir. Il aura passé des mois à l’hopital et sera couvert de cicatrices, mais il vivra. Du moins, il me faut l’espérer pour tempérer un peu la révolte que je ressens chaque fois que je passe devant son lit. Au milieu des pansements et des linges stériles, seule sa petite et maigre figure apparaît. Il semble si fragile et vulnérable que je voudrais le prendre dans mes bras pour le protéger, mais je dois me contenter de lui sourire en lui disant les quelques mots de kirnyrwanda que je connais.
Ce petit bonhomme représente bien le dilemme de la médecine dans cet hopital, rappelons-le universitaire. La phrase qui revient le plus souvent dans la bouche des médecins est : « si nous étions dans un hopital moderne, nous pourrions faire ceci ou cela… ». Le CHUB, malgré le fait qu’il constitue un centre de référence ou les patients recoivent les meilleurs soins disponibles dans le pays, demeure un hopital avec des moyens très limités, ou la mort guette les malades à chaque instant faute d’avoir pu diagnostiquer ou traiter à temps leur maladie.
Travailler ici constitue une immense lecon d’humanité, de courage et d’humilité. Contrairement aux médecins occidentaux qui sont souvent convaincus d’etre des surhommes capables de sauver pratiquement tous leurs patients, les chirurgiens du CHUB sont confrontés à chaque jour à leur propre impuissance à soulager la souffrance d’autrui.




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24th June 2008

les yeux grands ouverts
je suis fière de toi d'affronter toutes ces épreuves avec autant d'humanité et de relativisme
26th June 2008

je suis subjugée
je comprends ta colère vis-à-vis l'impuissance. Tu es une femme vraiment tres forte pour affronter tous ces cas et cet endroit. Bravo et merci d'aider ces gens qui en ont vraiment besoin.
19th July 2008

courage
bravo d avoir eu ce courage que la plupart d entre nous n ont pas ou plus.si vous passez par istanbul faites moi signe
25th September 2008

Quelle est la suite
Merci mon ami d'avoir afronter cette histoire. Et je me demande auell est ta reaction d'apres ce que tu a vu?Penses-tu que ca serait p)lus pur dans les hiµopitaiµux de district du Rwanda? Je suis mdµedecin dans un endroit reculer et je veux fonder un fond pour les pauvres car il y a meme ce qui ne trouvent pas de l'argent, malgre la mutuelle de sante, pour aller se faire soigner dans cet hopital quiu est de reference pour nous. Penses a faire un fundrising pour un materiel comme ultrasound pour un hopital de District conmme le mieux Bravo
26th October 2009

ton experience me fait songer à toute une vie de misère qui reste à ce jour graver dans ma cervelle..bravo pour ton courage et ton dévouement pour ton métier..

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